Covid-19 : Germe d’un renouveau ? – Fondation Robert Schuman

https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/actualites/covid19-FG-fr.pdf

Françoise Grossetête

Il y a un mois encore, beaucoup avouaient leur doute sur l’expansion annoncée de l’épidémie du Covid-19. Mais de semaines en semaines, la vague épidémique ne cesse de grossir partout dans le monde, l’Europe est devenue l’épicentre de la pandémie, suivie, et sans doute devancée, par les États-Unis. Tous les jours, dans le monde, les médias nous montrent des conférences de presse, des transferts de malades pour soulager des hôpitaux submergés, le recours au système D dans les pays qui croulent sous le nombre de décès comme l’Italie ou l’Espagne.

Désormais, l’OMS recense plus de 1 000 000 de cas dans le monde dont plus de 500 000 en Europe, et 300 000 aux Etats-Unis, sachant que c’est là où la maladie progresse le plus vite. L’OMS sait que ces chiffres ne reflètent guère la réalité et que le bilan sera beaucoup plus lourd tant il est impossible de dépister de façon significative. La moitié de l’humanité est appelée à se confiner et même la Thaïlande qui n’avait pas trop souffert de la première vague épidémique, subit une recrudescence de la maladie et vient de décider l’instauration d’un couvre-feu.

REVENIR A L’ESSENTIEL

Une telle période devrait susciter l’esprit d’union, de solidarité et d’entraide. Mais est-ce la réalité ? On ne peut que saluer le courage et le dévouement des soignants et s’indigner que certains soient prêts à les rejeter, craignant une contamination. Pire, quand des masques destinés à l’Italie, venant de Chine sont interceptés en République tchèque, quand les Américains détournent en Chine les masques commandés par la France par une surenchère scandaleuse, on peut alors s’inquiéter de l’état du monde. La peur de la contagion, les restrictions de liberté (fermeture des frontières, confinement, traçage, etc.) ne peuvent que nourrir l’égoïsme et susciter le repli nationaliste. Face au virus, les inégalités sont encore plus criantes : le coronavirus frappera durement les pays les plus pauvres, parfois dans l’indifférence, ainsi que les populations les plus défavorisées vivant dans des pays dits riches, mais sans protection sociale. Cette crise sanitaire doublée d’une crise économique est la plus grave depuis la Deuxième Guerre mondiale, mais face aux risques, il est urgent de revenir à l’essentiel. Que reste-t-il la solidarité, de l’Union ? Que reste-t-il des valeurs qui ont fondé la construction européenne ? L’Europe est- elle prête à un élan massif de coordination et de partage ? Des voix se sont élevées ces derniers temps pour reprocher à l’Union d’avoir agi avec retard et de ne pas avoir su proposer un programme commun de protection contre la pandémie.

Il est juste de rappeler que la santé n’est pas une compétence de l’Union, mais une prérogative des États membres, même si l’Europe a su mettre en place des réglementations pour garantir un égal accès de tous les citoyens européens à une santé de qualité. Cela s’est traduit par la création de l’Agence Européenne du Médicament (EMA), reconnue par tous, seule compétente pour autoriser la mise sur le marché des médicaments innovants, par les règlements concernant les médicaments orphelins, les médicaments pédiatriques, les médicaments vétérinaires, les dispositifs médicaux, la création de l’initiative médicament innovant (IMI ) grâce à un partenariat public-privé en faveur de l’innovation ; la directive soins de santé transfrontaliers, le plan Alzheimer, etc.

LA SANTÉ, PILIER VITAL DE L’ÉCONOMIE

La Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen suscite beaucoup d’espoir dans ce domaine. Durant la campagne électorale de mai 2019, certains partis dont le Parti Populaire Européen (PPE) ont proposé dans leur programme un plan Cancer. Le 4 février dernier, Ursula von der Leyen présentait avec la commissaire à la Santé Stella Kyriakides, les contours de ce que serait ce Plan. Depuis, l’expansion de la pandémie Covid-19 avec ses conséquences tant sanitaires qu’économiques démontre combien la politique de santé ne doit plus être considérée comme un simple accompagnement des politiques nationales, ni comme une variable d’ajustement budgétaire. Cette pandémie est révélatrice du fait que la santé est un pilier essentiel de l’économie. D’ailleurs un certain nombre de rapports ont été rédigés en ce sens par le Parlement européen, rapports passés sous silence par les États membres, trop préoccupés par la nécessaire réduction des déficits de leurs régimes sociaux.

L’attente vis-à-vis de l’Union, et sa capacité à réagir tout d’abord, puis prévenir par la suite, est immense. Un sondage réalisé par ViaVoice, publié dans Libération, révèle une tendance nouvelle des Français vis-à-vis de l’Union : 70% des personnes interrogées estiment qu’il faut « reprendre la construction européenne et créer une vraie puissance européenne, et 84% qu’il faut réaliser en Europe le maximum de filières de production ». Un tel sondage peut susciter des débats d’économistes, comme ceux qui opposent actuellement les experts médicaux. Mais, pour assurer notre souveraineté européenne et donc nationale ne devrait-on pas exiger que les productions dites stratégiques se fassent au moins en grande partie en Europe ?

