Haut-Karabagh : les Européens divisés face à l’Azerbaïdjan

Grain de sel : Une semaine après l’offensive militaire victorieuse de l’Azerbaïdjan sur l’enclave sécessionniste, le président du Haut-Karabagh a pris un décret annonçant la dissolution “de toutes les institutions gouvernementales et organisations” au 1er janvier 2024. Les réactions timides et divisées des pays européens traduisent un malaise sur l’impossible conciliation entre la dépendance à l’appoint gazier de ce régime, pour une Europe qui se défait de l’approvisionnement russe, et la condamnation de l’offensive.

La république séparatiste autoproclamée du Haut-Karabagh a annoncé ce jeudi 28 septembre par la voie de son président, Samvel Chakhramanian, sa propre dissolution à compter du 1er janvier 2024. Une annonce qui intervient une semaine après l’offensive éclair victorieuse menée par les forces armées de l’Azerbaïdjan sur cette enclave, les 18 et 19 septembre.

Cette défaite militaire survenue en l’espace de 24 heures a forcé les séparatistes arméniens du Haut-Karabagh à capituler face à l’Azerbaïdjan, pays dont ils avaient fait sécession à la chute de l’URSS en 1991. L’Arménie, qui a soutenu les séparatistes depuis près de 30 ans, n’est pas intervenue militairement cette fois-ci, laissant la possibilité à Bakou de réintégrer l’enclave dans son territoire.

Le décret pris par Samvel Chakhramanian annonce ainsi la dissolution “de toutes les institutions gouvernementales et organisations” au 1er janvier 2024. En conséquence, “la république du Haut-Karabagh cesse d’exister” à cette date, poursuit le décret.

Bruxelles condamne mais ne sanctionne pas

L’avenir des quelques 120 000 habitants du Haut-Karabagh est désormais source d’interrogations et d’inquiétudes. Depuis que l’Azerbaïdjan a rouvert dimanche 24 septembre la seule route reliant le Haut-Karabagh à l’Arménie, près de 65 000 personnes ont déjà quitté leurs foyers en direction du pays, a rapporté le gouvernement arménien. Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a ainsi dénoncé “un acte de nettoyage ethnique”, ajoutant que “dans les prochains jours, il n’y aura plus d’Arméniens dans le Haut-Karabagh”.

Pour soutenir l’Arménie face à cet exode massif, l’Union européenne a débloqué une aide humanitaire de 5 millions d’euros afin d’aider les personnes déplacées ainsi que les personnes vulnérables dans le Haut-Karabagh. “Nous devons être prêts à soutenir les milliers de personnes qui ont décidé de fuir le Haut-Karabagh, d’autant plus que l’hiver prochain est susceptible d’exposer les réfugiés à des difficultés supplémentaires”, a expliqué Janez Lenarčič, commissaire européen à la Gestion des crises.

Par la voix de son chef de la diplomatie Josep Borrell, l’UE a condamné l’agression menée par Bakou, sans sanctionner l’Azerbaïdjan pour autant. Plusieurs députés européens de différents bords ont réclamé des sanctions économiques et commerciales, à l’instar des Français Nathalie Loiseau (Renaissance) ou François-Xavier Bellamy (Les Républicains), sans succès pour l’instant. Depuis 2022, l’UE s’est rapprochée de l’Azerbaïdjan, important exportateur de gaz, afin de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.  et Bakou ont prévu d’augmenter les importations de gaz azerbaïdjanais en Europe pour qu’elles atteignent 18 % de la demande des Etats membres d’ici à 2027.

Les réactions de la presse européenne

Une semaine après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabagh, la presse européenne s’interroge sur l’absence de sanctions vis-à-vis de Bakou, un partenaire stratégique de l’UE en matière d’approvisionnement en gaz.

D'ici 2027, il est prévu qu'environ 18 % de la demande annuelle de l'UE en gaz provienne d'Azerbaïdjan - Crédits : Christophe Licoppe / Commission européenneSelon un accord signé en juillet 2022, 18 % de la demande annuelle de l’UE en gaz devrait provenir d’Azerbaïdjan d’ici 2027 – Crédits : Christophe Licoppe / Commission européenne

L’offensive éclair menée par l’Azerbaïdjan les 18 et 19 septembre sur le Haut-Karabagh, un territoire sécessionniste à majorité arménienne, a « pris de court les Européens« , note Le Monde, « les confront[ant] à une forme d’impuissance dans cette partie du Caucase« . Après la défaite des forces sécessionnistes, l’Union européenne est « divisée » quant à l’attitude à adopter face au régime de Bakou, constate TV5 Monde.

En cause notamment selon la presse, les enjeux stratégiques, et en particulier énergétiques, en Azerbaïdjan pour l’Union européenne. Un « nouveau protocole d’accord étendant l’accès européen au gaz en provenance d’Azerbaïdjan dans le cadre d’une volonté [de l’UE] de s’affranchir de sa dépendance aux sources énergétiques russes » a été signé en juillet 2022, rappelle Mediapart.

