Mobilité européenne : une odyssée européenne

Pour les générations qui bougent en Europe, encore tellement d’obstacles. Une odyssée européenne

Jusqu’au milieu du XXème siècle, vivre dans un autre pays européen et se confronter à ses traditions et usages était plutôt réservé à la noblesse, au clergé, aux scientifiques (Marie Curie, Alfred Nobel, Émilie du Châtelet), intellectuels (Goethe, Nietzsche, Pirandello), artistes (Modigliani, van Gogh), musiciens (Liszt, Chopin), écrivains (Joyce, Stendhal, Rilke).

Démocratiser cette expérience constitue l’une des promesses du projet européen. Vivre, travailler, faire ses études ou prendre sa retraite dans un autre État membre est devenu une réalité pour une part considérable de citoyens européens. 13,7 millions d’Européens (soit 3,1% de la population européenne) sont des « migrants internes » que nous appellerons des « Européens mobiles », c’est-à-dire des citoyens qui choisissent de vivre dans un État membre de l’Union européenne autre que celui où ils sont nés ou dont ils ont la nationalité.

Si, à titre de comparaison, nous ramenions ce chiffre à la population d’un État européen, il correspondrait à un État plus peuplé que la Belgique – État qui dispose de 21 députés européens. Si ces citoyens avaient une voix commune, leur pouvoir politique ne serait donc pas négligeable.

Souvent, pourtant, les Européens mobiles sont davantage identifiés par leurs passeports nationaux que par leur citoyenneté européenne – et les problématiques administratives et pratiques qu’ils rencontrent lors de leurs expériences en tant que « ressortissants d’un autre État membre » sont bien réelles.


Depuis le Traité de Rome de 1957, la liberté de circulation est garantie aux Européens. Au départ, limitée aux seuls travailleurs, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, les changements de traités et les élargissements successifs ont permis à de nouvelles catégories d’Européens d’acquérir le droit de s’installer dans un autre État membre que celui de leur nationalité.

La mobilité intra-européenne est possible grâce à l’introduction de la citoyenneté européenne dans le Traité de Maastricht entré en vigueur en 1993. Cette mobilité est garantie par l’article 3 TUE, l’article 21 TFUE et l’article 45 de la Charte européenne des droits fondamentaux. Ces articles confèrent aux Européens des droits politiques, ainsi que « le droit de circuler et séjourner librement sur le territoire des États membres ».

A l’heure actuelle, le principe de la libre circulation – qui a été renforcé grâce à l’accord de Schengen de 1995 – s’applique aux 27 États membres de l’Union européenne et aux pays de l’Espace économique européen, qui comprend l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Ce principe s’applique également à la Suisse en vertu d’accords bilatéraux.

Ce sont majoritairement les ressortissants des pays d’Europe centrale et orientale ou du Sud qui décident de résider dans un autre État membre. En 2021, les Roumains, Polonais, Italiens et Portugais ont constitué les principaux groupes d’Européens vivant loin de chez eux. Les flux sont particulièrement prononcés de l’Est vers l’Ouest et du Sud vers le Nord du continent, mais il existe également des flux considérables entre pays voisins, comme l’Allemagne et l’Autriche, la Suède et le Danemark ou entre les États baltes.

L’Allemagne est d’ailleurs le pays européen qui accueille le plus grand nombre de ces Européens mobiles (4,5 millions), suivi de l’Espagne, de l’Italie et de la France. La Croatie, la Bulgarie, la Lituanie et la Lettonie en accueillent moins de 1%.

La libre circulation des personnes, des biens et des services est considérée par les citoyens européens comme l’acquis le plus positif de la construction européenne, suivi de la paix. Dans un contexte géopolitique qui a eu pour effet de remettre la question de la paix en Europe sur le devant de la scène, ce résultat, qui date de l’hiver 2022, peut surprendre.

