Fonds européens : rôle et effets sur les territoires

Stanislas Bourron : “Les fonds européens produisent un effet de levier considérable sur les territoires”

Directeur de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Stanislas Bourron réaffirme l’intérêt des fonds européens de la politique de cohésion, alors que s’ouvre le 27 septembre le 19e congrès des Régions de France, à Saint-Malo. Et assure que la grande priorité est bien d’aider les territoires à réaliser la transition écologique.

Stanislas Bourron, directeur de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, depuis décembre 2022, était précédemment directeur général des collectivités locales au ministère de l’Intérieur - Crédits :
Stanislas Bourron, directeur de l’Agence nationale de la cohésion des territoires depuis décembre 2022, était précédemment directeur général des collectivités locales au ministère de l’Intérieur – Crédits : ANCT

Acteur de l’Etat, créé pour accompagner les collectivités dans la réalisation de leurs projets, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est notamment autorité de coordination nationale des fonds européens en relation avec les Régions, autorités de gestion d’une partie des fonds de la politique de cohésion dévolus à la France (FEDER, FSE+, FEAMPA, FTJ). Pour la période 2021-2027, l’enveloppe globale de la France est de 15,745 milliards d’euros, dont 9,070 Mds€ pour le FEDER et 6,675 Mds€ pour le FSE+, alors que l’enveloppe du FEAMPA est de 567 M€ et celle du FTJ de 1 Md€. Directeur de l’ANCT, depuis décembre 2022, Stanislas Bourron confirme l’importance des fonds européens dans la dynamique d’investissement territorial et le travail de coopération avec les Régions françaises.

L’ANCT est l’agence qui accompagne les collectivités dans la réalisation des projets locaux, au plus près des territoires. Expliquez-nous votre mission.

Stanislas Bourron : Une des missions principales de l’Agence consiste à déployer des programmes nationaux territorialisés, c’est-à-dire des dispositifs d’investissement et d’accompagnement auprès des collectivités sur des enjeux spécifiques. Par exemple, “Actions cœur de ville” pour les villes moyennes ou “Territoires d’industrie”, une stratégie de reconquête industrielle. C’est aussi déployer des outils de contractualisation en proximité, à l’exemple des contrats de relance et transition écologique (CRTE) qui maillent le territoire national. Et, enfin, proposer un accompagnement sur mesure avec la capacité très innovante de répondre aux collectivités qui ont besoin d’un soutien en ingénierie.

Outre ces trois grandes missions, l’Agence a aussi le rôle d’autorité de coordination des fonds de cohésion. Elle travaille donc avec les Régions qui sont autorités de gestion des fonds européens.

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Vous avez donc un impact direct auprès des citoyens, en très grande proximité. Mais votre action n’est pas connue du grand public ?

L’agence créée en 2019 est toute jeune ! Elle est orientée vers le territoire, au service de l’habitant, de l’usager qui est le bénéficiaire final. Plusieurs milliers de communes bénéficient de notre action… mais nous avons sans doute la nécessité de mieux faire connaître nos outils.

L’ANCT est l’autorité nationale de coordination des fonds européens, dont une partie est gérée par les Régions. Comment s’organise cette relation de travail ?

Les Régions identifient les projets et apportent le financement grâce aux différents fonds dont elles ont la responsabilité entière ou en partie (FEDER, FEAMPA, FSE+, FTJ). Mais il est nécessaire d’avoir un point de coordination nationale pour assurer une vision globale et un suivi vis-à-vis de la Commission Européenne. C’est une relation inédite à l’interface entre les autorités européennes, nationales et régionales, qui demande un contact permanent. Cette relation s’entretient notamment à travers les Comités États-Régions “Inter fonds”, coprésidés par la Première ministre et le président de Régions de France, où se discute la mise en œuvre des fonds de cohésion.

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Considérez-vous que les fonds européens soient essentiels à la dynamique des territoires ? Essentiels aussi à la coopération européenne ?

C’est évident ! Compte tenu de leur volume, les fonds européens représentent une capacité de soutien à l’investissement des collectivités et plus globalement des porteurs de projets sur les territoires. C’est un facteur qui permet de démultiplier l’ampleur et le nombre des projets, dont on sait que les porteurs ont parfois du mal à boucler les plans de financement. Les fonds européens produisent un effet de levier considérable sur les territoires et contribuent à la dynamique pour les collectivités qui s’emparent de ces financements.

Pour autant, la France ne consomme pas tous les fonds qui lui sont accordés. Que manque-t-il dans la chaîne ? Des projets, de l’information, de l’ingénierie ?

Il y a toujours un décalage entre la période de programmation et la capacité à vérifier le taux de consommation (la programmation 2014-2020 se termine en 2023 pour l’engagement des fonds). On voit aujourd’hui que le taux de consommation sur le FEDER, par exemple, progresse rapidement. L’engagement des collectivités régionales est réel, il n’y a pas de doutes. Mais il est vrai que certaines collectivités peuvent manquer de moyens humains pour identifier et porter les projets, aider à monter les dossiers de subvention. On note que la consommation des fonds est aussi le reflet d’une différence dans la capacité technique.

