LOI ASILE ET IMMIGRATION AU REGARD DU DROIT EUROPÉEN ?

photo CC – Flickr – Jimmy Baikovicius

Les droits fondamentaux des migrants en péril

Article du Taurillon du 27 avril 2018  par Cécile Jacob

extraits d’un interview de Marie-Laure Basilien-Gainche, professeur de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon III

1/ Des inquiétudes du Défenseur des Droits et du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, préoccupés par le risque de violations des droits des migrants.

  • Demandes d’asile,  réduction de la durée de traitement des demandes d’asile en France à 6 mois au lieu de 11 mois grâce à une procédure accélérée. En cas de rejet de la demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) devra se faire dans les quinze jours…Le Commissaire considère que cela ne prend pas en compte la vulnérabilité des demandeurs d’asile et la complexité des dossiers.
  • Abolition possible du caractère suspensif des recours [1] auprès de la CNDA par les demandeurs d’asile, rendant possible l’expulsion du demandeur d’asile.Marie-Laure Basilien-Gainche rappelle que deux arrêts de 2007 (Gebremedhin c. France) et 2012 (IM c. France) précisent  que tout recours, pour être effectif au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme, doit être  suspensif.
  •  La suppression de la possibilité pour l’étranger de s’opposer à la tenue d’une audience par visioconférence (article 6). Le Défenseur des Droits relève le risque d’inconstitutionnalité de cette mesure, notamment le respect du droit à un procès équitable.
  • En matière de mesures d’éloignement, l’article 16 du texte prévoit l’augmentation de la durée maximale en centre de rétention de 45 à 90 jours, comme c’est le cas en Allemagne. Le Défenseur des Droits argue que cet allongement  est excessif au regard de la liberté individuelle et le droit à la sûreté et le faible gain d’efficacité attendu par cette mesure.

Un trop faible alignement au droit européen

Un des objectifs poursuivis par le gouvernement dans ce projet de loi est l’ alignement sur le droit européen. Gérard Collomb a énuméré plusieurs pays dont l’Allemagne et les Pays-Bas, où le droit de recours est inférieur à quinze jours.

En effet, en matière de durée maximale de rétention administrative, l’article 15 de la Directive « Retour » autorise les États membres à procéder à la rétention administrative des étrangers pour 6 mois, prolongeable 12 mois.  Nombre d’États ont  transposé la directive en fixant une durée de 18 mois.

Marie-Laure Basilien-Gainche cite  l’arrêt  (CJUE) du 30 novembre 2009 « Said Shamilovich Kadzoev »  sur la notion de « perspective raisonnable d’éloignement » et interprète l’article 15 de la directive « Retour ». Il faut qu’il existe une perspective raisonnable de retour pour prolonger la rétention. La rétention est maintenue aussi longtemps qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien, c’est-à-dire uniquement lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque le ressortissant d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Cette durée n’est prolongeable pour une période n’excédant pas douze mois qu’en cas de manque de coopération du ressortissant ou de retard dans l’obtention des documents. Dans le cas contraire, la personne doit être  libérée. En ce sens, ce projet de loi va à l’encontre de l’esprit et de la lettre tant de la directive, que du droit européen.

Par ailleurs, Marie-Laure Basilien-Gainche nous rappelle l’article 5 1f) de la Convention européenne des droits de l’Homme qui dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ». Le but de la rétention administrative est donc la vérification de l’identité du migrant et en ce sens, une augmentation de celle-ci semble tout-à-fait disproportionnée et injustifiée.

Pour parvenir à un délai de 6 mois pour le traitement des demandes d’asile, Marie-Laure Basilien-Gainche rappelle que le personnel de la CNDA  devrait être doublé pour parvenir à étudier des situations individuelles très complexes .

En tout état de cause, la France semble suivre la voie de son voisin germanique…l’enjeu est différent en Allemagne puisque le nombre de demandes d’asile atteint les 745 000 demandes en 2016 contre 104 000 demandes en France!

L’avenir du droit d’asile et de l’immigration se joue avant tout au niveau de l’Union européenne. Depuis juin 2016, une modification des directives et des règlements sur le droit d’asile est en cours et le IIIe paquet asile [2] est en cours d’examen. Pour parvenir à une meilleure coopération en matière d’asile et d’immigration, encore faudrait-il, selon Marie-Laure Basilien-Gainche, appliquer le droit européen tel qu’interprété par la CEDH et la CJUE, appliquer la Convention de Genève de 1951: « l’Europe est une maison sur pilotis, l’Union est fondée sur le respect des droits fondamentaux ; si on sabre le pilotis d’une maison, elle s’effondre ».

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