Défis vitaux de l’UE dans un monde en permacrise -2. Green deal : jusqu’où ira le rétropédalage ?

Grain de sel

Rappel : sur ce blog, la question de la compétitivité européenne a déjà été abordée à plusieurs reprises ; l’article présent s’inscrit dans la continuité de la réflexion menée dans le cadre de la série « Compétitivité de l’Union européenne » Travaux du CEDEFilière affaires européennesInstitut Géopolitique & Business

Les autres articles de la série :
Autour du Débat du 25 avril 2025 (Filière Affaires européennes – MSDAIM 2025) – Quelques défis vitaux de l’UE dans un monde en permacrise :
L’UE face aux grandes puissances économiques : faire le dos rond ou contre-attaquer ?
Numérique : entre souveraineté numérique, valeurs de l’UE et concurrence internationale

Autour du Débat du 17 juin 2025 (CEDE – Filière Affaires européennes) UE & Reconquête d’une compétitivité durable?!
-Le Compte-rendu exhaustif : UE & Reconquête d’une compétitivité durable – le Saint Graal?
-Interview d’experts « Compétitivité européenne : Quelques défis stratégiques relatifs à l’énergie, le numérique, la santé »
Compétitivité – la situation inquiétante de l’Europe – Rédactionnel réalisé en préparation du débat du 17 juin 2025 avec Célestine Phe, monitrice ESSEC.


Débat CEDE – Filière affaires Européennes – 25 avril 2025

Introduction

Cet article est le fruit des travaux réalisés par les étudiants du Master en Droit International et Management 2025 de l’ESSEC Business School,  sous la direction de Viviane de Beaufort (CEDE– chaire Jean Monnet de la Commission européenne) dans le cadre du cours « Lobbying responsable en droit européen des affaires ». Essec Institut Géopolitique et Business

Les étudiants accompagnés d’experts : Agnes Dubois Colineau, Erika Wolf, Nicolas Burnichon, Hugo Partouche, Myriam El Andaloussi, Ghenadie Radu et Mathieu Cleach ont évalué les défis de l’UE dans un monde où les crises s’enchaînent.

Quatre sujets ont été travaillés durant plusieurs semaines en équipes :

  1. L’UE face aux grandes puissances économiques : faire le dos rond ou contre-attaquer ?
  2. Green deal : jusqu’où ira le rétropédalage ? Flore Nicoulet, Garance Nivault, Manon Exshaw, Emma Portel, Maxime Schuster-Carneiro, Tanguy Le Brun, Margot Lescureux, Anna Lefevre, Adrien Bel, Antoine Lehoux-Mallet, Cyann Starck
  3. Peut on encore contrôler les GAFAM – Ces entreprises États ?
  4. Entreprises européennes et activités en Russie – Quel degré et nature de risques ?

Les trois premiers sujets font chacun l’objet d’un article sur le blog, et le quatrième, faisant l’objet de recherches plus poussées au CEDE visant la publication d’un article fin 2025 et ne sera donc pas publié ici.

Lien vers : L’UE face aux grandes puissances économiques – faire le dos rond ou contre-attaquer ?

Lien vers : Numérique – entre souveraineté numérique, valeurs de l’UE et concurrence internationale

1. Les travaux des étudiants

Les ambitions initiales du Green Deal européen

Le Pacte Vert pour l’Europe, ou European Green Deal, lancé fin 2019, visait à transformer radicalement l’économie européenne pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. Il s’agissait de la « nouvelle stratégie de croissance » de l’UE selon Ursula von der Leyen, combinant réduction des émissions de gaz à effet de serre avec création d’emplois et amélioration de la qualité de vie. Concrètement, le Green Deal fixait des objectifs ambitieux comme une baisse d’au moins 55 % des émissions de CO₂ d’ici 2030 (par rapport à 1990), le déploiement massif des énergies renouvelables et la sortie progressive des énergies fossiles, la transformation durable des secteurs clés (industrie, agriculture, transport, bâtiment…), ou encore la protection de la biodiversité. Pour financer la transition, il prévoyait notamment un Mécanisme pour une transition juste afin d’accompagner les régions et travailleurs les plus affectés. De nombreuses mesures phares ont été mises en place, du paquet climat « Fit for 55 » au Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), en passant par des textes imposant plus de transparence et de responsabilité aux entreprises – par exemple la directive CSRD sur le reporting extra-financier et la directive CSDDD (dite CS3D) sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. L’architecture réglementaire du Green Deal couvrait ainsi tous les secteurs économiques, de la finance durable (taxonomie verte, disclosure SFDR) à l’agriculture (règlement zéro-déforestation), en intégrant l’ensemble des acteurs publics et privés. L’Union européenne se voulait à l’avant-garde mondiale de la transition écologique, en mettant en place des normes élevées susceptibles de devenir des standards internationaux.