En même temps, il témoigne de l’attachement des Européens à une Europe « tangible » et souligne l’importance accordée à cette réalisation dont l’impact est très concret. D’ailleurs, 58% des Européens pensent que la libre circulation des personnes est bénéfique pour le marché du travail.

En dépit de ce témoignage d’attachement de la part des Européens et des efforts juridiques entrepris en faveur de la libre circulation, la réalité dévoile, hélas, qu’il reste de vastes marges de progression et de nombreux axes d’amélioration. C’est pourquoi il demeure impératif d’analyser les obstacles qui, dans la pratique, complexifient la mobilité des citoyens et empêchent la réalisation d’une Europe à taille humaine.

Débuter sa vie professionnelle en tant que « ressortissant étranger »

La plupart des Européens qui vivent dans un autre État membre le font pour des raisons professionnelles. L’article 45-1 TFUE garantit la libre circulation des travailleurs et dispose que « la libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ».

Dans la pratique, les Européens mobiles sont encore l’objet de discriminations. Parfois, les employeurs demandent des documents supplémentaires aux futurs employés bien qu’ils ne soient pas nécessaires (par exemple une autorisation de travail en France) complexifiant ainsi inutilement le processus d’embauche.

Dans d’autres cas, les diplômes acquis dans un autre État membre ne sont pas automatiquement reconnus, ce qui limite l’accès au marché de travail dans l’État d’accueil. De jure, la reconnaissance des diplômes existe au niveau européen. La convention de Reconnaissance de Lisbonne de 1997 et le processus de Bologne de 1998 sont les instruments juridiques les plus importants en la matière. La reconnaissance professionnelle des qualifications est également encadrée par la loi européenne (et ceci déjà depuis l’article 57 du Traité de Rome[1]).

Désormais, l’article 53 TFUE en constitue la base légale. De facto, les règles européennes ne sont pas systématiquement bien respectées ou connues. Les employeurs, par exemple, ne considèrent pas toujours les qualifications acquises dans un autre État membre comme étant un indicateur fiable de compétences et écartent, dès le départ, les candidats qui ne sont pas des ressortissants du pays de l’entreprise. De plus, les procédures de reconnaissance de qualifications – pour les cas où elle s’impose – sont souvent très complexes. Un manque de connaissances parmi les travailleurs concernant les qualifications requises dans le pays d’arrivée est également la source de malentendus.

En outre, les ressortissants d’un autre État membre souhaitant faire appel à des services liés à l’emploi rencontrent souvent des discriminations : c’est ce qu’une étude récente démontre, témoignant de la discrimination institutionnelle qui existe dans les agences pour l’emploi allemandes à l’égard des Européens mobiles.

A l’issue de cette étude, le principal constat est que « beaucoup d’agents sont dévoués mais ne peuvent pas traiter correctement les cas souvent complexes de nombreux citoyens de l’Union européenne[2]« . Souvent, ce sont des règles tacites ou la pratique quotidienne des agents qui font obstacle à l’application par l’Allemagne des obligations qui résultent du droit européen.

Les institutions européennes ont conscience du fait que ces droits ne sont pas toujours respectés par les administrations nationales et par les employeurs et qu’ils restent mal connus des Européens eux-mêmes. Dans la Directive 2014/54/UE du Parlement européen et du Conseil, une « fracture entre le droit et son application effective » est identifiée. Neuf ans après ce constat, cette fracture persiste toujours dans le quotidien de nombreux travailleurs européens.

La mobilité européenne des étudiants à l’épreuve

Les étudiants peuvent aussi profiter de la libre circulation au sein de l’Union européenne pour commencer, poursuivre ou compléter leurs études dans un autre État membre que le leur. Depuis 2014, les apprentis européens ont également la possibilité de profiter des bourses de programmes de mobilité européenne.

