La future PAC devra « réconcilier » les agriculteurs et les citoyens



Actualité


05.10.2018

Marie Guitton

Des producteurs et des consommateurs normands ont échangé leurs points de vue le 28 septembre, à l’occasion d’une rencontre sur l’Europe organisée dans l’Eure. Entre qualité de l’alimentation, quantité produite et rémunération des exploitants, la future PAC devra trouver où « mettre le curseur » pour contenter au mieux les intérêts divergents. Un défi de taille, alors que son budget risque de diminuer à partir de 2021.

Les agriculteurs réclament notamment des moyens pour la recherche, afin que soient développées des techniques de production plus propres. Crédits : Marie Guitton / Toute l'Europe

Les agriculteurs réclament notamment des moyens pour la recherche, afin que soient développées des techniques de production plus propres. Crédits : Marie Guitton / Toute l’Europe

« L’idée, c’est d’essayer d’inventer ce que serait pour nous le modèle idéal de l’agriculture en Europe. » Le 28 septembre, une quarantaine d’exploitants et de citoyens normands a participé à une consultation citoyenne sur l’Europe, organisée à l’appel de la Chambre d’agriculture de Normandie dans son antenne des Andelys.

Aux abords de cette sous-préfecture de l’Eure : des forêts, des champs de blé et de betteraves. De grandes cultures pour la plupart. Et dans la salle, une interrogation : comment répondre aussi bien aux attentes de la profession agricole qu’à celles de la société ? Comment « améliorer l’alimentation », garantir « l’autonomie alimentaire » et assurer aux paysans de pouvoir vivre de leurs métiers ?

« Je pense surtout qu’il faudrait avoir une politique globale européenne sur l’ensemble des Etats membres », souffle un participant, en ravivant le serpent de mer qui accompagne ces rencontres participatives sur l’UE : un appel à plus d’harmonisation au sein du marché unique européen.

La future politique agricole commune est, quant à elle, en cours de négociation à Bruxelles. Aux Andelys, la PAC est associée dans les têtes aux adjectifs « complexe » et « déséquilibrée », mais aussi aux mots « soutien », « financement », « sécurité », « aide » ou encore « avenir ». Les agriculteurs et les citoyens s’inquiètent donc particulièrement de la réduction possible de 5 % de son enveloppe, dans le budget 2021-2027 de l’Union européenne.

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« Corriger les distorsions de concurrence »

« Il faut protéger nos frontières en réinventant la préférence communautaire », prône un exploitant en rappelant que « c’est ce qui a fait la réussite de l’agriculture en Europe ». Pour lutter contre les pénuries au sortir de la guerre, encourager les cultivateurs et assurer l’indépendance alimentaire, les six pays fondateurs de la Communauté économique européenne avaient choisi, en 1962, de subventionner la modernisation des moyens de production, de maintenir artificiellement hauts les prix européens par rapport aux cours mondiaux, et d’instaurer des barrières douanières élevées pour renchérir les produits extérieurs trop concurrentiels.

Mais les temps ont changé. Trente ans plus tard, dès 1992, la PAC a été réformée pour limiter la production devenue excédentaire, faire baisser les prix, et donc compenser les pertes conséquentes des agriculteurs. Depuis les années 2000, les aides sont partiellement redirigées vers les bonnes pratiques agricoles, respectueuses de l’environnement (climat, paysages, etc.).

Où va la future PAC ?

En effet, les consommateurs veulent de la qualité… mais pas trop chère. « On pourrait tous faire du bio, mais est-ce que tout le monde aura les moyens de payer ? », remarque ainsi un exploitant.

En Normandie, seulement 2,8 % de la surface agricole utilisée était consacrée au bio en 2010, d’après le dernier recensement agricole. « J’estime qu’on ne peut faire de l’écologie que si on a les moyens de le faire », déclare un professionnel. Stopper les accords de libre-échange avec l’Amérique du Nord, corriger les « distorsions de concurrence » qui existent au sein même de l’Europe, et maintenir le budget de la PAC : « Aujourd’hui, sans les aides directes, on perd de l’argent… », souffle-t-il.