Le contexte bascule : la compétitivité d’abord ?

Après l’euphorie initiale, le contexte économique et politique a considérablement évolué à partir de 2022-2023. La crise du Covid-19 puis le choc énergétique lié à la guerre en Ukraine ont provoqué une flambée de l’inflation et des coûts de l’énergie, entraînant une vive inquiétude des industriels européens face aux nouvelles contraintes vertes. Parallèlement, les États-Unis ont adopté une stratégie de subventions massives aux technologies vertes (Inflation Reduction Act), et la Chine accentue sa domination sur les filières stratégiques (panneaux solaires, batteries, etc.), nourrissant le sentiment d’un risque de déclassement économique de l’Europe. Dans ce contexte, un véritable contre-discours a émergé, porté par certains grands groupes, associations patronales et responsables politiques conservateurs, dénonçant le Green Deal comme un « fardeau » pour la compétitivité européenne. Cette backlash a convaincu une partie croissante des décideurs : ainsi, dès 2023, on a vu les priorités de l’UE évoluer, le cap politique glissant de la transition verte vers la défense de l’industrie et de la compétitivité. Plusieurs rapports d’experts influents (Rapport Noyer en France, mission Letta au niveau européen, rapport Draghi sur la compétitivité) ont préconisé de réduire la charge réglementaire pesant sur les entreprises. En mars 2023, la Déclaration de Budapest signée par les chefs d’État et de gouvernement de l’UE a formellement érigé la compétitivité en priorité stratégique, appelant à un « allègement substantiel du fardeau administratif » pour les acteurs économiques. La nouvelle mandature européenne 2024-2029 s’est ainsi ouverte avec un mot d’ordre clair : « simplifier pour compétitivité ». Historiquement, l’UE a toujours cherché à renforcer sa compétitivité internationale (déjà en 1986, l’Acte unique parlait de stimuler la compétitivité européenne). Mais jamais ce souci n’avait semblé entrer en collision aussi frontalement avec l’agenda climatique. Désormais, de nombreux acteurs économiques appellent à “faire une pause” dans les objectifs verts, le temps de reprendre souffle face aux concurrents mondiaux – quitte à détricoter certaines normes fraîchement adoptées.

Le « rétro-lobbying » : quand on détricote le Pacte Vert

C’est dans ce climat que l’on voit apparaître un phénomène inédit qualifié de rétro-lobbying. Contrairement au lobbying classique qui intervient en amont pour influencer l’élaboration de nouvelles lois, ce rétro-lobbying vise à revenir en arrière sur des engagements déjà actés ou en passe de l’être, en profitant du contexte politique et économique mouvant. En d’autres termes, il s’agit pour certains intérêts de rouvrir des dossiers censés être clos afin d’en atténuer la portée. Dès 2020, en pleine pandémie, les grandes organisations patronales européennes (BusinessEurope, AFEP, MEDEF, etc.) ont commencé à alerter sur les « risques » des nouvelles règles ESG. Par exemple, dès fin 2021, le président du MEDEF Geoffroy Roux de Bézieux réclamait que le futur reporting extra-financier reste fondé sur le volontariat. Au fil de 2022 et 2023, le discours s’est durci : on parle d’« obligations iniques » à propos des normes climat, et la fronde s’organise contre certains textes clés du Green Deal. Des acteurs multiples se retrouvent engagés dans ce rétro-lobbying tous azimuts. Naturellement, on y retrouve les lobbies industriels traditionnels : par exemple, le puissant syndicat industriel allemand VDMA a réclamé un report et un allègement des obligations de reporting ESG pour les PME, au nom de la compétitivité, et demandé la suppression de certains indicateurs jugés superflus. Des fédérations sectorielles – notamment les banques via la FBF française, la FBE européenne ou la Bankenverband allemande – se mobilisent aussi, arguant que des exigences de transparence trop lourdes détournent des ressources qui seraient mieux employées à financer la transition. Aux côtés de ces groupes privés, des acteurs publics se font l’écho de ces préoccupations : certains eurodéputés, en particulier à l’extrême-droite, appellent purement et simplement à une « suspension temporaire du Green Deal ». Même à l’échelle nationale, on assiste à des prises de position inédites : en France, le Sénat à majorité conservatrice a voté en 2023 une résolution pressant de retirer le volet social de certains textes et d’exempter largement les PME, tout en plaidant pour un recul sur les exigences bancaires et agricoles jugées excessives. De leur côté, plusieurs gouvernements d’Europe centrale et orientale, ainsi que l’Allemagne sur certains dossiers, ont freiné des quatre fers contre des normes environnementales qu’ils estiment contraires aux intérêts économiques nationaux (par exemple l’Allemagne s’est opposée in extremis à l’interdiction des voitures thermiques, obtenant une dérogation pour les carburants synthétiques). La conséquence de ces pressions concordantes a été de rouvrir la boîte de Pandore réglementaire : l’UE envisage désormais de détricoter certains éléments de son Pacte Vert, une situation impensable il y a encore peu.

