Elections allemandes : le programme européen des candidats à la chancellerie

Allemagne – Elections : Quelle place pour l’Europe dans la campagne et les programmes?

Grain de sel VDB :Traditionnellement l’Europe (hélas) a peu de place dans les discours et engagements des candidats en Allemagne (comme ailleurs), alors même que naturellement nombre de sujets ne peuvent qu’avoir une dimension a minima européenne et que l’Allemagne est THE pays centre du jeu. Si tous les candidats chacun à leur manière inscrivent dans leurs programmes un renforcement de l’UE (sauf l’extrême droite de l’AfD qui prône le “Dexit”) reconnaissent la priorité du duo France Allemagne en veillant cependant à éviter toute hégémonie, dés que l’on décline les thèmes: économie, social, écologie, politique étrangère les positions semblent diamétralement opposées et même un pays passé maître dans l’art du consensus politique aura quelque souci à ne pas être paralysé par un gouvernement de coalition. Il semble donc aujourd’hui que la vraie question est quelle coalition et quelles incompatibilités puisque chacun a ses lignes rouges    

Economie, défense, environnement… sur de nombreux sujets, les enjeux des élections fédérales du 26 septembre dépassent les frontières allemandes. Quelle est la place de l’Europe dans les programmes électoraux des différents partis politiques ?

Découvrez les positions des candidats allemands sur l'Europe de demain
Découvrez les positions des candidats allemands sur l’Europe de demain – Crédits : AlxeyPnferov / iStock

Membre fondateur de l’Union européenne, première puissance économique du continent, premier pays en termes de population… l’Allemagne a un poids important au sein de l’UE. De fait, Berlin impulse régulièrement les politiques européennes et exerce une influence forte au sein des institutions.

Et si l’Europe n’est pas au cœur de la campagne électorale, traditionnellement focalisée sur les sujets nationaux, chaque candidat a néanmoins sa propre idée des projets d’avenir pour l’Union.

Les candidats et les partis

  • Olaf Scholz (SPD, social-démocrate)
  • Armin Laschet (CDU-CSU, conservateur)
  • Annalena Baerbock (Verts, écologiste)
  • Christian Lindner (FDP, libéral)
  • Dietmar Bartsch et Janine Wissler (Die Linke, gauche radicale)
  • Alice Weidel et Tino Chrupalla (AfD, extrême droite)

Pour ou contre l’intégration européenne ?

Les principaux candidats insistent sur l’importance de renforcer la coopération entre les pays de l’Union européenne. Le programme du Parti social-démocrate (SPD) souligne ainsi l’ambition européenne de l’Allemagne dès ses premières lignes. Après une introduction intitulée “Avenir, Respect, Europe”, le document estime que “dans un environnement mondial concurrentiel”, les “valeurs” et “intérêts européens” ne pourront être défendus “que si l’Europe est unie sur le plan intérieur et capable d’agir à l’extérieur”.

Ce n’est que si l’Europe se porte bien que l’Allemagne se portera bien”, affirme de son côté la CDU-CSU. “Le candidat conservateur Armin Laschet s’est lui-même inscrit dans la continuité de la chancelière [Angela Merkel], même s’il est en réalité ‘plus européen’ que cette dernière”, considère le spécialiste Paul Maurice (IFRI).

Les Verts ont eux aussi une orientation pro-européenne. “Nous voulons que l’Allemagne redevienne un moteur de l’intégration européenne”, a ainsi déclaré leur candidate Annalena Baerbock dans une interview à trois journaux étrangers, dont Le Monde. “Nous voulons renforcer la souveraineté européenne, et cela suppose que l’Allemagne s’empare avec passion des grands enjeux européens”, poursuit-elle.

Plus éloignée de cette ligne, la gauche radicale Die Linke souhaite une réforme de l’Union en profondeur. “Nous voulons de nouveaux traités pour rendre l’UE plus sociale, plus juste et plus écologique”, martèlent-ils. Les libéraux du FDP résument de leur côté dans leur programme : “plus d’Europe pour plus de liberté”.

A l’inverse, l’extrême droite de l’AfD est la seule à rejeter clairement l’UE et ses politiques, appelant même à un “Dexit”, c’est-à-dire une sortie de l’Allemagne de l’Union européenne. Brocardant la “bureaucratie bruxelloise”, leur credo est clair : les citoyens allemands d’abord.

Couple franco-allemand

Le président français Emmanuel Macron a reçu les deux principaux candidats à la chancellerie Armin Laschet (CDU) et Olaf Scholz (SPD) au début du mois de septembre. Signe que les deux prétendants à la chancellerie souhaitent soigner le lien qui unit Berlin et Paris.