Cette mobilité est d’ailleurs très appréciée : plus de 10 millions d’étudiants et d’apprentis ont déjà bénéficié du programme Erasmus+ et de ses prédécesseurs qui facilitent depuis de nombreuses décennies les échanges universitaires et les expériences d’apprentissage à l’étranger. Ce chiffre n’inclut pas toutes les mobilités d’étudiants et d’apprentis qui ont été réalisées hors du cadre du programme Erasmus+, si bien que le chiffre réel de jeunes Européens mobiles s’avère beaucoup plus élevé.

Pourtant, cette mobilité n’est pas tout à fait acquise non plus, comme le montre l’exemple autrichien suivant. Les déserts médicaux sur le territoire du pays et le manque de médecins font partie des principaux enjeux de la politique de santé autrichienne. Des solutions comme l’amélioration des conditions de travail pour les médecins en Autriche ou l’ouverture de places supplémentaires au sein des cursus de médecine semblent avoir moins de résonance dans le débat politique que les suivantes : limiter le nombre d’étudiants en médecine venant des autres États membres ou obliger les étudiants en médecine en Autriche à exercer leur métier sur le territoire autrichien pendant un certain nombre d’années après avoir fini leurs études.

Ces deux propositions sont fortement contestées par des juristes en droit européen car elles iraient toutes les deux à l’encontre de la liberté de mouvement des citoyens.
Ce problème n’est pas nouveau : l’Autriche s’est déjà vue réprimandée par la Cour de justice dans le passé et une situation identique en Belgique a fait l’objet d’une question préjudicielle. Dans les deux cas, ces États membres ont tenté de limiter l’afflux de ressortissants d’autres États membres en tant qu’étudiants en médecine par des mesures enfreignant le droit à la libre circulation des étudiants.

La CJUE a précisé que ces mesures pouvaient être considérées comme une forme de « discrimination indirecte » fondée sur la nationalité, à moins qu’elles ne soient justifiées par l’objectif de protection de la santé publique. C’est pour préserver cet objectif que l’Autriche avait instauré un quota de 75% d’étudiants disposant d’une Matura (bac) autrichien, 20% d’étudiants venant d’autres États membres européens et 5% d’étudiants hors-UE. Même si cette situation peut être justifiée de jure, elle complexifie la mobilité de facto.

Une nouvelle aventure européenne pour sa retraite

Parmi les Européens mobiles se trouvent de plus en plus de retraités. Ils sont nombreux à s’installer dans un autre État membre, à la recherche d’un climat plus clément, d’une autre expérience pour cette nouvelle phase de leur vie ou d’un rapprochement avec certains de leurs enfants partis vivre ailleurs. À titre d’exemple, 510 741 Français retraités seraient installés dans un autre État membre de l’Union en 2022, 27 000 Allemands percevraient leur retraite en Autriche et 22 000 en Italie, 3 500 retraités italiens vivraient au Portugal.

Cette situation est possible et légale au sein de l’Union européenne. Les retraités ont le droit de percevoir la pension pour laquelle ils ont cotisé, quand bien même ils auraient travaillé dans plusieurs États membres et quand bien même ils résideraient dans un État membre autre que celui dont ils ont la nationalité. Cette mobilité des Européens retraités n’est pourtant pas sans difficultés.

Le problème auquel ils sont le plus souvent confrontés est la durée des procédures qui peuvent être très longues. Dans certains cas, les citoyens rencontrent des obstacles administratifs allant jusqu’à un an pour calculer les droits à pension pour la période durant laquelle ils ont travaillé dans un autre pays.

De plus, les systèmes de retraite des différents États membres varient significativement, ce qui complexifie les demandes des Européens mobiles auprès des administrations nationales. Comme le montrent les exemples de « problèmes résolus » de la plateforme Solvit mise en place par l’Union, un ressortissant européen ayant travaillé dans plusieurs États membres peut se voir refuser à tort une partie de ses droits à pension par les autorités nationales car elles ne reconnaissent pas son temps de travail à l’étranger.
Ces difficultés sont de nouveau à mettre sur le compte de la méconnaissance par les administrations nationales des droits dont les Européens mobiles bénéficient en vertu de la législation européenne.

