Les Vingt-Sept en alerte face au déclin de la compétitivité européenne

Les chefs d’Etat et de gouvernement européens se réunissent mercredi et jeudi lors d’un Sommet européen principalement consacré aux mesures à prendre pour que l’UE, en décrochage vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine, retrouve son rang.

La compétitivité mondiale de l'UE promet d'être au coeur du programme politique de l'UE dans les mois à venir
La compétitivité mondiale de l’UE promet d’être au coeur du programme politique de l’UE dans les mois à venir (Virginia Mayo/Ap/SIPA)

Les Vingt-Sept se réunissent à partir de mercredi soir à Bruxelles pour un Sommet européen principalement consacré à la compétitivité de l’UE, alors que les statistiques pointent un décrochage du Vieux Continent vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine. La situation économique atone de la zone euro, la guerre en Ukraine et la montée des tensions géopolitiques font redouter que cette situation s’installe dans la durée.

Les chefs d’Etat et de gouvernement vont ainsi discuter des moyens de restaurer la compétitivité de l’UE, une question qui promet d’être au coeur du programme politique du Vieux Continent dans les mois à venir, alors que se profilent les élections européennes.

Les leaders s’appuieront sur un rapport très attendu de l’ex-Premier ministre italien Enrico Letta sur l’avenir du marché unique qui leur sera présenté jeudi – en attendant celui, prévu pour fin juin, de Mario Draghi sur la compétitivité européenne.

Le rapport Letta doit proposer une batterie de mesures pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur, dont une meilleure intégration des secteurs des télécoms, de l’énergie et de la finance, faute de quoi l’UE serait vouée au déclin.

Sujet encore plus délicat : le rapport suggère la création d’un nouveau régime d’aides d’Etat qui exigerait des gouvernements nationaux qu’ils allouent une partie de leur financement national à des investissements paneuropéens.

Décrochage économique

« Le risque de décrochage industriel et technologique de l’UE est aujourd’hui une réalité. L’Europe doit regagner en productivité, en souveraineté et doit surtout pouvoir investir dans les domaines clefs pour l’avenir : la transition verte, numérique, mais aussi les enjeux de résilience et de sécurité économique, de défense ou d’innovation », explique un haut fonctionnaire, résumant la problématique des leaders.

Ceux-ci devraient poser les premiers jalons d’un futur « pacte de compétitivité » comme on l’appelle à Bruxelles, devant combler les écarts de « croissance, de productivité et d’innovation » entre l’Union et ses principaux concurrents.

Ils auront aussi un débat sur l’avenir de l’union des marchés de capitaux, une réforme européenne enlisée depuis des années, que l’UE – en particulier la France – tente depuis quelques mois de ressusciter.

L’union cruciale des marchés de capitaux

Celle-ci s’avère de plus en plus cruciale, alors que de lourds financements attendent les Vingt-Sept dans le cadre des onéreuses transitions énergétiques et numériques, mais aussi dans la défense et l’aide à l’Ukraine, tout en préservant le modèle social de l’UE. « Il y aura une part d’investissement public mais l’essentiel devra venir de capitaux privés, d’investisseurs », pointe un haut responsable européen.

Un marché de capitaux européens unifié permettrait aux entreprises d’investir massivement au-delà du seul financement bancaire, alors qu’aujourd’hui l’épargne européenne a trop tendance à s’investir hors d’Europe et notamment aux Etats-Unis – jusqu’à 300 milliards d’euros filent outre-Atlantique tous les ans.

Les Vingt-Sept vont devoir surmonter un certain nombre de divergences complexes sur la mise en place de cette union – que ce soit en matière de supervision ou de fiscalité – notamment entre la France et l’Allemagne.

« Il existe une volonté franco-allemande d’avancer même si on part de positions différentes », assure-t-on à L’Elysée, précisant que Paris et Berlin ont remis une contribution conjointe sur ce sujet pour alimenter les débats du Sommet européen.

Au-delà des questions de compétitivité qui ne seront abordées que le jeudi, les dirigeants auront un dîner mercredi soir au cours duquel ils évoqueront leur soutien à l’Ukraine, la situation au Proche-Orient avec pour maître mot la « désescalade » et les relations entre l’UE et la Turquie.

Les pistes de réforme poussées par Enrico Letta

L’ancien Premier ministre italien remet son rapport sur l’avenir du marché unique aux vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne. Union des marchés de capitaux, réforme des aides d’Etat, meilleure intégration dans les télécoms ou l’énergie… voici les principales propositions.