Risques de « nettoyage ethnique« 

« L’enclave du Haut-Karabagh se vide et l’Arménie s’inquiète pour sa propre survie« , témoignent Les Echos. Une semaine après l’offensive de l’armée azerbaïdjanaise dans la région, « la quasi-totalité des 140 000 Arméniens vivant dans l’enclave […] est en train de prendre le chemin de l’exil« , poursuit le quotidien économique. « Selon les autorités arméniennes, quelque 28 120 réfugiés sont déjà arrivés en Arménie« , précise Le Monde.

RTL Info indique qu’en réponse, l’UE a dans un premier temps débloqué une « aide d’urgence de 500 000 euros » la semaine dernière. Puis « 4,5 millions d’euros d’aide humanitaire en plus » ce mardi 26 septembre afin de « répondre aux besoins croissants résultant de la crise du Haut-Karabagh« . Au total « la Commission européenne a fourni plus de 25,8 millions d’euros d’aide humanitaire depuis le début de l’escalade du conflit dans le Haut-Karabagh en 2020« , ajoute le site d’information belge.

« D’Emmanuel Macron à Olaf Scholz, en passant par le président du Conseil européen Charles Michel, tous se disent inquiets des risques de ‘nettoyage ethnique’ » qui menacent les Arméniens du Haut-Karabagh [L’Express]. L’UE a rappelé la « nécessité pour la transparence et pour un accès de l’aide humanitaire internationale et de responsables chargés de veiller au respect des droits humains, et d’obtenir davantage de détails sur la vision de Bakou concernant l’avenir des Arméniens du Haut-Karabagh en Azerbaïdjan« , complète Le Monde.

Partenariat énergétique

Mais l’absence de sanctions à l’égard de Bakou interroge. « Aucune sanction n’est brandie contre le dictateur d’Azerbaïdjan et ses suppôts« , s’émeut Ouest-France dans un éditorial. Pour le quotidien régional, la raison est toute trouvée : « Les Européens ont versé 15,6 milliards d’euros à l’Azerbaïdjan en 2022 en échange de son gaz et ils annoncent doubler ces importations d’ici 2027 ! Les intérêts l’emportent ! »

En juillet 2022, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen rencontrait effectivement à Bakou le chef d’Etat azerbaïdjanais Ilham Aliyev « afin de renforcer la coopération existante entre l’UE et l’Azerbaïdjan » [Mediapart] et accroître l’accès des Européens au gaz en provenance du pays. Le tout pour mettre un terme à sa dépendance à l’énergie russe. Depuis, « Bakou a doublé ses exportations vers l’Europe, à raison de 800 000 barils par jour« , fait savoir TV5 Monde. « En couvrant 5 % de leurs besoins avec le gaz de Bakou, les Européens se sont-ils lié les mains ?« , s’interroge la chaîne télévisée.

« Grâce à un mélange habile de diplomatie et de lobbying, ce pays riche en ressources s’est présenté pendant des années au Royaume-Uni et dans l’UE comme un partenaire fiable et un hub de transport vital« , analyse The Guardian. Mais désormais, « certains en Occident commencent à repenser leurs relations avec l’Azerbaïdjan« , note le quotidien britannique. Et ce alors qu’Ursula von der Leyen et Ilham Aliyev ont convenu en juillet dernier « que l’Azerbaïdjan prévoirait d’expédier environ 20 milliards de mètres cubes de gaz naturel d’ici 2027« , ce qui équivaut à 18 % des besoins annuels de l’UE.

Une aide humanitaire de 5M d’euros pour la Haut-Karabagh

L’Union européenne a annoncé, ce mardi 26 septembre, une aide humanitaire de cinq millions d’euros à destination du Haut-Karabagh, une région séparatiste de l’Azerbaïdjan à majorité arménienne. Récemment reprise par le pays, sa population fuit par milliers vers l’Arménie voisine.

- Crédits : Adam Jones / Flickr CC BY 2.0
Depuis la reprise du Haut-Karabagh par l’armée azerbaïdjanaise, au moins 13 500 de ses habitants se sont réfugiés en Arménie. Image : vue de Stepanakert, la capitale de la région sécessionniste – Crédits : Adam Jones / Flickr CC BY 2.0

Pour soutenir la population du Haut-Karabagh, l’Union européenne a annoncé une aide humanitaire de cinq millions d’euros, ce mardi 26 septembre. Dans le détail, il s’agit de 500 000 euros d’aide d’urgence prévus la semaine dernière, auxquels s’ajoutent 4,5 millions d’euros de nouveaux financements.

Ces sommes doivent notamment permettre d’apporter un soutien aux personnes réfugiées en Arménie, dont le nombre atteint 13 500 et qui devrait encore augmenter, un exode massif des Arméniens du Haut-Karabagh étant probable. L’aide prendra prioritairement la forme d’une assistance financière, mais aussi alimentaire et matérielle.