Comme le veut la tradition, Olaf Scholz a prévu de faire son premier déplacement officiel à Paris s’il est élu chancelier. Il a toutefois souligné que son gouvernement chercherait aussi à renforcer les relations avec les autres Etats membres, qui ont parfois l’impression d’être mis de côté par rapport aux deux premières économies du continent. “L’alliance franco-allemande est considérée avec scepticisme par les petits pays. Afin d’éviter cet effet ‘hégémonique’, il est particulièrement important de conclure des alliances avec les différents Etats membres, notamment avec les plus petits”, fait savoir un représentant du SPD dans Le Grand Continent.

Dans cette même interview croisée, la porte-parole des Verts insiste sur le partenariat qui peut être noué dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’UE. Mettant en avant la nécessité de rechercher le dialogue “avec tous les partenaires européens”, le représentant de la CDU a quant à lui assuré que les conservateurs comptaient “accorder une place particulière” aux deux voisins de l’Allemagne : la France et la Pologne. Leur candidat à la chancellerie Armin Laschet est d’ailleurs “plénipotentiaire chargé des relations culturelles franco-allemandes”, un poste créé par le traité de l’Elysée de 1963.

Défense et relations extérieures

Alors qu’Emmanuel Macron compte sur le prochain gouvernement allemand pour promouvoir “l’autonomie stratégique” de l’Europe, notamment en matière de défense, la campagne électorale outre-Rhin ne s’est pas pleinement saisie de ces enjeux de politique internationale.

Les conservateurs de l’alliance CDU-CSU insistent sur la coopération structurée permanente (CSP), qui permet des alliances souples en matière militaire. Armin Laschet a aussi évoqué à plusieurs reprises l’idée d’un “FBI européen”, afin de faciliter l’échange de données entre les services de police des Etats membres. Mais le développement de l’autonomie stratégique européenne semble être devenue une priorité pour Armin Laschet : dans une tribune au quotidien Handelsblatt, celui-ci appelle l’Europe à définir “son rôle en matière de politique de sécurité et de défense, avec assurance et détermination”, estimant que la relation entre l’Europe et les Etats-Unis relevait plus d’une “dépendance militaire” que d’un “partenariat égalitaire au sein de l’Otan”.

Si les Verts et le SPD sont favorables à une modernisation de l’armée allemande (Bundeswehr), le parti écologiste estime que “l’Union européenne doit assumer la responsabilité de sa propre sécurité et de sa défense”. Les Verts posent cependant plusieurs conditions à cette stratégie, dont un contrôle parlementaire strict ainsi qu’une politique restrictive en matière d’exportation d’armements. “Pas d’armes allemandes dans les zones de guerre ou les dictatures”, résument-ils.

Alors que le SPD, tout comme les Verts, ne remettent en question ni la Politique européenne de défense (PSDC) ni l’Alliance transatlantique, c’est en revanche le cas de Die Linke. Le parti de gauche radicale appelle de son côté “à dissoudre l’organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) et rejette catégoriquement toute opération de l’armée allemande à l’étranger”, fait savoir le politologue Thorsten Holzhauser dans une note de l’IFRI. “Les dépenses d’armement doivent être réduites, les exportations d’armes arrêtées et les déploiements de la Bundeswehr à l’étranger interrompus”, résume ainsi le parti dans son programme. Une incompatibilité entre les formations de gauche qui pourrait provoquer quelques frictions en cas de coalition : si Olaf Scholz n’exclut pas une alliance avec Die Linke, le maintien de l’Allemagne au sein de l’Otan et de la PSDC fait partie de ses lignes rouges en matière de politique étrangère.

Economie et budget

Afin d’endiguer les conséquences économiques de la crise née du Covid-19, l’Union européenne a lancé un plan de relance de 750 milliards d’euros et suspendu les règles de limitation de la dette et du déficit publics. Mais alors qu’une pérennisation de ces réformes est défendue par plusieurs Etats membres dont la France, le chef de file des conservateurs Armin Laschet préconise un retour à la discipline budgétaire.

De son côté, la candidate des Verts est favorable à une révision des critères européens et souligne que “les règles budgétaires ne doivent pas empêcher de développer des investissements utiles” pour l’avenir de l’UE, comme dans le numérique ou la transition écologique.

Une position aux antipodes de la vision des libéraux du FDP, pour lesquels l’Europe doit limiter ses dépenses publiques après cette parenthèse pandémique. “Poursuivre une politique budgétaire ultra-expansionniste pour l’Europe serait un grand danger”, a ainsi prévenu leur représentant Christian Lindner dans le Financial Times. Cette position pourrait être un obstacle à la formation d’une coalition avec les Verts et les sociaux-démocrates, ces-derniers étant plus ouverts à l’utilisation de l’emprunt. En tant que ministre des Finances, Olaf Scholz avait toutefois rejeté une renégociation de la discipline budgétaire, assurant qu’elle avait montré sa flexibilité lors de la pandémie.

Les libéraux considèrent par ailleurs que la priorité est de “lutter contre le protectionnisme dans le marché intérieur européen” en renforçant la libre-concurrence. Christian Lindner promeut également les accords de libre-échange avec des pays tiers, qui doivent être “structur[és] (…) de telle sorte que (…) seul le consentement du Parlement européen soit requis, mais pas celui des parlements nationaux et régionaux”.

