La « Communauté politique européenne » prend forme sur fond de guerre avec la Russie – EURACTIV.fr

Les dirigeants de 44 pays européens se réuniront à Prague le 6 octobre pour le sommet inaugural de la Communauté politique européenne (CPE), un nouveau modèle qui se cherche une raison d’être alors que de multiples crises frappent le continent.

« L’OSCE sans la Russie »

Les six pays des Balkans occidentaux seront rejoints par ceux du proche voisinage de l’UE, à savoir la Norvège, la Suisse, l’Islande, le Liechtenstein, le Royaume-Uni, l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, la Turquie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

La plupart d’entre eux sont déjà membres d’organisations telles que l’UE, l’OTAN, le Conseil de l’Europe, qui vise à faire respecter les droits de l’homme et l’État de droit, et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dont le mandat inclut le contrôle des armements, la liberté de la presse et des élections libres et équitables.

Les diplomates affirment toutefois que ces deux dernières organisations ont été particulièrement inefficaces dans leurs relations avec la Russie, qui en est membre, et certains ont décrit la « Communauté politique européenne » comme « l’OSCE sans la Russie ».

Un diplomate européen a déclaré que le fait de réunir un si grand nombre de dirigeants adresserait au président russe Vladimir Poutine « un signal fort » d’opposition à sa guerre en Ukraine.

« Nous avons vu des messages de l’UE, de l’OTAN — maintenant, il y aura également un message à M. Poutine de la part de 44 dirigeants du continent », a déclaré le diplomate européen.

« Puisque nous n’avons pas de forum opérationnel pour traiter efficacement les questions relatives à l’Europe au sens large, donnons une chance à celui-ci », a-t-il ajouté.

Quel est l’enjeu ?

Les chefs d’État et de gouvernement se réuniront d’abord à Prague pour une session plénière en début d’après-midi, avant de se répartir en tables rondes sur des sujets tels que la paix et la sécurité, l’énergie et le climat, la situation économique, les migrations et la mobilité.

La France a déclaré qu’elle espérait trouver des possibilités de coopération en matière de protection des infrastructures européennes critiques telles que les gazoducs, la cybersécurité et l’approvisionnement en énergie.

Les dirigeants disposeront ensuite de plusieurs heures pour tenir des réunions bilatérales avant de se retrouver pour une séance plénière de clôture autour d’un dîner.Le Conseil européen a déclaré qu’il n’y aurait pas de déclaration commune à la fin de la réunion pour indiquer si les dirigeants sont parvenus à un consensus sur les sujets abordés ou sur l’avenir de l’organisation.

Certains observateurs craignent que la réunion ne soit qu’un « miracle sans lendemain » et qu’il soit difficile de créer une structure décisionnelle adéquate.

Le diplomate en chef de l’UE, Josep Borrell, qui participera également au sommet, a déclaré qu’avec autant de dirigeants réunis pendant une demi-journée, il ne pouvait s’agir que d’un « premier échange », et que des questions restaient en suspens quant à l’objectif final de la communauté.

Il reste encore à clarifier la raison d’être de la CPE, sa composition finale, sa relation avec l’UE, la manière dont elle doit prendre des décisions et même si elle doit avoir un budget propre, a déclaré M. Borrell dans un billet de blog.

Les responsables de l’UE ont déclaré qu’ils s’attendaient à ce que les dirigeants conviennent d’organiser un sommet de suivi de la communauté dans six mois à un an dans un pays hors du bloc des 27 — le Royaume-Uni et la Moldavie ayant proposé de l’accueillir.

Quitte ou double à Prague pour la Communauté politique européenne

Structure novatrice permettant de fédérer dans la durée la Grande Europe face à la Russie ou format miné par les intérêts divergents et les débats stériles ? La toute nouvelle « Communauté politique européenne », à l’initiative d’Emmanuel Macron, réunit jeudi à Prague 44 dirigeants du continent.

