Simone Veil, symbole d’une mémoire européenne



Actualité


06.03.2019

Simone Veil incarne bien des combats : juive anciennement déportée, fervente militante des droits des femmes, porteuse de la loi IVG… Son engagement européen reste en revanche moins connu. Simone Veil, présidente du Parlement européen de 1979 à 1982, n’a pourtant jamais cessé de susciter l’admiration en Europe, transgressant les frontières partisanes et nationales. Elle demeure aujourd’hui encore une figure centrale de la mémoire européenne.

Simone Veil - Crédits : Parlement européen

Simone Veil – Crédits : Parlement européen

Ressortie vivante des camps de la mort, Simone Veil constate à son retour à la vie normale « les regards fuyants » de la société qui rendaient les rescapés « transparents« . Incontestablement, la vie de la jeune Simone Veil prend tôt un tournant dramatique, à l’instar de nombreuses familles juives en Europe. Déportée en mars 1944 à l’âge de 16 ans, elle vit l’horreur d’Auschwitz, de Bobrek, de Gleiwitz, de Dora et de Bergen-Belsen durant treize mois. Alors qu’elle porte le deuil d’une partie de sa famille et le poids de la Shoah, elle va toutefois parvenir à s’insérer dans la vie sociale, à reprendre ses études, puis à devenir magistrate.

Un destin personnel ancré en Europe

Travailler a toujours été une évidence pour elle : ce fut un combat qu’elle mena contre son mari, Antoine Veil, qui s’opposait à ce qu’elle devienne avocate. Le choix de la magistrature, domaine nouvellement ouvert aux femmes, a souvent été présenté comme un compromis par les deux époux. Et c’est avec lui qu’elle approcha les sphères politiques, côtoyant notamment le Mouvement républicain populaire, centriste et pro-européen.

Elle sera remarquée plus facilement qu’Antoine Veil par les responsables politiques de l’époque. D’emblée sensible aux questions sociales, Jacques Chirac la nomme ministre de la Santé en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, et ce malgré son manque d’expérience politique. Deuxième femme à être nommée ministre de plein exercice de l’histoire de la République française (après Germaine Poinso-Chapuis, ministre de la Santé de 1947 à 1948), elle va défendre ce que la postérité appellera par la suite la loi Veil, légalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le combat est alors extrêmement âpre et elle n’hésite pas à affronter une Assemblée hostile à la légalisation, essuyant nombre de remarques sexistes et antisémites, partageant sa « conviction de femme » avec force et courage. Ce combat devient un symbole fort pour l’acquisition de droits sociaux en France et en Europe, ce qui lui forge une certaine notoriété.

Lorsqu’elle accepte de s’orienter vers les affaires européennes, à l’occasion des premières élections européennes au suffrage universel direct en 1979, c’est en partie en résonance à son histoire personnelle. Simone Veil représente le témoignage d’une époque, mais aussi celui d’une conviction : le rapprochement des peuples européens est, selon elle, un préalable nécessaire au maintien de la paix. Elle formulera à ce propos l’idée d’une « responsabilité fondamentale de maintenir, quelles que soient nos divergences, cette paix qui est probablement, pour tous les Européens, le bien le plus précieux« . Simone Veil est persuadée que seule la réconciliation franco-allemande permettra de ne pas réitérer les erreurs du passé. Elle voit dans le projet européen une réponse concrète et pragmatique à la Shoah.

Une présidente du Parlement européen respectée

Ainsi Valéry Giscard d’Estaing lui propose-t-il de conduire la liste de son parti, l’UDF (Union pour la démocratie française), pour le scrutin européen de juin 1979. « Compte tenu de ce que je représentais, il [Valéry Giscard d’Estaing] voyait dans ma candidature un symbole de la réunification franco-allemande et la meilleure manière de tourner définitivement la page des guerres mondiales« , expliquera-t-elle plus tard dans son autobiographie Une vie (2007).

La campagne l’oppose à Jacques Chirac, qui a démissionné de son poste de Premier ministre en 1976 et qui propose à droite une vision résolument souverainiste et intergouvernementale de l’Europe. Alors que les Européens sont appelés pour la première fois à élire leurs eurodéputés au suffrage universel, ces élections de 1979 revêtent une dimension particulière. Pour Jacques Chirac, cette échéance fait office de préparation à la présidentielle de 1981. Mais c’est bien la liste de Simone Veil qui arrive en tête, devançant le PS de François Mitterrand, le PCF de Georges Marchais et donc le RPR de Jacques Chirac. Elle devient alors candidate du groupe libéral à la présidence du Parlement européen, où elle est élue au troisième tour de scrutin.

Claude Truong-Ngoc / Wikimedia CommonsSimone Veil présidant une séance au Parlement européen le 12 octobre 1979 à Strasbourg – Crédits : Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons

Son discours d’intronisation présente sa vision de l’Europe : se tenant à distance des envolées lyriques de certains europhiles, elle privilégie une approche rationnelle et mesurée. Son ton est simple mais tranchant et ce sont davantage la force de son regard et l’autorité de sa voix qui convainquent. Elle évoque la tonalité de son mandat à venir, qui restera en mémoire pour de nombreux acteurs du projet européen. « Pour relever les défis auxquels l’Europe est confrontée, c’est dans trois directions qu’il nous faudra l’orienter : l’Europe de la solidarité, l’Europe de l’indépendance, l’Europe de la coopération« , déclare-t-elle.