Le parti de gauche radicale Die Linke anticipe un retour de l’orthodoxie budgétaire sur le Vieux Continent. Ses dirigeants prônent une réorientation de la politique de la Banque centrale européenne et des investissements massifs dans les régions les plus pauvres de l’Europe, avec un contrôle des fonds par le Parlement européen. Ils soutiennent enfin l’idée de ressources propres pour l’Union, notamment la mise en place d’une taxe sur les transactions financières.

Social

Même si l’Union européenne tente de renforcer ses politiques sociales, elle a peu de compétences en la matière. Les Etats membres prennent l’essentiel des mesures à ce sujet, pouvant parfois creuser les écarts entre les économies du continent, comme sur le coût de la main d’œuvre par exemple.

Le partage des richesses est au cœur du programme de la gauche radicale. Ses deux candidats, Janine Wissler et Dietmar Bartsch, condamnent le dumping social au sein de l’Union européenne, appelant à un salaire minimum légal d’au moins 60 % du salaire médian dans chaque Etat membre. Sur le plan intérieur, Die Linke promeut une augmentation du salaire minimum légal à 13 euros de l’heure.

Proches sur les questions sociales, le SPD et les Verts souhaitent quant à eux augmenter ce salaire minimum à 12 euros de l’heure. Au niveau européen, le programme des écologistes laisse entendre que le vote du Conseil à la majorité qualifiée devrait être étendu aux questions sociales, l’unanimité des Etats membres étant la règle. Dans le journal belge Le Soir, le candidat social-démocrate Olaf Scholz a d’ailleurs proposé une réforme de la prise de décision au sein de cette instance européenne : “nous devons être en mesure de prendre des décisions au sein des Conseils (…) des Affaires étrangères et des Finances à la majorité qualifiée, plutôt que de se bloquer mutuellement par l’unanimité”.

Climat et environnement

L’Union européenne s’est fixé pour objectif d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle allemande avait décrété en avril 2021 que la loi climat du gouvernement dirigé par Angela Merkel était insuffisante pour atteindre ces résultats.

Le changement climatique et la protection de l’environnement sont, sans surprise, au cœur de la campagne de la candidate écologiste. “Nous disons déjà depuis longtemps que l’Allemagne doit sortir du charbon dès 2030 et non pas en 2038, comme l’a décidé le gouvernement”, a déclaré Annalena Baerbock dans Le Monde. La députée souhaite une réduction de 70 % des émissions de gaz à effet de serre dès 2030. Sur le plan européen, les écologistes ambitionnent de réformer le système d’échange de quotas d’émission afin qu’il y ait moins de droits sur le marché et que le prix du CO2 pour l’industrie augmente.

Ses concurrents du SPD et de la CDU ont pour leur part un agenda similaire : visant la neutralité climatique d’ici à 2045, ils ambitionnent de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 65 % à l’horizon 2030.

Tous les partis ont progressivement “verdi” leur programme, d’une façon ou d’une autre. Les libéraux souhaitent que le prix du CO2 dans l’Union européenne soit conforme au marché et que le système d’échange de quotas d’émissions soit étendu à tous les secteurs d’activité. De son côté, Die Linke compte accélérer la transition de l’Allemagne vers une économie décarbonée d’ici à 2035.

Sur ce sujet comme sur d’autres, l’AfD brille par son originalité. Récusant l’existence d’un lien entre changement climatique et activités humaines, l’extrême droite allemande rejette les mesures de décarbonation de l’économie.

Etat de droit

Certains Etats membres sont souvent accusés de mettre en péril les valeurs démocratiques au sein de l’UE, comme la Hongrie et la Pologne. Plusieurs dossiers enveniment en effet la relation entre Bruxelles et Budapest ou Varsovie, tels que l’indépendance du système judiciaire polonais, mis à mal par plusieurs réformes ces dernières années.

Le mécanisme de défense de l’état de droit est un succès européen car il permet de réduire les subventions, par exemple au gouvernement hongrois, si celui ne respecte pas les principes européens”, a affirmé Annalena Baerbock dans une interview à Ouest-France. Le programme des Verts souligne également que la Commission européenne est parfois autorisée à allouer des financements de l’UE directement aux bénéficiaires afin d’éviter un détournement par les gouvernements.

Le programme des sociaux-démocrates ambitionne quant à lui de “protéger la liberté et l’état de droit en Europe et faire de l’UE la démocratie la plus moderne du monde”. Dans le cas où une coalition avec le SPD et les Verts parviendrait au pouvoir, l’Allemagne pourrait se faire entendre régulièrement sur la question du respect de l’état de droit.

A l’inverse, Armin Laschet s’était montré plus accommodant avec la Pologne ou la Hongrie. Appelant au dialogue, il avait assuré que les Européens devaient insister sur l’indépendance des juges tout en “[se débarrassant] de ces leçons sur la façon dont les autres devraient vivre”.

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