Le risque d’acrimonie

L’alignement sur la Russie et les sanctions occidentales pourrait constituer le point sensible de la réunion, bien que les diplomates européens aient déclaré qu’il était peu probable que des pressions soient exercées sur les pays qui restent sur la réserve.

Des désaccords sont également attendus sur d’autres sujets, un diplomate ayant déclaré à la veille de la réunion qu’« il y aura certainement des échanges francs et directs ».

L’escalade d’hostilités vieilles de plusieurs décennies entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui alimente les craintes d’une deuxième guerre dans le voisinage de l’Europe, pourrait être l’un de ces sujets.

Les dirigeants des deux pays devraient rencontrer M. Macron et le président de l’UE, M. Charles Michel, dans le cadre de discussions parallèles.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan fera l’objet d’une surveillance étroite, alors que les membres de l’UE que sont la Grèce et Chypre pourraient soulever des différends de longue date avec Ankara et des tensions avec la Suède et la Finlande concernant leurs candidatures à l’OTAN.

Les pays désireux de rejoindre l’UE — l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie et les six pays des Balkans occidentaux — devraient réaffirmer que les pays de l’UE ne doivent pas considérer la communauté comme un substitut au processus d’élargissement de l’UE.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky — qui supervise actuellement une contre-offensive contre les forces de Moscou — participera à la réunion par liaison vidéo depuis Kiev.

Les diplomates de l’UE ont déclaré que Kiev serait présent avec une importante délégation dirigée par le Premier ministre Denys Shmyhal afin d’obtenir davantage de soutien de la part des pays non-membres de l’UE.

Parallèlement, il s’agira de l’un des premiers grands déplacements de la Première ministre britannique, Liz Truss, depuis son entrée en fonction.

Compte tenu de la trajectoire indépendante de la Grande-Bretagne depuis le Brexit, il faut s’attendre à des propos musclés de la part de Londres sur ce que le format doit ou ne doit pas être.

Plusieurs diplomates ont signalé que Londres voulait changer le nom de « communauté » en « forum » pour en diminuer l’importance.

Par ailleurs, elle pourrait être confrontée à une attitude délicate de la part de ses homologues européens concernant les efforts déployés par le Royaume-Uni pour renégocier l’accord commercial post-Brexit avec l’Irlande du Nord.

La « Communauté politique européenne » prend forme sur fond de guerre avec la Russie

ANALYSE d’UN AUTEUR : Laurent Warlouzet est spécialiste de l’histoire de la construction et de l’intégration européennes à l’Université Paris-Sorbonne et auteur d’ « Europe contre Europe. Entre liberté, solidarité et puissance depuis 1945 » (CNRS Editions, 2022).

Communauté politique européenne? À quoi peut-elle servir ?

Dans l’immédiat, la Communauté politique européenne [CPE] est une réponse à la demande d’adhésion de l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie à l’UE. À plus long terme, le projet d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la volonté française ancienne d’une Europe à plusieurs vitesses. L’idée est d’associer tous les pays du Continent dans une structure de coopération plus légère. Elle donnerait ainsi aux pays qui voudraient la rejoindre [Turquie, Ukraine] un substitut de l’UE tout en les maintenant à l’écart, et aux pays qui ne souhaitent pas y rentrer [Royaume-Uni] un outil qui fluidifie les relations.

La CPE doit être vue comme un forum, à l’image du G7 ou du G20.

Mais quel est l’intérêt de se réunir pour discuter alors qu’entre des instances existent déjà, entre le Conseil de l’Europe et celles l’UE ?

Le premier intérêt de la CPE est de réaffirmer des valeurs communes aux pays participants comme la démocratie libérale et l’inviolabilité des frontières.

L’enjeu de la socialisation des dirigeants est aussi central et la CPE peut être un lieu d’apaisement des conflits intra-européens, entre la Grèce et la Turquie par exemple. Bien que l’UE s’en charge déjà, la CPE peut également servir d’antichambre à un éventuel élargissement.