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« Réconcilier » les agriculteurs avec les citoyens

Pour les participants réunis aux Andelys, la PAC serait une simple « question de cap » : « On a vu à ses débuts que si l’on se donne les moyens, on y arrive. Il faut donc une volonté politique pour que la PAC parvienne à mettre le curseur au bon endroit, pour être compétitif tout en ayant des produits de qualité… ». « Et sans oublier que l’une des obligations de l’agriculture, c’est de produire », ajoute un exploitant.

De là à conclure que les agriculteurs de l’Eure encouragent l’intensif, il n’y a qu’un pas. Ajoutez-y le glyphosate et les algues vertes… « On a un problème de communication », reconnaissent les professionnels, qui se sentent « stigmatisés », notamment par les médias accusés de prendre position trop rapidement dans les débats sur l’alimentation. « Il faudrait qu’on dise aussi tout ce qu’on fait pour la population. En France, on ne voit pas que les agriculteurs souffrent et que certains se suicident », lâche l’un d’eux dépité. « Au salon de l’agriculture à Paris, les visiteurs veulent caresser les bêtes, mais notre travail les intéresse peu parce qu’à la télé, la seule chose qu’ils voient, c’est quand on manifeste en déversant du lait… ». Malgré leur charme, les coquelicots dans le blé obligent à traiter les champs ou désherber à la main, moyennant une augmentation des prix, expliquent-ils par exemple, en espérant un jour pouvoir « se réconcilier » avec la société.

Elle non plus n’est d’ailleurs pas exempte de tout reproche, notamment en matière de gaspillage alimentaire, un enjeu majeur en termes environnementaux, mais également éthiques et économiques.

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Des moyens pour la recherche, une PAC moins complexe

Finalement, « personne n’est content de la situation aujourd’hui, mais pour l’instant on n’arrive pas à apporter des idées, observe un fils d’agriculteur. Pourtant, d’après moi, il faudrait un vrai changement… »  

Aux Andelys, une tablée s’attarde sur les circuits courts. « Les agriculteurs n’y semblent pas réticents mais ils ont besoin qu’on les forme », relate un participant. En parallèle, un citoyen suggère d’inciter les consommateurs à acheter local « pour maintenir l’emploi près de chez eux ». Mais se pose alors la question de la variété de l’offre, plusieurs intervenants suggérant au contraire de « valoriser les atouts territoriaux » en Europe : faire plus de lait en Irlande, « où l’herbe est verte toute l’année », et moins ailleurs par exemple. In fine, c’est donc encore le bon dosage, le bon « curseur » entre les différentes solutions qu’il reste à trouver.

Les exploitants demandent aussi que les acteurs publics allouent des moyens à la recherche « pour trouver de nouveaux outils ». « On pourra comme ça préparer l’après glyphosate, glisse un professionnel. Car pour l’heure, qui finance la recherche ? Les entreprises privées, et surtout phytosanitaires… »

Enfin, les dirigeants européens sont instamment appelés à décomplexifier la PAC. « C’est devenu très bureaucratique, on n’y comprend plus rien », jugent les professionnels, qui jettent parfois l’éponge alors qu’ils pourraient prétendre à des aides.

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L’agriculture, un enjeu majeur pour la Normandie
Céréales, élevages bovins, betteraves industrielles, oléagineux, fourrages… Avec 70 % de sols agricoles, dont plus de la moitié est cultivée, la Normandie est l’une des trois premières régions agricoles françaises. Elle compte 35 370 exploitations, d’après le dernier recensement agricole Agreste de 2010, employant 67 600 personnes (46 000 employés en équivalent temps plein).
Dans le département de l’Eure, spécialisé en grandes cultures, les surfaces agricoles ont tendance à s’agrandir toujours plus, parallèlement à une réduction d’un quart de la population agricole active entre 2000 et 2010 (une tendance nationale, les plus touchés étant les membres de la famille de l’exploitant principal, qui cherchent désormais d’autres postes pour subvenir aux besoins du foyer).

 

 



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