Et sur ce point, l’ANCT peut apporter son soutien ?

Notre rôle est de respecter les compétences de chacun. En revanche, nous pouvons aider de différentes manières. D’abord, à travers “Synergie”, le système d’information qui permet aux collectivités régionales d’apporter les financements européens. Nous gérons “Synergie” et notre responsabilité est de proposer l’outil le mieux adapté à leur besoin ; ensuite l’agence relaye l’intérêt des fonds de cohésion et contribue à les valoriser ; enfin dans le cadre de nos conseils nous signifions aux territoires comment se saisir des fonds européens, dès lors qu’ils sont éligibles. Nous sommes attentifs aux taux de consommation et nous sommes en constant échange avec les Régions.

Quels secteurs sont prioritaires, selon vous, en termes d’investissement dans les territoires ? Et comment les fonds européens peuvent-ils y contribuer ?

Aujourd’hui, la politique de cohésion porte sur différents leviers : la compétitivité économique, la cohésion sociale, mais également sur l’adaptation des territoires au dérèglement climatique. Clairement, il y a une forte accentuation sur cette thématique, répondant aussi à l’énorme besoin collectif d’engager des investissements. Sur ce point, la politique du gouvernement est partagée par toutes les collectivités et l’on encourage à cofinancer des projets en faveur de la transition écologique, par exemple en complément du Fonds vert.

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Le Fonds pour une transition juste (FTJ) est le petit nouveau de la programmation 2021-2027. Quel est son objectif ?

Le Fonds de transition juste, c’est un milliard d’euros pour la France avec cet objectif très spécifique d’accompagner la transition énergétique et industrielle des territoires à fortes émissions de CO2. Six Régions françaises sont bénéficiaires du fonds (ainsi que l’Etat). On ne peut évidemment pas faire un bilan de ce fonds très récent, mais on voit en tout cas l’intérêt d’un levier avec une concentration sur un segment. Pour autant, je pense qu’il faut éviter de créer des fonds trop sectorisés, non pas que les sujets ciblés ne soient pas importants. Mais pour la transition écologique, qui concerne la totalité des territoires, nous avons besoin d’outils les plus polyvalents possibles. 

Oui, le FTJ est important, car il permet de concentrer l’effort sur quelques territoires très concernés, mais il ne faut pas que cela s’impose comme une règle future de gestion basée sur des plus petits fonds sectoriels. Nous avons plutôt intérêt à nous appuyer sur des fonds généraux pour lesquels les autorités nationales et régionales pourraient ajuster leurs usages en fonction des besoins des territoires.

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La transition écologique et l’adaptation au changement climatique sont donc les enjeux prioritaires ?

Oui ! Et les enjeux sur la planification écologique territorialisée vont nous amener dans les prochaines années à accompagner l’ensemble des collectivités, des acteurs territoriaux et des entreprises dans une évolution accélérée : il faut faire vite dans des volumes d’investissements considérables ! 

Les fonds de cohésion doivent aider les territoires les moins armés. Et c’est clairement cette orientation que l’on considère comme prioritaire, tant au niveau européen, que national.

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La nouvelle programmation s’engage (2021-2027), mais les regards sont déjà tournés vers la période 2028-2034. Quels sont les axes à défendre pour la politique régionale ?

C’est un sujet de grande attention pour l’Etat. La Commission européenne a créé un groupe d’experts qui rendra ses conclusions début 2024. De notre côté, nous avons engagé la réflexion avec les Régions, mais également à différentes échelles, notamment en appui sur l’INCOPAP (Instance nationale de concertation sur l’accord de partenariat) qui réunit des représentants de l’Etat, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux et des acteurs de la société civile. Un séminaire se tiendra le 19 décembre 2023 pour alimenter la réflexion. Il est clair que les fonds européens n’ont pas encore permis de régler toutes les fractures territoriales. On a besoin de ces fonds de cohésion, de réfléchir à leur usage et de garantir que tous les territoires en profiteront dans de bonnes conditions. Nous voulons partager avec tous les acteurs de terrain, y compris les bénéficiaires, pour faire valoir notre point de vue à la Commission européenne en 2024.

Est-ce que les fonds européens contribuent aussi à la coopération européenne, à diffuser l’idée européenne ?

J’en suis convaincu et le séminaire Interreg qui s’est tenu à Marseille en juin 2023 avec de nombreux acteurs locaux, pas seulement de Bruxelles ou Paris, a démontré la valeur de ces coopérations transfrontalières. Les financements communautaires contribuent à cette coopération. C’est un vrai facteur de développement d’un esprit européen respectueux des États auquel chacun appartient et d’un sentiment d’appartenance collective à l’Union européenne.

Le rôle central des régions dans la gestion des fonds européens

Depuis 2014, les fonds européens de la politique régionale ne sont plus distribués uniquement par l’Etat mais aussi par les Conseils régionaux qui ont hérité d’une grande partie de leur gestion. Un effort de décentralisation demandé de longue date par les Régions mais qui demeure encore perfectible.