Enrico Letta préconise une « union de l'épargne et des investissements » afin de retenir en Europe les flux de capitaux qui partent aujourd'hui massivement vers les Etats-Unis.
Enrico Letta préconise une « union de l’épargne et des investissements » afin de retenir en Europe les flux de capitaux qui partent aujourd’hui massivement vers les Etats-Unis. (AFP/Kenzo Tribouillard)

C’est l’un des deux rapports les plus attendus par les Vingt-Sept cette année. Avant Mario Draghi qui planche sur la compétitivité , Enrico Letta remet son rapport sur l’avenir du marché unique aux chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Bruxelles ce jeudi. En 150 pages, l’ancien président du Conseil italien explore des pistes pour réformer le marché unique européen, qui assure en théorie depuis 1993 la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux au sein de l’Union européenne.

Unir les marchés des capitaux

Le rapport Letta insiste sur la nécessité d’un « marché financier européen plus intégré et plus robuste », « essentiel pour exploiter le plein potentiel » économique de l’UE. Il préconise une « union de l’épargne et des investissements » afin de retenir en Europe les flux de capitaux qui partent aujourd’hui massivement vers les Etats-Unis.

Harmonisation réglementaire, création d’un produit d’épargne de long terme européen, garantie publique européenne pour soutenir l’investissement dans la transition écologique, réformes pour favoriser les partenariats public-privé, développement de la titrisation, création d’une Bourse européenne pour les start-up de la « deep tech » (intelligence artificielle, quantique, biotechnologies) : Enrico Letta avance de nombreuses idées sur ce sujet. Reste aux Vingt-Sept à s’en saisir, sachant qu’ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur l’union des marchés des capitaux depuis près de dix ans…

Une réforme des aides d’Etat

Le rapport préconise de rediriger une partie des aides publiques accordées aux entreprises par les Etats membres vers « le financement d’initiatives et d’investissements paneuropéens ». Les Etats seraient contraints de consacrer « une portion » de leurs aides vers des financements européens. C’est l’une des conditions qui permettrait de développer une véritable « stratégie industrielle européenne ».

Plus d’intégration dans l’énergie et les télécoms

Le rapport met l’accent sur deux secteurs dont l’intégration n’est pas suffisante. Dans les télécoms, d’abord, malgré des efforts d’unification, l’Europe reste en réalité divisée en « 27 marchés nationaux distincts pour les communications électroniques ». Cette « fragmentation » gêne la croissance des opérateurs paneuropéens, limitant leur capacité à investir et à se battre contre leurs concurrents mondiaux.

Un opérateur télécoms européen – il y en a plus de 100 – compte en moyenne seulement 5 millions d’abonnés, contre 107 millions aux Etats-Unis et 467 millions en Chine ! Pour y remédier, Enrico Letta préconise une série de réformes d’harmonisation réglementaire et de suppression des barrières nationales.

Dans l’énergie, ensuite. Il est urgent, selon le rapport, de renforcer l’intégration des marchés européens pour réduire les divergences de prix de l’électricité entre les Etats membres, exacerbées depuis la crise provoquée par l’invasion de l’Ukraine et la fermeture des robinets du gaz russe par Vladimir Poutine. Notamment en renforçant l’interconnexion des réseaux. Pour les gigantesques investissements nécessaires afin de verdir ce secteur , l’ancien Premier ministre italien préconise des obligations vertes pour attirer les capitaux privés.

« Un marché commun pour l’industrie de défense »

Malgré un budget de défense (240 milliards d’euros) proche de celui de la Chine (275 milliards) et trois fois supérieur à celui de la Russie, l’Union européenne souffre de trois décennies de sous-investissement. Presque 80 % des équipements fournis à l’Ukraine depuis le début de la guerre ont été achetés hors de l’UE. Enrico Letta préconise « un soutien direct à travers le budget de l’UE » pour financer des initiatives communes de R&D et d’achats communs. A terme, il faudra créer « un marché commun pour l’industrie de défense ».

https://www.lesechos.fr/monde/europe/les-vingt-sept-en-alerte-face-au-declin-de-la-competitivite-europeenne-2089282

https://www.lesechos.fr/monde/europe/marche-unique-europeen-les-pistes-de-reforme-poussees-par-enrico-letta-2089560#utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_email_type=retention&utm_campaign=lec_nbarre&utm_email_send_date=20240420