? La France a fait avancer de nombreux dossiers dans un contexte politique bouleversé par le conflit en Ukraine. Les principales priorités ont malgré tout été atteintes et le bilan français est positif.
Le programme était ambitieux. Mais il n’avait pas prédit l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février. Un événement qui a profondément changé la donne et poussé la France à recalibrer ses actions à la tête du Conseil de l’UE… sans pour autant abandonner les priorités présentées en décembre dernier.
La présidence française du Conseil (PFUE), initiée le 1er janvier et qui s’achève ce 30 juin, a relevé le défi de suivre ses priorités, malgré les circonstances. Parmi elles figurait le numérique, et en particulier la conclusion du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA), deux grands textes destinés à mieux encadrer le secteur.
Pour le volet environnemental, la France souhaitait notamment parvenir à un accord européen sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, une sorte de “taxe carbone” sur les importations de produits issus de pays hors UE. L’Europe sociale était également prioritaire, avec par exemple le projet de directive sur les salaires minimums, qui vise à favoriser leur convergence entre Etats membres.
Tour d’horizon de ce que la présidence française a contribué à achever et des dossiers que la République tchèque, lui succédant pour six mois le 1er juillet, devra poursuivre.
Un trio pour continuer le travail
Avec la République tchèque et la Suède, qui présidera le Conseil du 1er janvier au 30 juin 2023, la France appartient à un trio de présidences.
Inscrit dans le traité de Lisbonne signé en 2007, ce système est destiné à assurer la continuité des travaux de l’institution. Car difficile de suivre l’ensemble des dossiers du début à la fin en six mois de présidence, lorsque l’on décide à 27 et que l’on doit aussi négocier avec les eurodéputés.
Chaque trio fixe ainsi un programme pour ses 18 mois à la tête du Conseil. Cherchant à coordonner au mieux leurs actions, les pays qui le composent se dotent quant à eux d’objectifs plus précis. Tout comme la République tchèque et la Suède ont pu accompagner les dossiers de la présidence française, la France pourra donc elle-même continuer à suivre de près les tâches qu’elle a initiées ou prolongées et qui restent à conclure.
Diplomatie et défense
La guerre en Ukraine initiée par la Russie le 24 février a conduit l’UE à prendre des décisions inédites. Des actions qui ont nécessité un intense travail diplomatique des équipes de la France au Conseil pour parvenir au plus vite à des compromis.
Six trains de sanctions ont été adoptés, avec des premières mesures actées par les Vingt-Sept dès le 24 février au soir. Parmi elles, la fermeture de l’espace aérien européen aux avions russes ou l’exclusion de banques de Russie du système de messagerie bancaire Swift, le plus utilisé au monde. Mais aussi un embargo sur le charbon provenant du pays, de même que sur 92 % des importations de pétrole russe. De quoi frapper au portefeuille le Kremlin, qui tire une grande partie de ses devises des exportations énergétiques.
L’UE a aussi innové en finançant les livraisons d’armes aux Ukrainiens, une possibilité dont elle s’était dotée en mars 2021 avec la Facilité européenne pour la paix. L’aide militaire atteint ainsi 2 milliards d’euros, du jamais-vu.
C’est également pendant la PFUE que la boussole stratégique a abouti, le 25 mars lors d’un Conseil européen. Ce texte, qui fixe les priorités de l’Union en matière de sécurité et de défense d’ici à 2030, a dû être rapidement modifié avant son adoption afin de prendre en compte le bouleversement géopolitique que représente le conflit russo-ukrainien.
Voisinage
En lien avec la guerre en Ukraine, l’UE a revu son calendrier en matière d’élargissement sous présidence française du Conseil. Le statut de candidat à l’adhésion a ainsi été accordé par les Vingt-Sept à l’Ukraine et à la Moldavie le 23 juin. Soit moins de quatre mois après leurs demandes respectives, dans un délai particulièrement rapide.