De nombreuses compétences ont été transférées aux Conseils régionaux (ici, celui du Grand Est à Strasbourg)
De nombreuses compétences ont été transférées aux Conseils régionaux (ici, celui du Grand Est à Strasbourg) – Crédits : Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons – cc-by-sa-3.0

Avec la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014, dite MAPTAM, la gestion de la majorité des fonds européens structurels et d’investissement (FESI) a été confiée aux Régions françaises. Jusqu’à cette réforme, seule l’Alsace (qui fait désormais partie de la région Grand Est) était autorité de gestion des fonds européens, à titre expérimental depuis la programmation 2000-2006.

Ces fonds constituent l’un des principaux postes de dépenses de l’Union européenne. Entre 2021 et 2027, 331 milliards d’euros seront partagés entre les 27 Etats membres, soit environ un tiers du budget de l’Union européenne.

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Différents fonds gérés par les Régions

Depuis la loi MAPTAM, toutes les ressources ne sont pas administrées de la même manière pour autant. Les Régions gèrent presque totalement le Fonds européen de développement régional (FEDER).

C’était également le cas pour le Fonds européen agricole pour le développement rural, deuxième pilier de la politique agricole commune. Mais depuis le 1er janvier 2023, la répartition a été modifiée. Les Conseils régionaux sont ainsi en charge de l’ensemble des mesures dites “non-surfaciques” (installation, investissements agricoles et agro-alimentaires, forêt, LEADER) tandis que les autres dispositifs reviennent à l’Etat.

Le Fonds social européen plus (FSE+) est également cogéré avec l’Etat. Les Régions ont directement accès à environ un tiers du fonds. Etat et Régions peuvent ainsi, par exemple, intervenir ensemble dans la lutte contre le décrochage scolaire ou la politique de la ville, qui sont couvertes par ce programme. Si le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMPA) est en majeure partie gérée par l’Etat, les Régions sont également responsables d’une partie de sa mise en œuvre. 

Nouvel outil créé par la Commission européenne dans le cadre du Pacte vert, le Fonds pour une transition juste (FTJ) est par ailleurs également administré par les Régions sur la période 2021-2027. Le volet lié au développement des compétences professionnelles reste du ressort de l’Etat.

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[Infographie] Le Fonds pour une transition juste (FTJ)

Selon l’Agence nationale de la cohésion des territoires, les Régions gèrent 68 % des fonds du FEDER, du FSE et du FTJ sur la période 2021-2027.

Depuis janvier 2016, la France compte 18 régions et non 27. Ce changement n’a toutefois pas affecté outre mesure la gestion des fonds européens : les nouvelles Régions sont devenues autorités de gestion à la place des anciennes collectivités qui les composent. En revanche, les programmes opérationnels (déclinaison régionale des objectifs des fonds) ont été conservés entre 2014 et 2020. Dans le cas de la Région Grand Est, trois programmes (PO Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne) ont ainsi subsisté pendant la période, malgré la réforme.

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La réponse à une demande des Régions

Concernant l’attribution des crédits du FEDER et du FEADER, la France reste plus centralisée que ses voisins allemands ou espagnols, par exemple. En effet, les Länder et les communautés autonomes jouent aujourd’hui un rôle plus important sur le versement des aides et d’audit de la gestion des fonds que les autorités régionales françaises. A l’inverse, les nouveaux Etats membres de l’UE bénéficient d’une gestion le plus souvent entièrement centralisée.

Cette évolution dans la répartition des fonds était une demande récurrente de Régions de France. Selon l’organisation, elle a permis de reconnaître l’importance de l’échelon régional dans la prise en compte des besoins des citoyens, face à une gouvernance étatique plus éloignée des problématiques et des besoins locaux. En ce sens, ce transfert de compétences aux Conseils régionaux est conforme au principe de subsidiarité de l’UE.

Le basculement de l’autorité de gestion des fonds vers les Régions représente aussi une simplification pour les entreprises et autres organismes récipiendaires des crédits de ces programmes, qui peuvent désormais bien plus souvent s’adresser à un “guichet unique”. Ce contact plus direct apparaît ainsi pour certains comme un moyen de rapprocher l’Union européenne de ses citoyens.

Un système pas encore optimal

La gestion des fonds européens en France souffre cependant toujours d’importantes complexités administratives, qui handicapent leur utilisation, note la Cour des comptes dans un rapport publié en avril 2019.

C’était notamment le cas du FEADER, dont les montants étaient censés être pilotés à 94,5 % par les Régions sur la période 2014-2020, mais pour lesquels la gestion dépendait en réalité encore fortement de l’Etat, à travers le ministère de l’Agriculture. Pour ce fonds, la Cour des comptes signalait ainsi un “enchevêtrement des compétences d’une rare complexité”, provoquant d’importants retards de paiement. Un manquement qu’entend combler la nouvelle répartition des tâches entre Régions et Etat, en vigueur depuis le début de l’année.

Stanislas Bourron : « Les fonds européens produisent un effet de levier considérable sur les territoires » – Touteleurope.eu

Le rôle central des régions dans la gestion des fonds européens – Touteleurope.eu