Nous devons être prêts à soutenir les milliers de personnes qui ont décidé de fuir le Haut-Karabagh, d’autant plus que l’hiver prochain est susceptible d’exposer les réfugiés à des difficultés supplémentaires”, a ainsi déclaré Janez Lenarčič, commissaire européen à la Gestion des crises. L’objectif est également de soutenir au moins 60 000 personnes restées au Haut-Karabagh, où une pénurie alimentaire ainsi qu’un manque d’accès à l’eau et à l’électricité ont été constatés.

Après une guerre l’opposant à l’Azerbaïdjan en 2020, l’enclave arménienne avait déjà perdu trois quarts de son territoire. En l’espace d’une guerre-éclair d’un jour du 19 au 20 septembre derniers, les forces azerbaïdjanaises ont totalement repris le contrôle de la région.

Haut-Karabakh: les députés demandent un réexamen des relations de l’UE avec l’Azerbaïdjan

  • Le Parlement affirme que la situation actuelle des Arméniens fuyant le Haut-Karabakh équivaut à un nettoyage ethnique
  • L’UE doit adopter des sanctions ciblées contre les fonctionnaires du gouvernement azerbaïdjanais responsables de violations du cessez-le-feu et de violations des droits humains au Haut-Karabakh
  • L’UE devrait suspendre toute négociation sur un partenariat renouvelé avec Bakou, ainsi que sur le protocole d’accord dans le domaine de l’énergie
  • Les députés demandent à la Turquie de réfréner son allié, l’Azerbaïdjan

Condamnant la prise de contrôle violente du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan, les députés appellent à des sanctions et demandent que l’UE réexamine ses relations avec Bakou.

Dans une résolution adoptée jeudi, le Parlement condamne fermement l’attaque militaire planifiée et injustifiée de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh le 19 septembre, qui, selon les députés, constitue une violation flagrante du droit international et des droits humains et une violation manifeste des tentatives antérieures de cessez-le-feu. Plus de 100,000 Arméniens de souche ayant été contraints de fuir l’enclave depuis la dernière offensive, les députés estiment que la situation actuelle équivaut à un nettoyage ethnique et condamnent fermement les menaces et les violences commises par les troupes azerbaïdjanaises contre les habitants arméniens du Haut-Karabakh.

Ils demandent également à l’UE et aux États membres d’offrir immédiatement toute l’aide nécessaire à l’Arménie pour faire face à l’afflux de réfugiés en provenance du Haut-Karabakh et à la crise humanitaire qui a suivi.

Les députés veulent que les responsables azerbaïdjanais sanctionnés

Consterné par la dernière attaque de l’Azerbaïdjan, le Parlement demande à l’Union européenne d’adopter des sanctions ciblées contre les responsables du gouvernement de Bakou responsables de multiples violations du cessez-le-feu et des violations des droits humains dans le Haut-Karabakh. Tout en rappelant à la partie azerbaïdjanaise qu’elle porte l’entière responsabilité d’assurer la sécurité et le bien-être de tous les habitants de l’enclave, les députés demandent des enquêtes sur les abus commis par les troupes azerbaïdjanaises qui peuvent constituer des crimes de guerre.

Se déclarant gravement préoccupés par les déclarations irrédentistes et incendiaires du président azerbaïdjanais llham Aliyev et d’autres responsables azéris menaçant l’intégrité territoriale de l’Arménie, les députés mettent Bakou en garde contre tout aventurisme militaire potentiel et appellent la Turquie à réfréner son allié. Ils condamnent également l’implication de la Turquie dans l’armement de l’Azerbaïdjan et son soutien total aux offensives de Bakou en 2020 et 2023.

L’UE doit réévaluer ses relations avec l’Azerbaïdjan

Le Parlement demande à l’Union européenne d’entreprendre un réexamen complet de ses relations avec Bakou. Développer un partenariat stratégique avec un pays comme l’Azerbaïdjan, qui viole de manière flagrante le droit international et les engagements internationaux, et qui a un bilan alarmant en matière de droits humains, est incompatible avec les objectifs de la politique étrangère de l’UE, affirment les députés. Ils exhortent l’UE à suspendre toute négociation sur un partenariat renouvelé avec Bakou et, si la situation ne s’améliore pas, envisagent de suspendre l’application de l’accord d’assouplissement des visas conclu par l’UE avec l’Azerbaïdjan.

Le Parlement demande également à l’Union de réduire sa dépendance à l’égard des importations de gaz azéri et, en cas d’agression militaire ou d’attaques hybrides importantes contre l’Arménie, d’arrêter complètement les importations de pétrole et de gaz azéris. En attendant, les députés souhaitent que l’actuel protocole d’accord sur un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie entre l’UE et l’Azerbaïdjan soit suspendu.

La résolution a été adoptée par 491 voix pour, 9 contre et 36 abstentions.

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