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En 2022, la politique étrangère de l’UE devra lutter contre le feu pour sauver ce qu’il reste du projet de construire un « cercle d’amis » du Caucase au Sahara auquel elle aspirait autrefois.
Au cours de l’année écoulée, l’Europe aura été confronté à des enjeux géopolitiques importants, qu’il s’agisse de la Biélorussie, d’une Russie de plus en plus révisionniste ou des menaces commerciales coercitives de la Chine envers la Lituanie et d’autres États.
« Les changements géopolitiques se sont intensifiés, les politiques de puissance remettant sans cesse en question l’UE et ses valeurs », a déclaré Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, dans son message de fin d’année, ajoutant que le bloc « doit répondre avec toute la détermination dont il est capable ».
Toutefois, treize ans après le lancement de la politique européenne de voisinage (PEV) et de l’Union pour la Méditerranée, les feux sur les flancs orientaux et méridionaux de l’Union n’ont pas encore été éteints.
La recrudescence des tensions entre la Russie et l’Occident au sujet de l’Ukraine deviendra probablement une épreuve décisive pour la politique étrangère de l’UE en ce début d’année 2022. L’enjeu est de taille, mais l’interlocuteur principal de Vladimir Poutine n’est autre que le président américain Joe Biden.
« Nous ne voulons pas et ne devons pas être spectateur pendant que les décisions sont prises sans que l’on soit impliqués », a déclaré M. Borrell dans une récente interview, où il a ajouté que le secrétaire d’État américain Antony Blinken partageait le même point de vue.
La Russie a lancé des ultimatums audacieux à l’OTAN et à l’Occident tout en sachant, semblerait-il, que la réponse allait très probablement être « non ».
Les diplomates de l’UE estiment que les propositions russes visent à détourner l’attention de la situation autour de l’Ukraine et que, les exigences étant poussées au maximum, elles n’ont en réalité pas pour but d’être acceptées mais plutôt à faire en sorte que la Russie soit traitée comme un partenaire de négociation égal.
Moscou ne compte manifestement pas non plus sur un rôle de l’UE dans les prochaines discussions avec les États-Unis et l’OTAN sur la structure de la sécurité en Europe.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, n’a fait que renforcer cette impression en déclarant que les États d’Europe centrale et orientale sont des « territoires orphelins suite à l’effondrement de l’Organisation du Pacte de Varsovie et de l’Union soviétique ». Ils ne sont donc pas souverains, indépendants ou libres, mais plutôt « sans propriétaire ».
« La “tactique du saucissonnage” des Russes visant à mettre l’UE sur la touche est une tactique que Vladimir Poutine essaye depuis toujours de mettre en œuvre », a confié un fonctionnaire européen à EURACTIV en évoquant les prochaines discussions de janvier sur la sécurité.
Cependant, il a également souligné qu’avec le départ de l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel et de son ancien homologue français Nicholas Sarkozy — tous deux ayant été perçus par M. Poutine comme des dirigeants avec lesquels il pouvait « faire des affaires » — et son bilan national entaché par l’empoisonnement de Alexeï Navalny et la répression de l’ONG Memorial, l’UE pourrait sévir avec l’aide de Washington.
Outre l’Ukraine, les deux autres partenaires du « Trio associé » et pays espérant adhérer à l’UE, à savoir la Géorgie et la Moldavie, sont eux aussi confrontés à la présence de troupes russes contre la volonté de leurs gouvernements légitimes. Bien qu’ils demandent davantage d’engagements, il est peu probable qu’ils rejoignent le bloc de sitôt.
Même si la majorité des États membres de l’UE rejettent publiquement l’idée d’un veto russe ou d’une « sphère d’influence » sur les anciennes républiques soviétiques, insistant sur le fait qu’elles devraient être libres de choisir leurs propres alignements stratégiques, plusieurs diplomates et hauts fonctionnaires de l’UE admettent que personne à Bruxelles ne peut actuellement envisager que l’Ukraine ou la Géorgie rejoignent le bloc.