Enfin, il ne faut pas négliger la dimension psychologique : voir les 44 dirigeants de l’Europe unis est un message qui compte pour l’opinion publique.

La CPE est-elle concurrente ou cohérente par rapport à l’UE ?

La CPE n’aura pas de compétences en matière énergétique, de sécurité, de convergence économique et sociale, et c’est une chimère que de penser qu’elle résoudra les carences de l’UE.

Quant à la cohérence, cela dépend de la conception que nous avons de l’UE. Si nous l’envisageons comme « Europe libérale » avec des éléments de solidarité, la CPE est tout à fait cohérente avec ce projet en ce qu’elle permet l’apaisement des conflits stratégiques, géopolitiques ou même militaires. À l’inverse, si nous voulons créer une « Europe puissance », alors la CPE est en concurrence avec l’Union européenne.

Mais, en général, la CPE reste complémentaire à l’UE, qui n’est pas en mesure de régler tous les conflits.

Le fait de chercher un nouvel outil de promotion des valeurs européennes ne montre-t-il pas un échec de l’UE et des autres instances qui sont déjà censées le faire ?

L’UE a montré qu’elle ne pouvait pas être omnipotente, donc effectivement nous constatons qu’une partie des problèmes européens sont pris en charge par des structures différentes de l’UE, comme le Conseil de l’Europe ou l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe].

Aussi, en France, certains ont conscience des limites de la politique de voisinage européenne. Pensez à la Crimée en 2014 : l’UE avait eu une gestion uniquement économique de la crise. Lorsque nous passons à des problèmes géopolitiques, comme des risques de guerre, nous sommes obligés de faire intervenir les États. Là encore, cela correspond à une volonté ancienne, notamment française, de préserver le caractère intergouvernemental de la diplomatie. En ce sens, la coordination intergouvernementale de la CPE est cohérente avec les préférences françaises.

Étant donné que la CPE est née pendant la guerre en Ukraine et que Vladimir Poutine ne se soucie guère des valeurs européennes, pourquoi vouloir à nouveau les affirmer ?

Bien que ce soit un idéal jamais pleinement atteint, il est utile, à l’heure de la propagande russe, de réaffirmer que nous sommes des démocraties libérales et qu’une différence existe avec les régimes autoritaires. Même en Hongrie, le système politique est multipartite et les manifestations des oppositions sont libres, à la différence de la Russie ou de la Biélorussie.

D’ailleurs, Vladimir Poutine lui-même recourt à des contorsions politiques pour tenter de rester dans cette fiction et montrer que ses actes ne constituent pas une atteinte à l’inviolabilité des frontières, alors qu’il dévoie totalement le droit international.

Ceux qui ont critiqué Emmanuel Macron lui ont reproché de vouloir contourner la question de l’élargissement. Partagez-vous cette lecture ?

Emmanuel Macron sait bien qu’il faut à tout prix éviter de dire que la CPE est une alternative à l’élargissement, ce serait la condamner à l’échec, même si, probablement, beaucoup de Français le pensent.

La France a toujours eu une position restrictive sur l’élargissement. Elle s’est souvent montrée méfiante, car, en France, nous opposons élargissement et approfondissement. L’idée est que dans une communauté large, le développement de l’ « Europe solidaire » et de l’ « Europe puissance » devient compliqué.

Pourquoi inclure dans la CPE des pays très éloignés de l’Europe, comme l’Azerbaïdjan et l’Arménie, en dehors du conflit qui les oppose ?

Ce dont il s’agit avec la CPE, c’est la très grande Europe, ce qui limite, de fait, les ambitions de la CPE. Ce n’est pas vraiment un espace de solidarité ni de puissance, mais plutôt un espace de valeurs communes et un espace géopolitique. Le recours aux valeurs permet de donner des frontières à l’Europe – elles ont toujours été ambiguës – notamment en excluant la Russie et la Biélorussie.

https://www.euractiv.fr/section/institutions/interview/la-communaute-politique-europeenne-peut-etre-un-lieu-dapaisement-des-conflits-intra-europeens/