le débat d’idées commencera-t-il un jour ? – EURACTIV.fr


45,5 millions de Français seront appelés aux urnes le 26 mai prochain pour élire les représentants au Parlement européen. Les enjeux participatifs et les thématiques  au coeur de la campagne méritent un débat de fond, avancent des spécialistes dans une tribune publiée en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès.

Théo Verdier est responsable de la communication externe au Mouvement européen-France.

Moïra Tourneur est consultante en affaires publiques et ex-directrice de la communication au groupe de réflexion European Student Think Tank

Rémy Broc est chargé d’études à Viavoice et délégué en charge des relations influenceurs au Mouvement européen-France.

Si la campagne des élections européennes doit marquer le temps fort du débat public français sur l’avenir de l’Union européenne, force est de constater que d’autres préoccupations monopolisent l’espace public.

La France Insoumise, Europe Écologie – Les Verts ou encore le Rassemblement national ont lancé il y a de cela plusieurs mois leur campagne des élections européennes. À l’opposé, le reste des partis nationaux demeure à cinq mois du scrutin incapable de présenter une liste de candidats et encore moins un programme national ou européen. Le lancement du « débat national » à l’initiative du gouvernement fait craindre le report de la campagne aux mois de mars ou d’avril, quelques semaines seulement avant le vote.

Partis et candidats devront alors répondre au défi des attentes exprimées par les Français et plus largement par l’ensemble des citoyens européens à l’égard de l’Union européenne. Au vu des enquêtes Eurobaromètres réalisées chaque semestre, trois thématiques semblent être au cœur de leurs préoccupations : la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte contre le terrorisme et la politique migratoire. Autant d’enjeux mondiaux pour lesquels « l’union fait la force » et où l’échelon européen est susceptible d’apporter des réponses efficaces.

Sur le plan partisan, la campagne des élections européennes réanime le clivage gauche-droite. Les électeurs potentiels des listes classées à gauche accordent plus d’importance aux enjeux écologiques et sociaux, les électeurs potentiels de droite se concentrent sur les dossiers économiques et la politique migratoire. L’électorat potentiel de La République en Marche (LREM) se place au centre du jeu politique, privilégiant – dans l’ordre de priorité – la croissance économique, la lutte contre le réchauffement climatique et la lutte contre le terrorisme.

Cette polarisation des électeurs laisse entrevoir la possibilité d’une campagne de projets, à même pour chaque parti de convaincre de nouveaux segments électoraux. Et ce, surtout du côté de ceux qui défendent le plus le projet européen ou encore pour Les Républicains, actuellement au pouvoir en Europe à travers le Parti populaire européen (PPE).

Les premières évocations du scrutin se focalisent pourtant sur le contexte national, sur fond de crise des gilets jaunes et d’opposition au gouvernement : 27 % des Français annoncent pour l’instant qu’ils prioriseront les enjeux européens dans l’isoloir, contre 54 % en 2014 et 61 % en 2014 selon les chiffres de l’institut BVA.

Il est toujours temps d’inverser la tendance et de mettre au cœur de l’agenda la question du projet européen futur. En pleine crise de la représentativité, il faut rappeler par exemple que l’UE est la première à avoir permis une certaine forme d’initiative législative des Européens.

Depuis 2014, un million de citoyens de sept pays signant une Initiative citoyenne européenne peuvent mettre un dossier législatif à l’agenda de la Commission européenne. Si le système a besoin d’une refonte profonde, ayant fonctionné à uniquement trois reprises, les différentes équipes de campagne devraient justement travailler aujourd’hui à sa transformation.

Aux partis qui laisseraient de côté la production d’idées au profit d’une campagne sur le thème du « référendum anti-Macron », signalons que les tendances montrent que, depuis 1979, le scrutin bénéficie traditionnellement au pouvoir en place. Hormis le PS de François Hollande en 2014, la liste portée par le gouvernement a toujours rassemblé plus de 20 % des voix lors des huit scrutins passés des européennes.

Étant donné la pluralité des listes candidates, l’échéance s’oriente vers un duel entre la République en Marche et le Rassemblement national, au coude-à-coude dans les sondages[[Dans son sondage de décembre 2018, BVA donnait 21 % d’intentions de vote pour le Rassemblement national contre 20 % dans l’hypothèse d’une coalition centriste constituée par LREM, le MoDem et Agir.]] – un scénario d’opposition entre « pro » et « anti » européens qui ne profite guère au débat d’idées sur les priorités du Parlement européen.

Enfin, si les partis politiques ont la responsabilité du contenu de la campagne, l’ensemble des acteurs du débat public – au premier plan desquels les rédactions et les instituts de sondage – peuvent contribuer à dépasser la présentation traditionnelle du scrutin sous le prisme unique de l’abstention.

Le taux de participation aux européennes, s’il est en baisse depuis la mise en place du suffrage universel en 1979, s’est stabilisé entre 40 et 45 % depuis 2004. Ce niveau de mobilisation aux élections législatives est similaire, voire inférieur, dans plusieurs des démocraties fédérales les plus proches de l’Union. La participation est de 36,8 % en moyenne aux États-Unis lorsque le vote n’est pas corrélé à l’élection présidentielle ; elle est de 46,5 % en moyenne en Suisse pour l’élection des membres du Conseil national.

Reste que l’implication des électeurs suit directement l’enjeu du scrutin. Au Canada, sept citoyens sur dix en moyenne se rendent aux urnes pour les élections législatives fédérales, en partie car elles amènent à la désignation de l’exécutif.

En Europe, si le système des Spitzenkandidaten est remis en cause, il est certain que le résultat des élections européennes définira la configuration de la future coalition majoritaire au Parlement européen et donc la composition de la prochaine Commission européenne. Au-delà du débat d’idées, la campagne devra donc également faire la pédagogie d’un mode de scrutin relativement méconnu des Français – et qui a encore été modifié en 2017 en France avec la fin des eurocirconscriptions – pour revaloriser le poids du bulletin glissé dans l’urne.



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