Exemples de remise en question : déforestation, voitures, glyphosate…

Plusieurs reculs concrets illustrent cette tendance. L’un des signaux forts a été la fronde autour de la loi de restauration de la nature et du règlement sur les pesticides, vivement contestés par les agriculteurs et la droite en 2023, au point que le projet de loi nature a failli être rejeté en première lecture par le Parlement européen. Ensuite, bien que le règlement européen visant à éliminer la déforestation importée ait été adopté en 2023, sa mise en œuvre a été repoussée d’un an début 2025 sous la pression de certains États et filières. De même, les normes antipollution pour l’automobile ont été assouplies : l’UE a accordé aux constructeurs deux années supplémentaires pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions des véhicules thermiques. Un autre exemple emblématique est le glyphosate – l’herbicide controversé : faute de majorité qualifiée parmi les États membres, la Commission européenne a décidé fin 2023 de renouveler son autorisation pour 10 ans malgré les critiques des ONG environnementales. Ce renouvellement, perçu comme un revirement par rapport aux objectifs de réduction des pesticides du Green Deal, a été salué par les lobbies agricoles mais dénoncé comme un dangereux précédent par les écologistes. Plus généralement, on constate un ralentissement ou un édulcoration de plusieurs textes environnementaux sous l’argument de la compétitivité : par exemple, début 2025 la Commission a abaissé le niveau de protection de certaines espèces (comme le loup, dont le statut de protection a été révisé sous la pression de certains États), et une proposition de règlement visant à encadrer le greenwashing publicitaire a été purement et simplement enterrée en phase finale de négociations. Chaque recul pris isolément a ses justifications techniques, mais l’ensemble compose un tableau saisissant : selon The Guardian, depuis fin 2023 les décideurs européens ont porté « plusieurs coups d’arrêt critiques » à leur fameux Green Deal, dans une fuite en avant dérégulatrice qui a choqué les observateurs par son ampleur et sa rapidité.

La grande « simplification » : Omnibus et “Stop the Clock”

Le point d’orgue de ce rétro-lobbying a été atteint avec le lancement d’un paquet législatif de simplification, véritable nom de code pour la remise à plat de certaines obligations phares du Green Deal. En février 2025, la Commission von der Leyen a dévoilé un ensemble de deux propositions dites « omnibus », conçues pour « radicalement alléger la charge » pesant sur les entreprises tout en affirmant vouloir maintenir les objectifs climatiques (un exercice d’équilibrisme). La première initiative – surnommée directive “Stop the Clock” – consiste à décaler dans le temps l’entrée en vigueur de plusieurs règles, offrant un répit bienvenu aux entreprises. Concrètement, cette directive reporte de deux ans les premières échéances de reporting extra-financier (CSRD) pour de nombreuses sociétés, notamment les entreprises de taille intermédiaire qui devaient initialement appliquer les nouvelles normes dès 2026. Désormais, ces entreprises n’auront pas à publier de rapport de durabilité avant 2028, ce qui en pratique les exempte durant deux exercices supplémentaires. De même, les PME cotées et certains établissements financiers bénéficient d’un délai de deux ans. En parallèle, la mise en conformité avec la directive sur le devoir de vigilance (CS3D) est ajournée d’un an pour les plus grands groupes concernés. Cette pause réglementaire a été entérinée à une écrasante majorité par le Parlement européen (531 voix pour) début avril 2025, puis approuvée par le Conseil peu après, et la directive Stop-the-Clock est entrée en vigueur mi-avril 2025.