Alexandre Loukachenko, l’homme fort de la Biélorussie, est toujours au pouvoir et a ajouté aux problèmes de l’UE une crise frontalière de plus en plus grave avec des migrants piégés aux portes de l’Europe. Les sanctions européennes en place à l’encontre de son régime devraient être mieux coordonnées avec les alliés de l’Europe afin de combler les failles existantes.
En 2020, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont livrés une guerre de six semaines à propos de la région contestée du Haut-Karabakh, avec des affrontements occasionnels et des escarmouches meurtrières répétées à la frontière.
En ce qui concerne les Balkans occidentaux, M. Borrell a souligné que « la multiplication des discours et des actes diviseurs dans la région, notamment en Bosnie-Herzégovine, a entravé les efforts visant à rapprocher les six pays de leur objectif de devenir membres de l’Union européenne ».
En fait, bien que les Balkans occidentaux aient été remis à l’ordre du jour de l’Union grâce à la médiation de la Présidence slovène de l’UE, l’élargissement piétine toujours.
En revanche, c’est parmi les voisins de l’UE qui ne nourrissent pas l’ambition d’adhérer à l’UE, à savoir en Asie centrale, que le soft power de l’UE semble fonctionner le plus efficacement.
Dans le voisinage méridional, l’UE n’a toujours pas trouvé de solution au problème des migrants qui périssent en Méditerranée, et les relations avec la Turquie sont tout simplement au point mort. Au-delà, ce sont les séquelles de l’Afghanistan et plusieurs conflits en Afrique qui inquiètent Bruxelles, avec la détérioration de la situation au Sahel et l’escalade dans la guerre civile en Éthiopie.
La nécessité de gérer l’afflux de centaines de milliers de réfugiés en provenance du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique pourrait prendre le pas sur un plus grand investissement dans son proche voisinage. C’est en tout cas ce que craignent les diplomates européens.
Autonomie stratégique et ambitions françaises
Au cours des derniers mois, EURACTIV s’est entretenu avec de nombreux fonctionnaires et diplomates européens. La plupart d’entre eux s’accordent à dire que les défis de l’UE doivent être relevés conjointement, mais les différentes priorités nationales des États membres ont jusqu’à présent entravé la progression vers une politique étrangère commune pour l’UE.
Le principal défi qui se posera en cette année 2022 sera donc de clarifier les objectifs de l’UE et de faire en sorte que les États membres y adhèrent.
La future Boussole stratégique de l’UE, qui est ce qui se rapproche le plus d’une stratégie militaire commune, doit couvrir les risques et les évolutions en matière de sécurité dans l’Union et dans le monde et servir de guide pratique pour la prise de décision sur les questions de sécurité et de défense.
La version finale de cette Boussole stratégique devrait être approuvée en mars, pendant la présidence française du Conseil de l’UE. Le tout premier sommet européen de la défense devrait alors suivre.
Toutefois, le président français Emmanuel Macron se concentrant sur sa campagne de réélection, certains à Bruxelles craignent que le processus ne s’enlise dans une campagne visant à renforcer les objectifs de sécurité de la France.
Plusieurs États membres émettent des réserves quant à son coût, au fait qu’il n’aborde pas de manière adéquate le comportement assertif de la Russie dans l’arrière-cour de l’Europe, ou au fait qu’il pourrait faire double emploi avec les actions de l’OTAN.
Certains diplomates de l’UE contactés par EURACTIV ont déclaré qu’ils s’inquiétaient de « l’ajout de nouveaux outils, sans utiliser le potentiel des outils existants ».
« Il est impossible de convaincre, avant mars 2022, que ce document n’est pas un énième tigre de papier ou une prise de pouvoir de la Commission européenne pour servir les intérêts des plus gros au détriment des petits États membres », a indiqué sans détour un diplomate européen.
« Il faut des actions plus visibles sur la crise à laquelle nous sommes actuellement confrontés, car c’est la seule façon de convaincre les États membres que l’UE prend au sérieux la résolution des conflits dans son voisinage », a ajouté le diplomate.