La Commission s’attaque au veto fiscal des États membres – EURACTIV.fr


Pour faciliter les réformes fiscales européennes bloquées par la règle de l’unanimité, la Commission veut activer un point des traités pour passer à la majorité qualifiée.

À six mois du terme de son mandat, la Commission a décidé de changer d’approche sur la fiscalité, obligée de constater que les États membres traînent très souvent des pieds pour se mettre d’accord sur les réformes.

La cible est enfin clairement identifiée. Il s’agit d’essayer de contourner la règle de l’unanimité qui prévaut au Conseil européen pour les décisions en matière fiscale. « La Commission propose un passage progressif vers la majorité qualifiée dans ce domaine », a expliqué le commissaire aux finances, Pierre Moscovici, mardi 15 janvier au Parlement européen.

Dernier en date, l’épisode de la « taxe Gafa » sur les activités européennes des géants du numérique a encore démontré toute l’étendue du problème en matière fiscale. Tous les États membres doivent tomber d’accord pour engager les réformes, en vertu de la règle de « l’unanimité ». Déjà abandonnée dans la majorité des processus décisionnaires de l’UE, cette règle a encore cours dans certains domaines de la politique fiscale et de défense, principalement.

« Clause passerelle »

La Commission propose donc de passer outre, en activant la « clause passerelle », prévue dans le Traité du fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Elle permet le passage à la majorité qualifiée… sur décision à l’unanimité du Conseil européen. Une gageure.

« C’est de l’enfumage, tonne Eva Joly, vice-présidente de la commission TAX 3 au Parlement européen, qui s’attaque à la fraude au sein de l’Union. On présente cette annonce comme quelque chose de positif alors que l’unanimité est encore une fois requise. »

Eva Joly: « la Commission est dirigée par l’évadeur fiscal en chef»

Eva Joly revient sur les derniers scandales financiers européens, les difficultés de les empêcher et la question des lanceurs d’alerte. «Notre malheur, c’est que la Commission est dirigée par l’‘évadeur’ fiscal en chef», regrette-t-elle. Une interview d’Eurosorbonne.

L’eurodéputée verte est « terriblement déçue » de cette annonce qui déplace juste le problème sans le résoudre alors qu’il y a « urgence ». Elle prend tout de même acte du fait que « Jean-Claude Juncker et Pierre Moscovici aient enfin compris que la règle de l’unanimité empêchait tout progrès » vers la justice fiscale, « sujet clé du populisme » qui monte en Europe.

Un énorme manque à gagner pour l’UE

Du côté de la Commission, on a conscience que « l’unanimité n’est plus un rempart, c’est un obstacle. Il faut passer d’une souveraineté nationale étroite à une souveraineté européenne partagée ».

Selon les estimations, l’absence de décision sur certains sujets tels que le régime de TVA engendre un manque à gagner de 147 milliards d’euros chaque année, dont 50 à cause de la fraude transfrontalière.

Les retards dans la création d’une assiette commune d’imposition pour les sociétés (ACCISS) entraînent également un manque à gagner significatif pour l’économie européenne.   « L’assiette commune permettrait de faire gagner 1,2 % de croissance à l’UE et ferait faire des économies d’un milliard aux entreprises, sur les coûts administratifs », a calculé le commissaire français. Des perspectives attirantes qui se heurtent encore et toujours au refus de certains pays peu allant en matière fiscale: le Luxembourg, Malte, l’Irlande…

Un autre article du TFUE peut apporter une réponse

Ces États ne devraient cependant pas être plus favorables à la clause passerelle qu’aux réformes qu’ils ont bloquées jusqu’ici. La réponse doit donc venir d’ailleurs, selon Eva Joly. De l’article 116 du TFUE, qui « permet le passage à une procédure de co-décision pour harmoniser la législation européenne en cas de distorsion de concurrence », explique Camille Boulu, doctorante en droit européen.

Et c’est bien de ça dont il est question pour la députée de la commission TAX 3. Elle appelle Jean-Claude Juncker à utiliser cette procédure et « honorer ainsi l’engagement pris devant le Parlement européen il y a bientôt deux ans ». En mai 2017, le président de la Commission s’était déclaré « prêt à envisager le recours » à cet article.

Divergences de points de vue sur l’urgence

La Commission a redit mardi 15 janvier qu’elle n’exclut pas de l’utiliser « si le besoin s’en fait sentir ». Le blocage actuel n’est donc pas jugé assez pressant par Bruxelles qui préfère une solution plus globale, que la clause passerelle pourrait offrir.

Mais aussi près de la fin du mandat de la Commission, de nombreuses voix parlementaires craignent que cette annonce vienne bien trop tardivement pour espérer une avancée avant les élections de mai 2019. Pourtant, 75 % des électeurs européens font de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale un combat prioritaire.



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