URGENCE SANITAIRE, URGENCE ÉCONOMIQUE

Contrairement à ce qui se répand trop facilement dans les médias, l’Europe n’est pas restée inactive. Certes le Covid-19 a pris de court le monde entier, mais dès janvier 2020, 56 millions de tonnes de matériels de santé ont été envoyés en Chine, l’Allemagne, la France et l’Italie participant activement à cet élan de solidarité. En un mois, la Commission européenne a actionné tous les outils dont elle dispose pour coordonner la recherche entre autres, et financer les actions entreprises par les États membres. Le Traité de Lisbonne dans son article 168 ne lui permet de prendre que des mesures visant à « coordonner ou encourager » les initiatives prises par les États membres. Il prévoit aussi que l’un des domaines d’action de l’Union est la « lutte contre les grands fléaux transfrontaliers »[1]. La Commission a lancé un appel d’offres européen pour acquérir des masques et des respirateurs artificiels. Qui aurait imaginé il y a seulement un mois que nos constructeurs automobiles ou aéronautiques se lanceraient dans la production de respirateurs et que des grandes marques d’habillement produiraient des masques et des blouses ? Cette crise sanitaire est la plus grave connue. La crise économique sera peut-être encore plus dure. L’épidémie de coronavirus coûterait à la France, chaque mois de confinement, 3% du PIB, et 2% de déficit supplémentaire selon la Banque de France. La croissance de la France sera donc négative en 2020 mais positive en 2021. Les mesures prises par la Banque centrale européenne et la Banque de France devraient permettre de maintenir des taux d’intérêt très bas et soutenir la dette. Certains pensent que l’Union pourrait faire plus, même si elle a su tirer les leçons de la grave crise de 2008. Certes on peut s’indigner de l’absence de volonté commune de coordination et de partage de la part de certains chefs d’Etat et de gouvernements européens, ravivant le clivage entre pays du Nord, plus vertueux et moins touchés par la crise sanitaire, et pays du Sud peu regardants vis-à-vis des équilibres budgétaires. La raison l’a finalement emporté et l’Union a décidé de mobiliser le 26 mars dernier 37 milliards € pour la lutte contre la pandémie, pendant que la BCE annonçait un plan de rachat d’actifs inédit de 750 milliards €, afin d’apaiser les marchés financiers et permettre aux banques de maintenir les prêts aux entreprises et aux ménages, et donc préserver la production et l’emploi. De plus, chose incroyable, l’Union s’est résolue à assouplir ses règles économiques et financières pour les États membres durement touchés par la crise. En effet, la sacro-sainte règle exigeant que les États membres maintiennent leur déficit en dessous de 3% du PIB et leur dette inférieure à 60% a été suspendue temporairement. Ainsi, les Etats pourront débloquer les Fonds pour soutenir les hôpitaux et leur économie. Cet assouplissement des règles d’orthodoxie budgétaire, et celles de la concurrence, ainsi que le redéploiement de fonds européens sont des décisions sans précédent, qui font sans doute grincer les dents de nos amis néerlandais et allemands. De même, la Commission européenne a levé les restrictions relatives aux aides d’Etat permettant à ceux-ci d’injecter de l’argent public sous forme de subventions directes, de garanties, etc. Dans une session particulière, parce que en situation de confinement, le Parlement européen a décidé d’adapter le Fonds Européen de Solidarité à la pandémie Covid-19, en élargissant son application aux situations d’urgence de santé publique. Ce sont donc 800 millions € qui seront destinés à l’équipement médical en 2020. Ce Fonds avait été créé en 2002 pour répondre aux catastrophes naturelles majeures. Enfin, le Parlement européen a voté la suspension de la règle relative aux créneaux horaires dans les aéroports, ceci pour éviter les vols à vide, et à les conserver d’une année à l’autre. De son côté, le directeur du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) a annoncé qu’il débloquait 400 milliards € pour soutenir la zone euro. Et le 3 avril, sur Europe1, Ursula von der Leyen a expliqué que l’Union mobilisait 15% du PIB européen pour soutenir les plans nationaux de chômage partiel.

ET APRÈS, L’URGENCE POLITIQUE

Toutes ces mesures prises en quelques jours sont le reflet de l’ampleur de la crise que nous vivons. Personne ne pouvait en fait l’anticiper et ceux qui prétendent l’avoir prévue devraient faire preuve d’un peu d’humilité. Souhaitons qu’à l’issue de cette crise, l’Union saura se refonder car il y aura forcément « un après ». Le temps des réponses d’urgence passé arrivera le temps des réformes. Qu’il s’agisse de nos frontières, de nos règles économiques, budgétaires, de la concurrence, du commerce extérieur, du marché intérieur, de la politique doute plus qu’un toilettage de ces politiques européennes pour convaincre nos concitoyens que l’Union fait la force et que dans un monde si globalisé, l’Europe a une carte à jouer. Rares étaient ceux qui réclamaient, il y a encore peu de temps, une Europe de la Santé. C’est devenu une évidence. De même, l’autonomie stratégique de l’Europe et la nécessaire souveraineté européenne obligeront les politiques à privilégier l’autonomie sanitaire, alimentaire, énergétique, mais aussi numérique au même titre que la défense et la sécurité. Le Covid-19 n’a pas fini de bouleverser le paysage politique mondial. La Chine cherche à ébranler la prédominance occidentale, les États-Unis se referment sur eux narguant l’Europe, et font appel à l’aide de la Russie. L’histoire de l’Humanité, jalonnée de tant de crises, de guerres, d’épidémies, de catastrophes naturelles, nous rappelle que la vie doit être notre préoccupation essentielle. Les défis que l’Europe doit relever sont immenses ; les économies européennes sont si imbriquées que personne ne peut se sauver tout seul, personne ne peut vivre en autarcie. La réussite dépendra de la volonté de l’Europe de transcender ses égoïsmes nationaux car le « travailler ensemble » est tellement mieux que le « chacun pour soi ».