Se loger en Europe : une démarche herculéenne

« Un homme sans domicile est un vagabond », selon George Bernard Shaw. Sous peine d’être condamné à errer, trouver un domicile est par conséquent une nécessité pour l’Européen mobile fraîchement arrivé dans un nouvel État membre de l’Union. Le droit primaire de l’Union européenne ne garantit pas et n’encadre pas le droit au logement. Les traités n’en font aucune mention. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en son article 34, garantit « le droit à une aide sociale et à une aide au logement », mais n’érige pas le droit au logement en tant que droit fondamental, comme le fait par exemple le droit français[3].

La Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt du 14 janvier 1988[4], a tout de même considéré que « pour assurer la parfaite égalité de concurrence, le ressortissant d’un État membre désireux d’exercer une activité non salariée dans un autre État membre doit pouvoir se loger dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficient ses concurrents nationaux de ce dernier État.

De ce fait, toute restriction apportée non seulement au droit d’accès au logement, mais également aux diverses facilités accordées à ces nationaux pour en alléger la charge financière doit être regardée comme un obstacle à l’exercice de l’activité professionnelle elle-même ».

En conséquence, la Cour a considéré que la loi italienne qui réservait « aux seuls ressortissants italiens […] l’accession à la propriété et à la location de logements construits ou restaurés à l’aide de fonds publics » était contraire au droit de la Communauté européenne[5]. Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’un type de logement particulier, puisque le litige portait sur l’accès des travailleurs européens aux logements sociaux italiens. Il s’agissait également d’une différence de traitement de jure et non de facto.

De facto, 35 ans plus tard, les travailleurs et citoyens européens se trouvent toujours confrontés à d’importantes difficultés pratiques lorsqu’ils recherchent un logement.
Prenons un exemple (fictif !) : Themistoklis, étudiant grec, décide de poursuivre ses études en droit pénal à l’École de Droit de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas. Une fois arrivé dans le pays, il doit faire face à toute une série de difficultés pour trouver un logement.

Tout d’abord, outre la barrière linguistique et la forte concurrence sur le marché immobilier, Themistoklis constate que les propriétaires peuvent préférer des locataires qui disposent d’un garant de nationalité néerlandaise ou résidant fiscalement aux Pays-Bas. Bien qu’elle soit interdite dans certains États membres, comme la France[6], cette pratique est fréquente dans de nombreux pays européens. Elle constitue une discrimination de facto et désavantage les Européens mobiles qui ne disposent pas d’un tel garant.

Les Européens mobiles peuvent rencontrer d’autres obstacles administratifs lorsqu’ils souhaitent louer un logement. Souvent, par exemple, un compte bancaire local est demandé, ce qui peut s’avérer difficile pour un citoyen européen récemment arrivé dans un autre État membre. Toutes ces difficultés combinées font que les Européens mobiles à la recherche d’un logement se voient confrontés à des délais procéduraux et à une incertitude, bien plus importants que pour leurs homologues locaux.

De façon surprenante, ces contraintes sont encore largement ignorées par la littérature académique et ne font que très peu l’objet de rapports, d’études ou d’analyses statistiques. Il en résulte une absence de données permettant d’établir la discrimination dont sont victimes les ressortissants européens dans l’accès au logement.

Ouvrir un compte bancaire et obtenir un numéro de téléphone : le casse-tête européen

L’ouverture d’un compte bancaire, ainsi que l’obtention d’un numéro de téléphone, constituent deux étapes essentielles dans toute installation au sein d’un nouvel État membre.
À l’ère de la numérisation des services, des super-applications et de la fintech, ces deux démarches devraient pouvoir être exécutées partout aisément. Les difficultés que les Européens mobiles rencontrent en les effectuant constituent des obstacles à leur installation qui ne sont pas négligeables.

