Le projet Media Freedom Act a été présenté le 16 septembre 2022 par la Commission européenne. Celui-ci vise à garantir des médias libres et à assurer leur pluralité.
“Aucun journaliste ne devrait être espionné en raison de son activité ; aucun média public ne devrait devenir un organe de propagande” : c’est contre de telles dérives, résumées par la vice-présidente de la Commission Věra Jourová, qu’entend lutter le projet de règlement européen sur la liberté des médias (European Media Freedom Act, ou EMFA).
Annoncé dès avril 2021 par le commissaire européen chargé du marché intérieur Thierry Breton, l’EMFA a été présenté le 16 septembre 2022. Le règlement cherche à renforcer l’indépendance des médias et des journalistes, à garantir un financement stable des médias de service public et à limiter les concentrations. Il propose également de créer un Comité européen pour les services de médias, qui regrouperait les autorités nationales de régulation.
L’EMFA fait le lien direct entre consolidation de la démocratie et régulation des médias, auxquels il attribue un “rôle capital pour assurer une sphère citoyenne saine et garantir les libertés économiques et les droits fondamentaux”. Le projet fait partie intégrante du plan d’action de la Commission pour la démocratie européenne présenté en décembre 2020. Cette feuille de route vise à lutter contre la montée des extrémismes et le risque d’ingérence étrangère dans les scrutins électoraux, en promouvant des élections libres et équitables et en luttant contre la désinformation dans tous les Etats membres.
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Quels sont les principaux problèmes ciblés par le Media Freedom Act ?
Avec le projet d’acte européen, la Commission cherche à préserver l’indépendance et le pluralisme des médias. Si elle note que “la gravité des problèmes varie d’un Etat membre de l’UE à l’autre”, elle souhaite combattre des “tendances de plus en plus inquiétantes” qui touchent l’ensemble du secteur.
En premier lieu, l’exécutif européen déplore une augmentation des ingérences dans les décisions éditoriales des médias, issues d’acteurs publics comme privés. Des pressions principalement liées aux difficultés de financement des fournisseurs de médias depuis l’avènement d’internet, les lecteurs étant aujourd’hui beaucoup moins disposés à payer pour l’information. Selon une enquête Eurobaromètre de 2022, 70 % des Européens qui accèdent à l’information en ligne consultent uniquement du contenu ou des services gratuits.
La Commission fait ainsi état d’une “allocation opaque et déséquilibrée des ressources économiques”. L’Observatoire du pluralisme des médias, sur lequel elle s’appuie, est plus précis : les “modèles d’entreprise et nouvelles pratiques commerciales […] brouillent souvent la frontière entre l’information et la publicité, ou dépendent davantage de l’aide publique et des subventions gouvernementales”.
Les médias de service public sont particulièrement touchés par les risques d’ingérence politique dans leur ligne éditoriale. Dans plusieurs Etats, ceux-ci ne sont pas suffisamment protégés : le processus de nomination et de révocation de leurs dirigeants et des membres de leur conseil d’administration est ainsi jugé insuffisamment transparent, avec des choix pouvant être politisés.
Beaucoup de médias d’Europe de l’Est dépendent par ailleurs de rétributions liées aux publicités commandées par leurs gouvernements. Des contenus qui peuvent, même lorsqu’ils ne sont pas directement politiques (par exemple une compagnie énergétique publique qui fait la promotion de ses services), véhiculer des messages vantant notamment les mérites du gouvernement en place. Et ainsi influencer les opinions publiques lors de campagnes électorales.
Le pouvoir des Etats en matière d’autorisation de diffusions peut aussi menacer l’indépendance des médias. En Pologne, un projet de loi finalement abandonné en 2021 visait à interdire de radiodiffusion les médias détenus par des opérateurs non européens. En ce qui concerne la Hongrie, l’ONG Human Rights Watch alerte sur le rôle du “Conseil des médias”, lié au gouvernement en place. En 2022, il avait par exemple refusé de prolonger la licence de diffusion de la radio indépendante Klubradio, ce qui a forcé la station à quitter les ondes. Dans une résolution de novembre 2020, le Parlement européen condamnait de son côté “les tentatives de certains gouvernements de réduire au silence les médias critiques et indépendants”.