La seconde composante, plus délicate, est un projet de révision au fond des normes, toujours en discussion en 2025. Il s’agit de modifier substantiellement le contenu des directives vertes via une « directive Omnibus » visant CSRD, CS3D et le règlement Taxonomie verte. Les propositions de la Commission prévoient notamment de resserrer le champ d’application de la CSRD : seules les entreprises de plus de 1000 employés seraient couvertes, au lieu du seuil de 250 salariés fixé initialement. Une telle mesure exclurait d’un trait de plume environ 85 % des entreprises qui auraient dû entrer dans le périmètre du reporting ESG. De plus, le futur dispositif de devoir de vigilance pourrait être édulcoré en se limitant aux fournisseurs directs des entreprises, plutôt qu’à l’ensemble de la chaîne de valeur – ce qui omettrait les maillons plus lointains où se concentrent souvent les atteintes aux droits humains ou à l’environnement. En somme, sous couvert de simplification, c’est un véritable affaiblissement réglementaire qui est sur la table. Ces orientations suscitent une vive opposition des ONG et de certains investisseurs responsables, qui estiment qu’alléger les exigences de transparence revient à se tirer une balle dans le pied. Par exemple, la coalition d’ONG Counter Balance souligne que les grands groupes qui se plaignent du coût de la conformité ont versé collectivement près de 2 900 milliards d’euros de dividendes aux actionnaires sur la dernière décennie, tandis que le coût annuel cumulé des nouvelles obligations représenterait à peine 0,13 % de ces distributions. La question posée est claire : l’Europe doit-elle vraiment sacrifier une partie de ses normes vertes sur l’autel de la compétitivité, alors même que ces normes pourraient devenir un atout stratégique ?

Quête de compétitivité ou renégociation raisonnable ?

Au final, l’UE se trouve face à un dilemme stratégique. D’un côté, on entend le discours alarmiste des industriels et de certains politiques : à les croire, sans coup de frein immédiat, le Green Deal menacerait la viabilité de pans entiers de l’économie européenne, déjà fragilisée par des coûts élevés de l’énergie et une concurrence internationale féroce. Cette frange estime donc raisonnable de renégocier certains objectifs pour les rendre plus réalistes, le temps que l’industrie s’adapte et que l’on évite des « fuites de carbone » ou des fermetures d’usines. La Commission européenne elle-même, tout en réaffirmant son engagement climatique, a adopté une rhétorique centrée sur le « bon sens » économique : il s’agirait simplement de simplifier sans trahir, c’est-à-dire de maintenir les ambitions environnementales tout en assouplissant les moyens de les atteindre. Cette narrative se veut rassurante : la “direction politique générale de l’Union en matière de durabilité reste inchangée”, clame-t-on, seule la mise en œuvre serait ajustée pour éviter de “couper la corde” des PME. En somme, ce serait un mal pour un bien, une renégociation pragmatique et temporaire plutôt qu’un abandon pur et simple.