A la tête du Conseil, la France a aussi œuvré à relancer le processus d’intégration des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro et Serbie). Alors que l’unanimité des Etats membres est nécessaire en matière d’élargissement, la Bulgarie bloque depuis 2020 l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord à cause d’un différend linguistique et culturel. De même que pour l’Albanie, dont la candidature a été liée par les pays de l’UE à celle de la Macédoine du Nord. Si le veto n’a pas encore été officiellement levé, une proposition de compromis formulée par la France a été adoptée par le parlement bulgare le 24 juin. La chute du gouvernement de Kiril Petkov, renversé deux jours avant par la même assemblée, empêche toutefois le retrait effectif du veto dans l’immédiat. Mais cette perspective apparaît donc en bonne voie.
Pour surmonter les difficultés posées par la durée du processus d’élargissement, Emmanuel Macron a avancé le 9 mai dernier un projet de Communauté politique européenne (CPE), validée par les Etats membres lors du Conseil européen des 23 et 24 juin. Le but ? Créer une structure rassemblant les pays d’Europe qui ne peuvent pas encore rejoindre l’UE ou qui ne le souhaitent pas autour de valeurs démocratiques communes. Cette organisation, qui se veut complémentaire à l’Union et non comme une alternative à l’adhésion, a vocation à faciliter les coopérations entre Etats dans des domaines de premier plan, tels que la sécurité, l’énergie ou encore les infrastructures. La CPE devrait tenir sa première réunion d’ici à la fin de l’année sous présidence tchèque.
Les relations avec l’Afrique comptaient aussi parmi les priorités de la France au Conseil. Au cours d’un sommet organisé les 17 et 18 février à Bruxelles entre l’UE et l’Union africaine, qui rassemble l’ensemble des Etats africains, un partenariat renouvelé a été amorcé. Celui-ci concerne des domaines clés comme la sécurité, l’environnement, la santé et les migrations. Les Européens se sont également engagés à investir au moins 150 milliards d’euros en Afrique d’ici à 2030.
Numérique
Les deux projets phares de la régulation du numérique ont fait l’objet d’accords entre le Parlement européen et le Conseil de l’UE lors de la PFUE. Conclu le 24 mars, le Digital Market Acts (DMA) vise à mieux encadrer les activités économiques des plus grandes plateformes, afin de réduire la dépendance des entreprises et des consommateurs vis-à-vis de leurs services et favoriser la concurrence des autres sociétés.
Quant au Digital Services Act (DSA) sur lequel un compromis a été trouvé le 23 avril, il cherche à freiner la diffusion en ligne de contenus illicites (haineux, pédopornographiques, terroristes…) et de produits contrefaits ou dangereux. Les deux textes pourraient maintenant entrer en vigueur avant la fin de l’année.
Indépendance énergétique
Le déclenchement de la guerre en Ukraine a poussé l’Union européenne à prendre une série de mesures concernant l’indépendance énergétique du Vieux Continent. Le Parlement et le Conseil ont ainsi trouvé un accord le 19 mai sur une proposition de règlement visant à faire en sorte que les capacités de stockage de gaz dans l’UE soient comblées avant l’hiver. Afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement en énergie des Etats membres, les installations de stockage devront être remplies au moins à 80 % de leur capacité avant la prochaine saison hivernale et à 90 % les années suivantes.
L’indépendance passe aussi par une montée en puissance d’autres sources d’énergies. Le 27 juin, les Etats membres ont convenu d’un objectif contraignant de 40 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique européen d’ici à 2030. Dans le domaine des transports en particulier, chaque pays pourrait choisir entre une réduction de 13 % de l’intensité des émissions de gaz à effet de serre et celui de 29 % de renouvelables dans la consommation finale du secteur. Le même jour, les ministres réunis au Conseil se sont accordés pour réduire la consommation d’énergie au niveau de l’UE de 36 % pour la consommation finale et de 39 % pour la consommation d’énergie primaire à l’horizon 2030 (suivant le scénario de référence de 2007).
Climat et environnement
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) était une priorité de la PFUE en matière de climat et d’environnement. Il s’agit d’inciter les pays extra-européens à mettre en place des politiques de tarification du carbone pour lutter contre le changement climatique. En faisant payer un prix du carbone aux marchandises importées de pays en-dehors de l’UE, comme une “taxe”, le mécanisme permettrait de limiter la délocalisation d’activités polluantes. Les ministres des Finances des Etats membres ont trouvé un accord le 15 mars dernier.