Au sujet du secteur privé, la Commission note que les concentrations se sont intensifiées depuis plusieurs années : elles se situent désormais “à un niveau de risque très élevé sur l’ensemble du continent”. Une tendance qui réduit le pluralisme et la diversité des points de vue. Le commissaire européen Thierry Breton déplore ainsi une “forte concentration du capital des médias dans les mains d’une poignée de propriétaires”.
Autre menace pour le journalisme : le nombre croissant de professionnels craignant pour leur intégrité physique. “Entre autres violations”, le rapport 2022 sur l’état de droit dans l’UE rapporte des “cas de harcèlement verbal, des menaces de poursuites judiciaires, des agressions physiques, des atteintes aux biens, des incitations à la violence, des campagnes de dénigrement et de la censure”. En 2021, deux journalistes ont été assassinés au sein de l’Union européenne, en Grèce et aux Pays-Bas.
La même année, une enquête journalistique a par ailleurs accusé plusieurs Etats dans le monde dont quatre membres de l’UE (Grèce, Pologne, Hongrie et Espagne, auxquels s’est ensuite ajoutée Chypre) d’avoir utilisé le logiciel “Pegasus” pour espionner, entre autres, des opposants et des journalistes.
“L’état de droit est une valeur des Etats européens et de l’Union européenne”
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Quelles sont les règles européennes actuelles encadrant les médias dans l’Union européenne ?
L’EMFA doit compléter plusieurs législations européennes déjà en vigueur ou en cours de discussion. En voici les principales.
La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) coordonne la réglementation des médias audiovisuels au niveau national. Révisée en 2018, elle liste les conditions que les Etats membres doivent garantir à l’égard de leurs autorités de régulation : indépendance par rapport aux pouvoirs publics, impartialité, transparence, obligation de rendre des comptes, ressources, procédures de nomination et de renvoi et mécanismes de recours.
Adoptée en 2019, la directive européenne sur le droit d’auteur régule la propriété littéraire et artistique. Elle a notamment instauré un droit voisin, qui rémunère les médias lors de la réutilisation de leurs articles par les agrégateurs d’informations en ligne, à l’image de Google Actualités.
Les règles européennes de la concurrence garantissent quant à elles que, dans le secteur des médias comme ailleurs, aucun acteur ne soit en situation de monopole. Toutefois, celles-ci ne prennent pas directement en compte les conséquences des concentrations sur le pluralisme et l’indépendance des médias. Tandis que les règles relatives aux aides d’Etat “ne répondent pas suffisamment aux problèmes engendrés par l’allocation inéquitable des ressources d’Etat” d’un média à l’autre, note la Commission.
Entré en application en août 2023, le Digital Services Act (DSA) oblige les plateformes à retirer les contenus illicites en ligne, y compris lorsque ceux-ci proviennent de médias. Tandis qu’un code de bonnes pratiques contre la désinformation encourage les plateformes et réseaux sociaux à s’associer avec des médias pour garantir la qualité des contenus qui y sont diffusés.
Enfin, citons la directive anti-SLAPP : proposée en avril 2022, celle-ci s’attaque aux poursuites abusives à l’encontre des professionnels des médias. Des “poursuites-bâillons” qui visent à faire pression sur les journalistes en les menaçant, par exemple, d’un procès en diffamation après la publication d’un article d’investigation.
Quels médias sont concernés par l’EMFA ?
L’acte sur la liberté des médias couvre un champ plus large que la directive européenne sur les services audiovisuels : émissions de télévision et de radio, services de médias audiovisuels à la demande, podcasts audio et publications de presse y sont désormais inclus.
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Que prévoit l’EMFA pour améliorer l’indépendance des médias ?
Pour la Commission européenne, les difficultés de financement des médias sont la principale cause de leur manque d’indépendance.