C’est également, hélas, un indicateur du retard qu’accuse l’Europe en termes d’innovation. Soulignons également que l’existence d’un marché commun devrait avoir pour conséquence l’élimination de tout ce qui peut constituer un frein à l’intégration des Européens mobiles issus d’un État membre dans un autre pays de l’Union européenne.

Encore une fois, un fossé existe entre les réglementations et la réalité. Il est vrai que des directives ont été adoptées pour faciliter ces processus. En ce qui concerne l’obtention d’un compte bancaire dans un autre État membre, la directive 2014/92/UE dite « PAD » permet aux citoyens de l’Union européenne de demander l’ouverture d’un « compte de paiement de base » dans une banque de leur choix, indépendamment de leur lieu de résidence.

Cependant, chaque pays a ses propres règles quant aux modalités d’ouverture d’un compte, ce qui complexifie les démarches. En Espagne, par exemple, un identifiant fiscal attribué aux non-nationaux, appelé « Número de Identificación de Extranjero » (NIE) est demandé aux étrangers, sans qu’une véritable distinction entre citoyens européens ou extra-européens ne soit faite. Ce manque de différenciation est surprenant et conduit, par ricochet, à s’interroger sur la raison d’être de la « citoyenneté européenne ». Cette forêt administrative est rendue encore plus dense par les demandes spécifiques de chaque institut bancaire.

Vive l’Union bancaire !

Tout lecteur un tantinet soucieux pourrait se demander pour quelle raison un Européen mobile préférerait ouvrir un nouveau compte bancaire plutôt que garder celui de son pays d’origine. Les Européens mobiles pourraient considérer, à juste titre et eu égard aux différentes étapes nécessaires, cette démarche comme non-essentielle. Or une autre difficulté importante se pose : la discrimination à l’égard des numéros de compte bancaire (IBAN), c’est à dire, le fait qu’une banque, un commerçant, un particulier ou un organisme public refuse d’accepter des IBAN non locaux.

Selon le règlement européen SEPA (Single Euro Payments Area), aucune distinction ne devrait être faite en fonction du pays d’origine des comptes de paiement. Cependant, des cas de discrimination à l’IBAN ont été signalés à plusieurs reprises[7]. Entre le 15 mars et le 15 août 2021, plus de 1000 rapports ont été soumis à travers la plateforme Accept My IBAN[8]. La France représente plus de 40% des cas, tandis que l’Espagne et l’Allemagne représentent chacun environ 15% des cas[9].

De nombreux signalements ont été partagés avec la Commission européenne, qui a mis en place une plateforme pour signaler toute infraction aux autorités nationales compétentes et qui peut utiliser ces données comme des informations supplémentaires pour s’assurer que les États membres se conforment à la loi. La Commission européenne prévoit par ailleurs d’engager des procédures d’infraction à l’encontre des États membres qui ne respecteraient pas cette règle[10].

Une mention s’impose concernant le retrait d’argent. Le règlement 2019/518 interdit l’application de frais supplémentaires lors des retraits dans un pays de la zone euro. En application de ce règlement, la banque est tenue d’appliquer les mêmes tarifs que pour un retrait dans le pays de résidence[11]. Il est à noter que l’Espagne et la Grèce constituent une exception. Dans ces pays, en cas d’absence d’accord entre la banque d’appartenance du citoyen européen et la banque espagnole ou grecque, des frais bancaires peuvent être débités[12].

Néanmoins, la réalité se présente différemment de ce que la réglementation européenne prévoit. De nombreux citoyens européens se voient confrontés à des coûts supplémentaires exorbitants – allant parfois jusqu’à 5 € par retrait – quand ils retirent de l’argent avec une carte bancaire qui n’est pas émise par une banque locale.

La téléphonie mobile …dans un cadre national

Un nouveau numéro de téléphone est une condition sine qua non pour effectuer certaines opérations. Pourtant, son obtention peut également poser des problèmes non négligeables aux Européens mobiles. Par exemple, dans certains États membres de l’Union, tels que la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique ou l’Espagne, un numéro de téléphone portable du pays est requis pour ouvrir un compte bancaire en ligne[13].