La présidence de Simone Veil se concentre sur la visibilité du Parlement européen, qui manque à cette époque de poids dans les décisions européennes. Il ne disposait en effet que de compétences consultatives, et suscitait à bien des égards la méfiance des citoyens et des dirigeants européens. Simone Veil contribua ainsi à lui donner un rôle politique réel, portant ses valeurs à l’étranger, jouant de son prestige. Elle souhaite faire du Parlement un outil de meilleur exercice de la démocratie en Europe et lui donner un « rôle d’impulsion dans la construction communautaire« . Elle ne cesse de rappeler la fragilité du projet européen et s’inquiète très tôt des tendances nationalistes. Son travail de présidente lui vaut le prix Charlemagne, récompensant une personnalité œuvrant pour « l’unification européenne« , en 1981.

« L’Europe construite patiemment depuis des décennies peut demain se déliter. Ce que des hommes ont construit avec application, d’autres peuvent le détruire« , résumera-t-elle encore en 2005 lors du référendum pour le traité constitutionnel européen.

Histoire de l’Union européenne

Un engagement entier au service de l’Europe

Simone Veil quitte la présidence du Parlement européen en 1982, s’accommodant peu des « jeux politiques » qu’elle avait espéré fuir en s’orientant vers les institutions européennes. Sollicitée pour effectuer un second mandat, elle ne parvient pas à rallier le RPR et reste contestée par les représentants de certains petits Etats, qui jugent sa présidence comme un arrangement franco-allemand peu consensuel. Elle retire ainsi sa candidature avant le troisième tour de scrutin pour ne pas compromettre la victoire de la droite. Et poursuit son travail pour l’Europe en tant que simple députée.

Elle continue néanmoins d’exercer des fonctions importantes. Tête de liste en 1984, elle réunit cette fois l’UDF et le RPR, Valéry Giscard d’Estaing ayant perdu la présidence trois ans plus tôt. Puis elle se désolidarise de cette alliance pour le scrutin de 1989, estimant que son programme n’est pas assez européen. Elle mène alors une liste indépendante qui obtiendra sept sièges.

Au total, et alors que la politique européenne demeure encore largement déconsidérée en France, Simone Veil siège 14 ans au Parlement européen, se dévouant pleinement à son mandat. Elle déplore « le manque d’intérêt porté par nos responsables politiques aux questions européennes […] qui frôlait la caricature à l’approche des élections européennes ».

Construire une Europe plus solide constituait une priorité pour Simone Veil. Elle est l’une des principales personnalités défendant le rapport Spinelli (du nom d’Altiero Spinelli, eurodéputé italien et figure de proue du fédéralisme européen) de 1984, qui constitue une initiative importante en vue de la création d’une « Union européenne ». Logiquement, elle promeut par la suite le traité de Maastricht, devant précisément créer l’Union européenne, lors du référendum français en 1992. Elle soutient également les différents élargissements avec l’arrivée de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne, soulignant l’importance d’une démocratisation davantage enracinée en Europe : « il faut se réjouir qu’au groupe des pays de liberté qui la composent soient venus se joindre la Grèce, l’Espagne et le Portugal, aux vocations aussi anciennes que les nôtres« , déclare-t-elle.

Le spectre de la Shoah pèse toujours dans ses positionnements : on se souviendra de ses paroles fortes en faveur d’une intervention militaire en ex-Yougoslavie en 1992 : « Je ne veux pas réentendre ce que j’ai entendu il y a 50 ans : la seule priorité est d’arrêter la guerre. Et que, pendant ce temps-là, des gens pouvaient être dans des camps de concentration et être exterminés, je ne veux pas le réentendre« .

Ce n’est qu’en 1993 qu’elle quitte le Parlement européen pour se centrer de nouveau sur les affaires nationales : à la demande d’Edouard Balladur, elle redevient ministre, des Affaires sociales et de la Santé. A son départ du Parlement européen, elle en dit les mots suivants : « Quand on dit les choses de Strasbourg, c’est un peu loin et il faut les répéter« . Mais malgré une apparente lassitude, elle restera convaincue du bien-fondé de l’Union. « Quand je regarde ces soixante dernières années, c’est ce que l’on a fait de mieux« .

Simone Veil lors de l'inauguration de l'agora portant son nom à Bruxelles le 30 août 2011 - Crédits : epp group / FlickrSimone Veil lors de l’inauguration de l’agora portant son nom à Bruxelles le 30 août 2011 – Crédits : epp group / Flickr

Son investissement pour la cause européenne dépassera amplement sa seule action d’eurodéputée et se poursuivra jusqu’à la fin de sa vie politique et personnelle. Son dernier engagement public intervient lors de la campagne pour la ratification par la France du traité constitutionnel européen de 2005. Elle soutient le « oui » au référendum avec énergie, dérogeant au passage à son devoir de réserve auprès du Conseil constitutionnel.

Il s’agira de sa dernière fonction politique et, à 80 ans en 2007, Simone Veil s’investit dans d’autres causes : présidente de la fondation pour la mémoire de la Shoah, membre de l’Académie française…

De Simone Veil, l’on retiendra une responsable politique exemplaire, qui a su surmonter et même se servir de son passé pour contribuer à construire le projet européen : « L’Europe c’est l’espoir de progrès« . Parmi les nombreux hommages qui lui ont été rendus lors de son entrée au Panthéon en 2018 un an après sa mort, l’Europe apparait ainsi comme toile de fond de l’engagement de toute une vie. « Son combat pour l’Europe ne datait pas de son élection comme députée au Parlement européen, puis comme première Présidente de celui-ci. Il remontait plus loin, dans l’intimité même de son existence. Il datait de 1945« , dira Emmanuel Macron. Et c’est logiquement que Simone Veil repose aujourd’hui, avec son époux, au sein du caveau VI, celui des résistants Jean Moulin et André Malraux, du père fondateur de l’Europe Jean Monnet, et du prix Nobel de la paix René Cassin.

 

Article dirigé par Toute l’Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif

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