A propos des médias de service public, l’acte européen invite les Etats membres à veiller à ce que les fonds publics qui leur sont dédiés soient suffisants et stables. Ce financement devrait de préférence être décidé et alloué sur une base pluriannuelle. La direction et le conseil d’administration des médias de service public devront également être nommés de manière “transparente, ouverte et non discriminatoire”. Enfin, ces médias devront s’attacher à communiquer des informations et des opinions diverses de manière impartiale.
Afin d’éviter que des gouvernements n’utilisent la publicité pour diffuser des messages politiques, le règlement prévoit que les autorités publiques (au niveau national, régional, ou local pour les entités territoriales de plus d’un million d’habitants) dévoilent chaque année des informations sur leurs dépenses publicitaires dans les médias, notamment le montant total dépensé et le montant par média. Dans son vote du 3 octobre 2023, le Parlement européen a également proposé de limiter la publicité allouée à un fournisseur de médias, à une plateforme ou un moteur de recherche en ligne.
Un Etat pourra par ailleurs être tenu de justifier, auprès de la Commission, ses décisions susceptibles d’influencer le secteur des médias, comme le retrait de licences de diffusion.
Le texte propose également que les rédacteurs en chef aient la liberté de prendre individuellement toute décision éditoriale. Un point qui pourrait, selon les éditeurs de presse opposés à cette disposition, avoir pour conséquence de priver les éditeurs de leur responsabilité juridique.
Enfin, les médias devront prendre des mesures “qu’ils jugent appropriées” pour garantir l’indépendance des décisions éditoriales et mettre au jour tout conflit d’intérêts potentiel ou réel.
Les aides publiques aux médias dans les Etats membres
Chaque Etat de l’Union européenne dispose de son propre système d’aide aux médias, privés et de service public. Celui-ci peut combiner :
- une redevance payée par les citoyens (particulièrement élevée en Allemagne, récemment supprimée en France) ;
- des financements directs (comme en France, en Finlande et en Italie) ;
- des avantages fiscaux (réduction de TVA, tarifs postaux préférentiels…) ;
Quelles sont les dispositions visant à lutter contre la concentration des médias et à favoriser leur pluralisme ?
Le projet d’acte européen ne cherche pas à empêcher les concentrations de médias. Il ne fixe pas non plus de seuils spécifiques de concentration. Il demande cependant aux autorités nationales de procéder à une évaluation de ces concentrations et de leur impact sur le pluralisme des médias et l’indépendance éditoriale dans leur Etat. Une évaluation examinée par le futur Comité européen pour les services de médias (voir plus bas).
L’EMFA prévoit, dans son article 6.1, que les médias rendent publique la liste des personnes physiques qui en sont propriétaires. Une disposition toutefois mise en cause par un arrêt de la Cour de justice de l’UE en novembre 2022 : saisie sur un autre texte européen (la directive anti-blanchiment), l’institution a estimé que l’accès du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs constituait “une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel”.
L’EMFA prévoit enfin un droit de personnalisation des contenus : les utilisateurs pourront sur tout appareil et interface modifier les paramètres par défaut afin de refléter leurs propres préférences de lecture.
En 2022, le rapport de l’Union européenne sur l’état de droit notait que “de nouvelles lois visant à renforcer la transparence et la divulgation au public d’informations en matière de propriété des médias ont été adoptées en Croatie, à Chypre, en Estonie, en Grèce, en Pologne, au Portugal et en Espagne”. Le texte ajoute que “les Pays-Bas et la France restent confrontés à des défis en la matière”.
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L’acte européen sur la liberté des médias prévoit-il des mesures pour favoriser la sécurité des journalistes ?
En complément d’un autre texte sur les procédures-bâillons, l’EMFA propose d’interdire l’utilisation de logiciels espions et d’outils de surveillance contre les médias, les journalistes et leurs familles. Il prévoit toutefois des exceptions de sécurité nationale, qui devront être évaluées par un juge.
Chaque Etat devra permettre aux journalistes de saisir une juridiction indépendante pour demander une protection, ou une autorité indépendante pour déposer une plainte, contre l’utilisation de logiciels espions. Celle-ci aura trois mois pour répondre.
