Le système de contrôle automatique aux frontières de l’aéroport de Francfort, en Allemagne, l’un des plus fréquentés d’Europe – Crédits : istockphoto / Wicki58
Barthélémy Gaillard
Comment les femmes et les hommes circulent-ils d’un Etat européen à l’autre ? L’Union européenne a-t-elle un droit de regard sur les passages et les contrôles aux frontières de ses membres ? Quels textes définissent les obligations des Etats en la matière ? Toute l’Europe vous explique le fonctionnement des frontières – qu’elles soient extérieures ou intérieures – de l’Union européenne.
La libre circulation des personnes permet aux citoyens européens de circuler, s’établir, travailler et étudier dans tout autre Etat de l’Union européenne.
Cette circulation est encore plus fluide dans les pays de l’espace Schengen, qui abolit les contrôles aux frontières internes.
Les Etats conservent la main sur leur politique frontalière et peuvent décider d’y rétablir des contrôles dans des cas précis.
La libre circulation des personnes est l’une des quatre libertés constitutives du marché unique avec la libre circulation des marchandises, des capitaux et des services. Elle a d’abord été instaurée dans une visée économique par le traité de Rome en 1957. A l’époque, elle ne s’appliquait en effet qu’aux travailleurs.
Mais cette libre circulation des travailleurs a ensuite été élargie par un paquet de directives du 28 juin 1990 et autorise depuis les citoyens européens et les membres de leur famille à se déplacer dans un autre pays de l’UE pour voyager, étudier, travailler et résider. Elle est aujourd’hui garantie par l’article 3 du traité sur l’Union européenne et par l’article 21 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Sans compter la création de l’espace Schengen, qui met fin aux contrôles en son sein et renforce la surveillance des frontières extérieures.
L’Union européenne est donc devenue un espace de libre circulation pour les personnes. En 2019, 17 des 513 millions d’Européens vivaient ou travaillaient dans un autre Etat membre que celui de leur naissance.
Cette liberté permet par exemple de garantir, en principe, une juste concurrence entre les travailleurs : elle vise à « l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres en ce qui concerne l’emploi la rémunération ou les autres conditions de travail« , affirme le traité de Lisbonne. Elle est également adossée au droit d’établissement, qui garantit à tout citoyen européen le droit d’exercer une activité économique dans un autre Etat membre. Enfin, l’Union européenne encourage également la mobilité des étudiants via le programme Erasmus +, créé en 1987.
La libre circulation des Européens est encore renforcée par un autre dispositif : l’espace Schengen. A son origine, le 14 juin 1985, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Allemagne et la France ont signé les « accords de Schengen », du nom de la ville luxembourgeoise où les représentants des cinq Etats se sont réunis. Effectif en 1995, « l’espace Schengen » abolit les contrôles systématiques à ses frontières intérieures et permet une politique commune de gestion des frontières extérieures. A ce titre, les Etats ont harmonisé leurs conditions d’entrée dans l’espace Schengen pour les ressortissants de pays tiers et la manière dont elles sont vérifiées. L’Union européenne a également lancé l’agence Frontex en 2004 pour aider les Etats à contrôler et surveiller ces frontières extérieures.
Aujourd’hui, le territoire de l’espace Schengen ne correspond pas exactement à celui de l’Union européenne : la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein en font partie, tout comme 22 des 27 membres de l’Union européenne. Il comprend ainsi 26 membres.
Schengen : la carte des restrictions aux frontières nationales
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Aux frontières intérieures, les Etats membres abolissent (presque) complètement les contrôles
Les Etats de l’espace Schengen doivent se conformer à son « Code frontières« . Ce dernier leur fixe des obligations, comme, pour les pays concernés, la surveillance de les frontières extérieures pour protéger leurs voisins de toute entrée illégale dans l’espace Schengen. Il fixe également un cadre à ces contrôles aux frontières extérieures pour qu’ils « ne constituent pas une entrave majeure aux échanges économiques, sociaux et culturels« .
Ce texte guide et contraint donc l’action des membres de l’espace Schengen. Mais il autorise également des exceptions, permettant par exemple à un Etat de rétablir temporairement des contrôles à ses frontières en cas de menace grave pour l’ordre public ou de risque sanitaire majeur. Une disposition utilisée par les Etats membres à plusieurs reprises ces dernières années dans divers cadres : l’organisation d’événements publics, la crise migratoire, les attentats terroristes ou encore la crise sanitaire du Covid-19.
Cette option leur permet normalement de contrôler les allées et venues à leurs frontières et, en fonction, d’autoriser ou non les voyageurs à pénétrer sur leur territoire. Ce qui a été fait par exemple par plusieurs Etats membres de l’espace Schengen lors de la crise des migrants en 2015-2016. Avec la crise du coronavirus, ces rétablissements de contrôles aux frontières intérieures autorisés en droit se sont souvent assortis de restrictions : les Etats ont cette fois décrété ne plus accepter les voyageurs provenant de certains pays (ou nationalités) sur leur sol.