Les dernières réunions en toute fin de PFUE auront été décisives. Les Conseils Energie, le 27 juin, et Environnement, le 29 juin au petit matin après 17 heures de négociations, ont en effet permis d’aboutir à plusieurs accords sur des textes clés. Le Conseil a ainsi validé l’idée de créer un nouveau marché du carbone pour les secteurs du bâtiment et du transport routier, tout en incluant le transport maritime dans le champ d’application de l’actuel système d’échange de quotas. Ce marché fixe déjà une limite aux émissions de gaz à effet de serre pour les industriels.
Concernant la future taxe carbone aux frontières de l’UE, les ministres de l’Environnement ont convenu de mettre fin aux quotas gratuits pour les secteurs concernés par le mécanisme de manière progressive sur une période de dix ans, entre 2026 et 2035.
Afin d’éviter les effets néfastes de la transition écologique sur le portefeuille des ménages, les Etats membres ont également approuvé la création d’un Fonds social pour le climat. Ils proposent de le constituer sur la période 2027-2032 pour un montant de 59 milliards d’euros et d’y inclure une aide directe aux revenus pour les Européens.
D’autres textes ont obtenu l’aval des ministres, à l’image de la fin de la vente des voitures thermiques à l’horizon 2035 ou un règlement sur la lutte contre la déforestation avec de nouvelles règles concernant l’importation d’une série de produits (huile de palme, viande de bœuf, bois, café, cacao et soja). Ces compromis de fin de présidence française au Conseil ouvrent la voie aux négociations avec le Parlement européen, qui seront conduites par la République tchèque.
Priorités également de la présidence française du Conseil de l’UE, la mise en place de clauses miroir (soit la réciprocité dans les accords commerciaux conclus avec les pays tiers) et la lutte contre l’importation de bois issus de la déforestation incontrôlée n’ont pas autant avancé que prévu. La première mesure, proposée par Paris, n’a pas encore fait l’objet d’un vote formel au sein du Conseil, tout comme la deuxième, issue de propositions de la Commission en novembre 2021.
Economie
Alors que le sommet de Versailles des 10 et 11 mars devait être consacré à un “nouveau modèle de croissance européenne”, c’est l’énergie et la défense qui ont finalement accaparé la réunion des Vingt-Sept, deux semaines après l’invasion russe de l’Ukraine. La révision des règles de déficit (plafond de 3 % du PIB) et de dette (plafond de 60 % du PIB) à long terme, au cœur de ce débat lancé par la Commission européenne en fin d’année dernière, n’a de fait pas beaucoup évolué pendant ce semestre.
Parmi les autres priorités économiques du gouvernement français, le troisième pilier de l’union bancaire visant à garantir les dépôts en cas de faillite des banques n’a pas non plus été achevé. Tandis que la traduction européenne de l’impôt mondial sur les multinationales, d’abord bloquée par la Pologne, subit désormais le veto de la Hongrie.
Social
L’Europe sociale représentait aussi un axe prioritaire de la PFUE. Au titre des réussites de la France au Conseil se trouve en particulier la directive sur les salaires minimums, proposée en octobre 2020 par la Commission européenne et pour laquelle un accord a été trouvé entre les Etats membres et les eurodéputés le 7 juin. Le texte n’établira pas une même et unique rémunération minimale au niveau européen, ce qui serait contraire aux traités, mais favorisera une convergence à la hausse des “smic” des 21 Etats membres qui en sont dotés. Et aura notamment vocation à combattre le dumping social au sein de l’Union.
Autre avancée : la directive sur l’équilibre femmes/hommes dans les conseils d’administration au sein de l’Union européenne. Le 7 juin également, Conseil et Parlement européen sont parvenus à un accord sur ce texte, présenté pour la première fois… en 2012 ! D’ici à 2026, la part de femmes dans les postes d’administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse devra être d’au moins 40 %. En revanche, la directive sur la transparence salariale, qui vise à lutter contre les écarts de salaire femmes/hommes en entreprise et que Paris espérait faire aboutir d’ici la fin de sa présidence, n’a pas encore fait l’objet d’un accord entre Etats membres et eurodéputés.
