Réélection de Erdogan : les enjeux pour l’Europe

Recep Tayyip Erdogan a été réélu pour un troisième mandat de président, dimanche 28 mai. Otan, Russie, immigration, Chypre, Grèce ou encore Haut-Karabagh… l’Union européenne et ses Etats membres ont observé attentivement l’élection car plusieurs dossiers impliquant la Turquie les concernent directement.

GDS Gabriel : plus que jamais, c’est également la perspective de l’adhésion qui s’éloigne…

Candidate à l'adhésion européenne depuis 1999, la Turquie est très liée à l'UE dans de nombreux domaines. Ici (de gauche à droite) : le président turc Recep Tayyip Erdoğan rencontre ceux du Conseil européen Charles Michel et de la Commission européenne à Bruxelles en mars 2020 - Crédits : Etienne Ansotte / Commission européenne
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan rencontre ceux du Conseil européen Charles Michel et de la Commission européenne Ursula von der Leyen à Bruxelles en mars 2020 – Crédits : Etienne Ansotte / Commission européenne

Indéboulonnable. Dimanche 28 mai, le chef d’Etat sortant Recep Tayyip Erdoğan est finalement arrivé en tête du second tour du scrutin présidentiel turc (52,1 % des voix) devant le chef de l’opposition coalisée Kemal Kılıçdaroğlu (47,9 %), pourtant longtemps donné favori. 

Une réélection qui intéresse de près l’Union européenne et les Vingt-Sept car de nombreux sujets les impliquent au premier plan. Frontalière de l’UE, la Turquie a d’ailleurs obtenu le statut de pays candidat à l’adhésion européenne en 1999. Mais l’élargissement est loin d’être le seul dossier préoccupant les Européens. 

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L’Otan et la Russie

L’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022 est venu bouleverser les équilibres géopolitiques en Europe. En Turquie, le conflit a placé Recep Tayyip Erdoğan dans une position d’équilibriste. Car le pays est membre depuis 1952 de l’Otan, alliance politico-militaire comprenant notamment les Etats-Unis et 22 Etats membres de l’UE, honnie par le président russe Vladimir Poutine. Mais Ankara entretient également de bonnes relations avec Moscou.

Le 27 avril dernier, la première centrale nucléaire de Turquie a par exemple été inaugurée. Celle-ci est de fabrication russe et pourrait fournir jusqu’à 10 % de la consommation électrique du pays, qui est en outre très dépendant du gaz acheté à Moscou. L’armée turque s’équipe de son côté du système antimissiles S-400, provenant de Russie. Ankara n’a pas prononcé de sanctions contre Moscou, à la différence des Européens. Et depuis le début de la guerre, le président turc tente de jouer le rôle de médiateur entre Russes et Ukrainiens. Avec certains succès, comme l’accord permettant la reprise des exportations de céréales provenant d’Ukraine, en juillet dernier.

Concernant l’Otan, le positionnement turc est ambigu. La guerre a poussé la Suède et la Finlande à sortir de leur neutralité historique et à demander en mai 2022 l’adhésion à l’Alliance atlantique. Mais la Turquie a conditionné l’acceptation de leur intégration à une coopération dans la lutte contre les militants kurdes du PKK. Après des mois d’attente, Ankara a finalement donné son feu vert à la Finlande, qui a pu rejoindre l’Otan début avril. Mais pas encore à la Suède, sommée de patienter.

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Immigration

La Turquie est située sur la route de la Méditerranée orientale, empruntée notamment par les migrants pour tenter de rejoindre l’UE via la Grèce ou la Bulgarie. En 2015, une grave crise migratoire éclate lorsque des millions de réfugiés syriens quittent leur pays en raison de la guerre civile qui s’y déroule. L’UE conclut alors en mars 2016 un accord avec la Turquie, qui accepte de les retenir sur son sol en échange d’une aide financière conséquente.

A ce jour, Ankara a obtenu six milliards d’euros de la part de Bruxelles et accueille quatre millions de réfugiés sur son territoire. Mais la Turquie s’est souvent servie de cet accord pour faire pression sur l’UE, au gré de ses relations avec elle. En 2019, fustigeant les critiques européennes à l’encontre de son intervention militaire contre une milice kurde dans le nord-est syrien, Recep Tayyip Erdoğan menace de laisser passer des millions de réfugiés en Europe. Ankara semble d’ailleurs avoir plusieurs fois agi en violation de l’accord. Comme en 2020 lorsque l’ONU l’a accusée d’avoir permis à 15 000 personnes, en majorité syrienne, de se rendre en Grèce.

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Chypre

La question chypriote constitue un sérieux sujet de tensions entre Ankara et l’UE. A partir de 1974, l’île de Chypre est divisée en deux à la suite d’une intervention militaire de la Turquie, entre Chypriotes grecs au sud et Chypriotes turcs au nord. Ces derniers ont fondé la République turque de Chypre du Nord, uniquement reconnue par Ankara.

Un profond contentieux de l’Etat turc avec la République de Chypre et l’UE de manière générale, par ailleurs synonyme d’important point de blocage à la candidature du pays à l’intégration européenne. Car les pourparlers pour la réunification de l’île sont restés dans l’impasse depuis plusieurs décennies.

En 2020, un regain de tensions se produit lorsque la Turquie pénètre illégalement dans la zone économique exclusive de Chypre, tentant de forer ses gisements gaziers.

Grèce

Les difficultés rencontrées dans les relations d’Ankara avec Nicosie ne sont pas étrangères à celles avec Athènes, notamment liées à une rivalité historique entre Turcs et Grecs. En 2020, la Turquie était aussi illégalement entrée dans les eaux territoriales de la Grèce, là aussi en quête de forages. Mais la menace va plus loin encore, la Turquie contestant la légitimité des accords ayant réglé les différends territoriaux avec la Grèce, les traités de Lausanne (1923) et de Paris (1947).

Depuis 2020, Recep Tayyip Erdoğan et ses ministres ont à plusieurs reprises menacé d’envahir des îles grecques. Ce contexte tendu a conduit la Grèce à augmenter ses dépenses militaires et à moderniser son armée. Selon Athènes, les violations de son espace aérien par les avions de l’armée turque sont particulièrement fréquentes. Des accusations que la Turquie formule aussi à l’encontre de la Grèce, au sujet de son propre espace aérien.

Haut-Karabagh

A majorité arménienne, cette république autoproclamée non reconnue internationalement a déclaré son indépendance en 1991 et se situe sur le territoire de l’Azerbaïdjan, qui en réclame la souveraineté. Fin septembre 2020, un violent conflit éclate entre l’armée azerbaïdjanaise, soutenue par la Turquie, et les forces armées du Haut-Karabagh, appuyées par l’Arménie. Après 44 jours de guerre, un cessez-le-feu établi sous l’égide de la Russie acte la perte du contrôle des trois quarts du territoire sous contrôle des autorités du Haut-Karabagh.

Depuis décembre dernier, l’Azerbaïdjan empêche la circulation sur le corridor de Latchine, seule route reliant le Haut-Karabagh à l’Arménie. Une situation qui a abouti au blocus du territoire et qui met en danger des milliers de vies. Fin février, la Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné à Bakou de mettre fin à cette situation.

C’est dans ce contexte que l’UE a lancé fin janvier une mission civile aux frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, afin de contribuer à la stabilité dans la région. L’attitude d’Ankara, susceptible d’exercer une influence importante sur Bakou, peut ainsi jouer un rôle conséquent.

Réélection de Recep Tayyip Erdoğan en Turquie : les dossiers que l’Union européenne suit de près – Touteleurope.eu