La commission d’enquête PEGA
S’appuyant sur une enquête d’un an menée par la commission (PEGA), le Parlement européen a conclu en mai 2023 que les logiciels espions ne devraient être autorisés que dans des cas exceptionnels et pour une durée limitée.
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Qu’est-ce que le Comité européen pour les services de médias ?
L’acte européen sur la liberté des médias prévoit de remplacer l’actuel groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (Erga, créé par la directive sur les services audiovisuels) par un Comité européen pour les services de médias (CESM). Celui-ci rassemblera les autorités nationales de régulation des médias, comme l’Arcom en France.
Bien que le secrétariat du comité soit assuré par la Commission, l’organe est décrit dans la proposition initiale comme indépendant de l’exécutif européen. Toutefois, tant le Conseil de l’Union européenne que le Parlement européen souhaitent renforcer cette indépendance.
Le CESM pourra notamment émettre des avis sur les décisions de concentration de médias lorsqu’elles menacent l’indépendance et le pluralisme. Il sera en outre chargé de conseiller la Commission sur la mise en œuvre du règlement, comme le fait déjà l’Erga à propos de la directive sur les services de médias audiovisuels.
Bien que les décisions du CESM ne soient pas contraignantes, la Commission espère qu’il insuffle une pression par les pairs et un échange de bonnes pratiques, aboutissant à la constitution de normes minimales de protection au niveau européen pour les médias.
Médias en ligne
En application du Digital Services Act (DSA), les très grandes plateformes en ligne – plus de 45 millions d’utilisateurs dans l’UE – doivent prévenir les médias et motiver leur décision lorsqu’elles veulent retirer l’un de leurs contenus. Toute plainte déposée par les fournisseurs de média en ligne doit être traitée en priorité par ces plateformes.
L’article 17 de l’EMFA, qui précise les modalités et les bénéficiaires de ce “privilège des médias”, fait l’objet de nombreux débats. Certains acteurs craignent notamment qu’il ne permette pas de lutter efficacement contre la diffusion de fausses informations par des sociétés malveillantes.
Dans son vote du 3 octobre 2023, le Parlement européen a proposé d’accorder un délai de 24 heures aux médias entre la notification et le retrait d’un contenu par une plateforme. Il souhaite également que les médias divulguent les fonds publics qu’ils reçoivent, y compris de pays tiers. Enfin, les députés ont appelé à la création d’un mécanisme de surveillance des mesures de retrait de contenus.
Numérique : que sont le DMA et le DSA, les règlements européens qui visent à réguler internet ?
Quand ce règlement sera-t-il appliqué ?
Comme la majorité des règlements, l’acte européen sur la liberté des médias doit être adopté par le Parlement européen et le Conseil de l’UE pour entrer en vigueur. Les Etats membres ont adopté leur position le 21 juin 2023, suivis par les députés européens le 3 octobre sur la base du rapport de l’eurodéputée allemande Sabine Verheyen (PPE). La présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne souhaite un accord entre les deux institutions d’ici le mois de novembre.
Dans sa résolution de septembre 2022 sur la situation des droits fondamentaux, le Parlement européen a mis l’accent sur la détérioration de la liberté des médias dans l’UE, plus particulièrement en Hongrie, en Pologne et en Slovénie.
Le Comité européen des services de médias devrait voir le jour trois mois après l’entrée en vigueur du règlement. La plupart des autres dispositions s’appliqueront six mois après l’entrée en vigueur.
Quelle base juridique pour l’EMFA ?
Bien que le droit des médias soit avant tout une compétence nationale, la Commission justifie son intervention au nom de l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Celui-ci permet à l’UE d’adopter des mesures pour rapprocher les dispositions des Etats ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur.
Or la Commission note qu’actuellement, “les entreprises de médias sont confrontées à des obstacles qui freinent leurs activités et ont des conséquences sur leurs conditions d’investissement dans le marché intérieur, tels que des règles et procédures nationales différentes en ce qui concerne la liberté et le pluralisme des médias”.