D’un autre côté, les défenseurs du Pacte Vert alertent sur le risque de “passer à la trappe” des objectifs cruciaux sous la pression d’intérêts à courte vue. Pour Marco Contiero, directeur politique agriculture de Greenpeace EU, on assiste à un changement radical de priorités politiques au sommet de l’UE, et « l’ambition est en train de se perdre en haut lieu alors qu’en bas la résistance aux mesures vertes s’intensifie ». Beaucoup craignent un dangereux précédent démocratique : voir des lois laborieusement négociées pendant des années être détricotées avant même d’avoir été appliquées jette une ombre sur la fiabilité des engagements européens. Cela soulève une question : à quoi bon adopter des normes pionnières si, au premier vent contraire, on les démonte ? Certaines voix, y compris parmi d’anciens responsables pro-business, préviennent que l’Europe ferait fausse route en croyant sauver sa compétitivité par un abaissement des standards. « On ne peut pas être compétitif en baissant les normes » résume Julien Denormandie, ancien ministre français désormais engagé dans la finance verte, qui souligne que les États-Unis bénéficient certes d’une énergie moins chère et la Chine de règles environnementales plus laxistes, mais que renoncer aux exigences européennes ne rendra pas l’UE plus compétitive pour autant. Au contraire, ces règles environnementales et sociales élevées constituent un levier puissant : elles obligent les entreprises étrangères désireuses d’accéder au marché unique à se conformer aux standards de l’UE, créant ainsi un level playing field avantageux. L’Union a longtemps capitalisé sur son « pouvoir normatif » pour tirer vers le haut les pratiques mondiales (on l’a vu avec le RGPD dans le numérique) – renoncer à ce rôle moteur serait s’engager dans une « course vers le bas » perdante pour tous.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue l’urgence climatique elle-même. Le relâchement européen intervient alors que les indicateurs globaux sont au rouge : en 2024, les émissions mondiales de CO₂ n’ont toujours pas amorcé de baisse significative, et les événements climatiques extrêmes se multiplient. Reculer sur le Green Deal maintenant, c’est potentiellement freiner l’élan de l’Europe juste au moment où d’autres grandes puissances pourraient combler le vide. D’ailleurs, signe des temps, la Chine – longtemps pointée du doigt – commence à adopter certaines normes environnementales (par exemple, ses bourses exigent désormais des rapports ESG des entreprises cotées), tandis qu’aux États-Unis le nouveau gouvernement Trump multiplie les attaques contre les agences environnementales. Dans cette compétition mondiale des modèles, l’Europe doit choisir : courber l’échine en attendant des jours meilleurs, ou montrer les dents pour défendre bec et ongles ses valeurs et ses intérêts de long terme. La quête de compétitivité ne devrait sans doute pas se faire au détriment de la crédibilité climatique de l’UE – au risque de sacrifier l’avenir pour des gains immédiats illusoires. La « renégociation raisonnable » a ses limites : si elle se transforme en abandon en rase campagne, le Pacte Vert européen pourrait bien finir au tapis. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre réalisme économique et ambition durable, afin que l’Europe reste dans la course sans renoncer à être un leader exemplaire de la transition écologique. Les prochains mois, entre tractations politiques et pression des lobbies, nous diront si le Green Deal sera sauvé, aménagé ou tout simplement sabordé.

2. Actualités à date fin juillet 2025

L’Europe au miroir de ses enjeux commerciaux

L’Europe poursuit son chemin vers une transition verte tout en scrutant les répercussions économiques, notamment commerciales. Le 23 juillet, la Commission a lancé une consultation publique pour simplifier des lois environnementales jugées trop contraignantes, ciblant notamment les obligations de reporting ESG, la due diligence, les dispositifs anti‑déforestation et la responsabilité élargie des producteurs (EPR). Ce mouvement s’inscrit dans une logique de recalibrage : chercher un équilibre entre ambition climatique et compétitivité face à des géants comme les États-Unis (via leur Inflation Reduction Act) ou la Chine.

Parallèlement, le « Clean Industrial Deal » dévoilé en février propose un arsenal de mesures pour assister les industries lourdes (acier, ciment) — accompagnée d’un plan à 100 milliards € de financement public — tout en assouplissant les exigences de transparence : dérogation pour les PME, report du CSRD, ajustement des règles sur la taxonomie verte. Les défenseurs de l’environnement tirent la sonnette d’alarme, dénonçant une dérégulation déguisée vue comme une menace pour la cohérence à long terme du Green Deal.

Grandes tendances commerciales liées au pacte vert

Bien que souvent perçu comme une initiative « écologique », le Green Deal prend de plus en plus une dimension économique et stratégique. L’intégration au “Green Industrial Deal” illustre cette orientation, où la réduction des contraintes se combine à un soutien industriel fort.