S’il est vrai que, généralement, effectuer des opérations en ligne nécessite de fournir davantage d’informations, un numéro de téléphone du pays peut également être demandé en agence pour l’ouverture d’un nouveau compte bancaire.

Une fois que le citoyen, Européen mobile, se résout à obtenir un nouveau numéro de téléphone, il devra faire face à des situations de type Catch-22[14]. En accomplissant les démarches chez certains opérateurs téléphoniques dans des pays comme l’Espagne, l’Italie, la France ou la Belgique, il s’aperçoit qu’il lui est impossible de souscrire un nouveau numéro de téléphone à moins de disposer d’un numéro dans le pays d’accueil – une situation pour le moins paradoxale, voire ubuesque, pour tout nouvel arrivant[15].

Si cette situation concerne principalement les démarches en ligne, le problème peut, une fois de plus, aussi se présenter en agence[16]. De plus, chez certains opérateurs téléphoniques, un document, un code ou une application particulière au pays sont demandés[17].

L’ensemble de ces difficultés souligne la nécessité d’une simplification des procédures  » administratives  » dans l’Union européenne afin de faciliter la mobilité des citoyens et leur intégration dans un nouvel État membre. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour garantir l’égalité d’accès aux services bancaires et aux services de télécommunications, quel que soit le pays d’origine des citoyens de l’Union européenne.

***

Quelle pourrait donc être la réponse européenne face aux difficultés que rencontrent encore les Européens mobiles dans cet espace de libre circulation ? La réponse doit résider dans l’esprit des « réalisations concrètes[18]« .

Il faudrait tout d’abord consacrer des efforts à la production d’études, de rapports et de sondages qui pourraient aider les institutions européennes et nationales à mieux saisir les problématiques rencontrées par les Européens mobiles et témoigner de leur ampleur.

Ensuite, des lignes directrices européennes précises devraient être accessibles, dans les 24 langues officielles, pour les administrations nationales et locales, les employeurs et travailleurs, les universités et étudiants ainsi que pour les locataires et propriétaires, les opérateurs bancaires et téléphoniques et les clients illustrant les droits dont ils disposent ainsi que les obligations auxquelles ils sont assujettis.

De plus, un effort supplémentaire devrait être fait pour lutter contre les discriminations de facto à travers l’imposition de sanctions plus fréquentes[19] et la mise en place de plateformes qui faciliteraient le signalement des infractions (comme, par exemple, la discrimination au logement).

Il serait également utile de promouvoir des mécanismes uniformes de sécurisation des transactions pour le paiement de cautions ou l’authentification de tout locataire européen. Ces mécanismes permettraient à toute personne cherchant un logement de disposer d’une garantie solide tout en égalisant les conditions de concurrence et en rassurant les propriétaires et les agences immobilières.

Des dispositifs similaires existent déjà : par exemple, en France, le système de Garantie Visale dispense le locataire de présenter toute autre caution au propriétaire. De tels mécanismes devraient être encouragés dans tous les États membres, selon des dispositions uniformes à l’échelle européenne.

Enfin, de façon plus ambitieuse, un indicatif téléphonique unique pour l’Union européenne pourrait être créé, afin d’assurer le bon déroulement de toute démarche administrative, sans que les préfixes nationaux ne constituent de contrainte.

Il est important ici de souligner que l’élimination des discriminations sur le lieu de travail, dans les démarches administratives ou bancaires (IBAN), la facilitation des démarches requises pour l’ouverture d’un compte bancaire, ou plus globalement, la simplification de la vie des Européens mobiles, présenteraient plusieurs bénéfices pour l’Union européenne.