Espace Schengen et migrations
A l’intérieur des frontières, le chef de l’Etat souhaitait entreprendre une réforme de l’espace Schengen avec notamment la création d’un pilotage politique nommé Conseil Schengen, sur le même modèle que celui de la zone euro. Ce Conseil a effectivement vu le jour lors du Conseil Affaires intérieures du 3 mars puis réuni de nouveau le 10 juin.
Si ces contours ne sont pas encore totalement définis, il doit tout de même jouer un rôle, quatre fois par an, d’analyse des rapports d’évaluation de l’espace Schengen publiés par la Commission. A partir de ces analyses, les Etats membres devraient proposer des orientations politiques afin de réagir plus vite aux potentielles crises qui toucheraient l’espace de libre circulation. La présidence tchèque aurait donné son accord pour ancrer ce format. A suivre.
La présidence française avait également pour ambition de faire avancer les votes concernant les textes du pacte asile et migration, présenté par la Commission le 23 septembre 2020. Certains textes ont effectivement été votés par les Vingt-Sept avant la fin de la PFUE.
Tout d’abord, le 10 juin, le Conseil a approuvé un “mécanisme volontaire de solidarité” qui organise une relocalisation des demandeurs d’asile depuis le pays d’arrivée dans l’UE vers d’autres Etats membres volontaires. Le même jour, l’organe législatif de l’UE s’est aussi prononcé pour un élargissement de la base de données biométriques des demandeurs d’asile (Eurodac) ainsi qu’un système de filtrage lors de l’entrée de migrants dans l’UE.
A noter, la réponse européenne en matière d’accueil des réfugiés ukrainiens après le début de l’invasion russe le 24 février avec le déclenchement du mécanisme d’urgence d’accueil des Ukrainiens. 20 ans après son adoption, celui-ci a été mis en place pour la première fois. Il permet aux Ukrainiens fuyant leur pays d’obtenir facilement un statut de protection temporaire, distinct de celui de réfugié, qui leur ouvre l’accès au marché du travail européen, à la santé, au logement ou encore à l’éducation.
Conférence sur l’avenir de l’Europe
Le 9 mai dernier s’est conclue la Conférence sur l’avenir de l’Europe, un exercice inédit de consultation des citoyens à l’échelle de l’UE. L’idée initiale avait été formulée par Emmanuel Macron en mars 2019. Ce dernier était également présent à Strasbourg au titre de la présidence française du Conseil lors de la restitution des propositions des participants.
Le rapport final qui fait état de 49 préconisations invite ainsi à revenir sur le vote à l’unanimité au Conseil, à donner au Parlement européen un droit d’initiative ou encore à renforcer les compétences de l’UE en matière de santé, d’énergie et de défense. Des changements qui, pour certains, impliqueraient une révision des traités européens, à laquelle 13 Etats membres se sont déclarés hostiles. Au mois de septembre, la Commission européenne devrait formuler des propositions prenant en compte une partie des recommandations des citoyens.
Service civique européen, Conférence sur le handicap, histoire européenne
La concrétisation de certains dossiers au programme n’a pas pu être finalisée. C’est notamment le cas du lancement d’un grand travail sur l’histoire européenne avec des experts indépendants. Idem pour la mise en place d’un fonds européen de soutien au journalisme indépendant et d’investigation. Le Conseil a pu néanmoins recommander la mise en place de nouvelles mesures par la Commission et les Etats membres pour protéger les journalistes.
L’idée d’un service civique européen, “de six mois, ouvert à tous les jeunes de moins de 25 ans pour un échange universitaire ou d’apprentissage, un stage ou une action associative” comme certains l’ont déjà imaginé, en est aussi encore à un état embryonnaire.
Enfin, la PFUE avait prévu d’organiser différentes réunions durant ces six mois sur des sujets comme le handicap ou le développement des universités européennes. La première a bien eu lieu le 9 mars et la deuxième se tiendra le 30 juin, à Versailles, pour le dernier jour de la présidence française du Conseil de l’UE.
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