Comment fonctionnent ces contrôles ?
Concrètement, les contrôles ne peuvent être réalisés sur l’intégralité du tracé des frontières. Certains accès sont contrôlés 24h sur 24 au niveau des postes frontières, tandis que d’autres ne font l’objet que de contrôles aléatoires, parfois dans un périmètre proche du poste, sur la route, à bord des trains internationaux, dans les ports ou les aéroports.
L’objectif est de vérifier l’identité des personnes qui franchissent la frontière. Chaque personne contrôlée doit ainsi présenter à la police des frontières un document permettant de justifier son identité lors du contrôle. Sur les axes routiers, les papiers et l’intérieur du véhicule font également l’objet de vérifications.
En tant que gardienne des traités, la Commission européenne a pour mission de s’assurer de leur respect par les Etats membres, si besoin en saisissant la justice européenne pour faire sanctionner ceux qui commettent des infractions. Elle doit notamment assurer l’égalité de traitement entre les citoyens des différents Etats membres de l’Union. Cela signifie qu’elle pourrait, en tout état de cause, saisir la Cour de justice de l’UE contre les Etats qui ont imposé des restrictions discriminatoires envers certaines nationalités.
Outre ce levier juridique, les institutions européennes jouent un rôle politique dans la gestion des frontières de l’UE. Elles peuvent en effet édicter des recommandations – non contraignantes – sur la marche à suivre, comme elles l’ont fait au cours de la récente crise du Covid-19. La Commission européenne a par exemple appelé les Etats membres à une levée coordonnée et progressive des restrictions à leurs frontières intérieures.
L’Union européenne a enfin élaboré une politique commune en matière d’asile et de migration, autorisée par le traité d’Amsterdam de 1997. En matière d’asile, la convention de Dublin détermine notamment quel Etat est responsable de l’examen d’une demande d’asile, afin d’éviter qu’un même individu la sollicite dans plusieurs Etats membres à la fois. Le principe général veut que le pays responsable de la demande d’asile soit le pays d’entrée du demandeur d’asile dans l’UE. Concrètement, cela signifie qu’un migrant arrivé en Europe par l’Italie qui s’est déplacé jusqu’en Allemagne doit être ramené en Italie, où sa demande d’asile sera examinée. Une règle décriée par la Grèce et l’Italie, principales portes d’entrée migratoires dans l’Union européenne.
Aux frontières extérieures, une politique commune de contrôle
L’Union européenne peut également s’exprimer sur la politique en matière de gestion des frontières extérieures. La Commission européenne peut en effet faire des recommandations aux Etats membres, comme elle l’a fait par exemple au mois de mars 2020, au plus fort de la crise du Covid-19. Elle avait alors recommandé de « fermer » les frontières extérieures de l’UE aux vols en provenance de pays tiers. Cette recommandation, bien que non contraignante, avait été appliquée par l’ensemble des Etats membres. Une fois le pic de la pandémie passé, l’Union européenne a également, à travers le Conseil de l’UE, adopté une liste d’une douzaine de pays tiers dont les ressortissants étaient à nouveau autorisés à se rendre sur le territoire européen. Bien que non contraignante elle aussi, elle a été appliquée comme la plupart des décisions du Conseil, qui regroupe les Etats membres.
L’Union européenne joue également un rôle important aux frontières extérieures via l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, aussi appelée Frontex. Basée à Varsovie, cette agence a été créée pour épauler les Etats membres de l’UE et de l’espace Schengen dans le contrôle des points de passage aux frontières avec des pays tiers. Elle contribue notamment à l’enregistrement et à l’identification des migrants à leur arrivée, et agit principalement en Méditerranée. Ses agents sont toujours accompagnés de fonctionnaires de l’Etat membre dans lequel ils agissent. Outre cette prérogative de contrôle, Frontex coordonne aussi les opérations de renvois de migrants irréguliers vers leurs pays d’origine, les Etats restant libres de déterminer qui doit être renvoyé ou non. Frontex travaille également en lien étroit avec Europol sur les questions de criminalité transfrontalière (trafic de drogue et d’êtres humains, terrorisme…).
Enfin, l’Union a mis en place la directive données des dossiers passagers (PNR) permettant aux Etats membres de consulter les informations personnelles sur les passagers collectées par les transporteurs aériens. Hors UE, le système d’information Schengen (SIS) permet aux Etats membres de la zone d’enregistrer et de partager des informations sur les entrées et sorties de l’espace Schengen.