Cette réalité traduit une posture en mutation : l’UE se repositionne dans un contexte concurrentiel mondial où la décarbonation doit aussi servir d’outil de relance industrielle, via le Net‑Zero Industry Act et des fonds calibrés pour renforcer l’autonomie technologique et énergétique. Le défi reste cependant crucial : comment conserver la valeur normative du bloc face aux pressions globales ?

Reculs concrets et conversion réglementaire

Plusieurs réajustements témoignent du ralentissement réglementaire à l’œuvre :

  • Le report des échéances du reporting extra‑financier pour les PME et décalage du devoir de vigilance (CS3D).
  • L’assouplissement des normes automobile et de protection de la biodiversité (ex. dérogation pour le loup) The GuardianFinancial Times.
  • Le gel des normes sur la déforestation importée et l’abandon du projet de loi anti‑greenwashing sous la pression du Parlement The Guardian.

Ces décisions illustrent un ralentissement de l’agenda climatique, motivé par la volonté de protéger les secteurs industriels et agricoles — mais suscitant des critiques quant à la capacité de l’Europe à maintenir son rôle de leader normatif.

Quelles implications pour le commerce international ?

Ces évolutions résonnent à travers les frontières :

  • Chine : moins de pression réglementaire alimentaire renforce la compétitivité des exportations chinoises, affaiblissant la puissance normative de l’UE.
  • États-Unis : face aux subventions américaines, l’UE ajuste certains textes, tout en se dotant d’outils (CBAM, rapports ESG) pour rester compétitive.
  • Autres zones : les négociations avec l’ASEAN, le Mercosur ou la Californie sur les normes environnementales prennent un relief nouveau, marquées par une Europe aux ambitions rééquilibrées.

L’été 2025 marque une phase de réajustement stratégique : l’Europe tente de concilier ambition climatique et compétitivité industrielle. Elle freine certaines de ses normes les plus exigeantes tout en mobilisant de nouveaux outils de soutien économique. Le risque : sacrifier l’effet d’entraînement vert mondial du Green Deal. Reste donc à voir si cette réorientation est une pause tactique ou le début d’un véritable recul normatif.

Grain de sel

On peut détricoter les règlements, repousser les échéances, réécrire les normes. Mais on ne négocie pas avec le climat, ni avec la disparition des espèces, ni avec la raréfaction de l’eau. Le Green Deal n’est pas un cap idéologique : c’est une réponse – certes imparfaite – à une réalité physique qui, elle, ne recule pas.

Beaucoup d’entreprises l’ont compris. Certaines sont en avance, refusent les reculs réglementaires, et demandent du cadre, pas du vide. Car à la fin, ce ne sont pas les normes qui plombent la compétitivité, mais le chaos climatique.

Comme l’a dit Michel Derdevet à l’ESSEC : parler de souveraineté énergétique tout en restant accros au gaz russe ou au GNL américain, c’est de la schizophrénie.

En effet, à trop vouloir éviter la guerre tarifaire, l’Union européenne semble avoir fait une croix sur une partie de sa souveraineté climatique. En échange d’un sursis douanier, Bruxelles s’engage à importer pour 750 milliards de dollars d’hydrocarbures américains. Un choix qui, derrière les apparences d’un compromis commercial, marque un net rétropédalage du Green Deal.

Ce n’est pas seulement la cohérence climatique de l’Union qui vacille, mais sa stratégie de long terme : alors même que la demande de gaz recule, et que les effets du dérèglement climatique se font chaque jour plus violents, l’UE lie son avenir énergétique à une source fossile importée — plus émettrice que le charbon sur l’ensemble de son cycle de vie.

Autrement dit, pour éviter 15 % de droits de douane, l’Europe s’apprête à brader 30 ans d’ambition climatique. Un deal, oui. Mais certainement pas gagnant-gagnant. Nous devons penser notre avenir européen ensemble, pas au gré des intérêts électoraux ou corporatistes.

En résumé ? On a qu’une planète. Et pas de clause dérogatoire.

Sources :

EU eyes more cutbacks to environmental laws after industry criticism | Reuters

EU reveals plans to hit climate goals by helping dirty industries clean up | European Union | The Guardian

Green Deal is ‘no longer an ecological, but an economic agenda’, says EU climate official – Euractiv

L’accord UE-Etats-Unis n’est pas une bonne nouvelle pour le climat