Parmi ces bénéfices, nous pouvons citer la facilitation des transactions transfrontalières, le renforcement du marché unique, une meilleure confiance des consommateurs, l’augmentation de la mobilité interne et, dans l’ensemble, le développement de l’intégration financière. Ces avantages contribueraient à renforcer la coopération et l’intégration européennes, tout en stimulant la croissance économique et le bien-être des citoyens européens qui font le choix de la mobilité.

Améliorer la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne présenterait un second effet positif : celui du renforcement du sentiment d’appartenance à l’Union. Les citoyens mobiles exposés à une « Europe qui marche », une Europe à la hauteur de ses promesses, c’est-à-dire une Europe qui soit un véritable espace de liberté de mouvement, seront les Européens les plus convaincus de l’importance de construire une Union plus solide et plus intégrée.

Les auteurs remercient pour leur aide, Basile Desvignes, Sixtine Hartog, Romain Maillot, et Lina Nathan, assistants de recherche.

[1] Le paragraphe premier de l’article 57 du traité de Rome dispose en effet qu’ « afin de faciliter l’accès aux activités non salariées et leur exercice, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation de l’Assemblée, arrête, en statuant à l’unanimité au cours de la première étape et à la majorité qualifiée par la suite, des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres. »

[2] Ratzmann, Nora (2022) « We Treat Everyone the Same », Formal and Informal Expressions of Institutional Discrimination Against Intra-EU Migrant Citizens in German Job Centres, DeZIM Research Notes 13, https://www.eumigra.de/news/nach-wie-vor-institutionelle-diskriminierung-von-eu-buergern-in-deutschland.html
[3] L’article 1er de la loi du 6juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs dispose que « le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent »
[4] Cour de justice des Communautés européennes, 14 janvier 1988, Commission des Communautés européennes
contre République italienne, disponible ici.
[5] Ibidem
[6] L’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 dispose en effet que la caution présentée ne peut être refusée « au motif qu’elle ne possède pas la nationalité française ou qu’elle ne réside pas sur le territoire métropolitain ».
[7] Wise, « Accept My IBAN : over 1000 cases of IBAN discrimination », 15 octobre 2021, disponible ici
[8] Ibidem
[9] Ibidem
[10] BCE, « Discrimination à l’IBAN », disponible ici
[11] Centre européen des consommateurs – Paiement et vie quotidienne – Retrait d’argent en Europe, disponible ici
[12] Ibidem
[13] C’est le cas, au moment d’ouvrir un compte en banque en ligne, dans les établissements UniCredit et Findomestic (Italie), Deutsche Bank (Allemagne), ING (Belgique), Société générale et Banque postale (France) et BBVA (Espagne).
[14] Un terme utilisé en référence au roman de Joseph Heller (1961), pour désigner une situation où un individu ne peut éviter un problème en raison de la contradiction des règles ou des contraintes.
[15] C’est le cas, au moment d’obtenir un nouveau numéro de téléphone, auprès des opérateurs Wind3 et TIM (Italie), Proximus et Orange (Belgique), Orange, Bouygues, Free (France), Lowi, Orange, Yoigo, Más Movil, Movistar et Vodafone (Espagne).
[16] C’est le cas, par exemple, chez la Banque Postale (France)
[17] Ce n’est pas le cas, au moment d’obtenir un nouveau numéro de téléphone, auprès de Vodafone (Italie) où un codice fiscale est demandé, auprès de Scarlet et VOO (Belgique) où l’application d’identité numérique It’s Me est nécessaire
[18] Déclaration Schuman, 9 mai 1950, disponible ici
[19] En France par exemple toute personne se rendant coupable d’une discrimination dans l’accès au logement est passible d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende (article 225-1 du code pénal). Une sanction qui, dans les faits, n’est malheureusement pas suffisante à décourager la pratique, largement diffusée, de demander des garants de nationalité française ou résidant fiscalement en France.

Directeur de la publication : Pascale JOANNIN

Pour les générations qui bougent en Europe, encore tellement d’obstacles. Une odyssée européenne (robert-schuman.eu)