Coronavirus: Bercy renforce le contrôle sur les prises de contrôle étrangères d’entreprises stratégiques – novethic.fr

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Arnaud Dumas

Le gouvernement veut empêcher que des investisseurs étrangers ne profitent de la crise pour racheter des entreprises françaises de secteurs sensibles. Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, a renforcé le décret sur les investissements étrangers, en rajoutant notamment les biotechnologies dans les secteurs sensibles. Cette politique plus protectionniste, renforcée par la crise, a en réalité commencé depuis plusieurs années.

Pour Bruno Le Maire, il n’est pas question de laisser filer aux mains d’investisseurs non-européens des entreprises françaises affaiblies par la crise actuelle. « Renforcer notre capital industriel, ce n’est pas simplement investir dans ce capital industriel, c’est aussi le protéger avec des mesures réglementaires« , a-t-il déclaré devant l’Assemblée nationale. Le ministre de l’Économie et des finances a décidé d’amender le décret permettant au gouvernement de contrôler les investissements étrangers dans les entreprises françaises cotées.

Ce décret impose aux investisseurs étrangers de déclarer à l’État leur intention de racheter une entreprise relevant de certains secteurs stratégiques. La loi Pacte fixait le seuil à partir duquel la déclaration était obligatoire à 25 % des droits de vote. Le gouvernement a décidé de l’abaisser temporairement à 10 %, jusqu’au 31 décembre 2020. En clair, pendant cette période, dès qu’une entreprise non-européenne voudra dépasser les 10 %, elle devra prévenir les services de Bercy qui pourront interdire ou non l’opération.

Une liste de secteurs sensibles

Ce décret ne concerne pas toutes les entreprises cotées, mais seulement ceux relevant de secteurs sensibles, listés dans le décret et l’arrêté relatifs aux investissements étrangers en France. Cette liste a été régulièrement allongée, d’abord par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, qui l’avait étendue aux secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, en plus des secteurs déjà présents de la sécurité et de la défense nationale. La loi Pacte a ajouté plusieurs autres secteurs tels que la presse, la sécurité alimentaire, le stockage d’énergie et les technologies critiques (robotique, intelligence artificielle, semi-conducteurs, etc.).

En plus de l’abaissement des seuils de droits de vote, la crise du coronavirus a poussé Bruno Le Maire à également surveiller le secteur des biotechnologies. « C’est indispensable de protéger notre recherche sur le vaccin contre le Covid par exemple« , déclarait-il devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. La polémique début mars 2020 sur un éventuel rachat par les États-Unis du laboratoire allemand CureVac en pointe contre le Covid-19 n’y est sans doute pas pour rien.

Le gouvernement veut éviter que, du fait du stress financier dans lequel sont placées de nombreuses entreprises, des concurrents viennent racheter des entreprises françaises à peu de frais. Une décision appuyée par la Commission européenne, qui incite les États membres à utiliser tout l’arsenal juridique européen à leur disposition. « Comme dans toute crise, lorsque les actifs de nos industries et de nos entreprises sont mis à rude épreuve, il nous faut protéger notre sécurité et notre souveraineté économique. Le droit de l’Union et les législations des États membres prévoient les outils dont nous avons besoin pour faire face à cette situation, et j’invite instamment les États membres à en faire pleinement usage« , déclarait Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, le 25 mars dernier.

Des dispositifs anciens

En tout, 14 pays de l’Union européenne ont mis en place des dispositifs de contrôle des investissements étrangers. Cette évolution vers une forme de protectionnisme des intérêts économiques européens date d’avant la crise du Covid-19. En France, le rachat d’Alstom par General Electric en 2014 avait poussé Arnaud Montebourg à renforcer le dispositif ; la loi Pacte a pris le relais. Les rachats de sociétés technologiques par des investisseurs chinois étaient notamment dans le viseur du gouvernement.

Au niveau européen, la Commission a adopté un règlement en avril 2019 pour renforcer la coopération entre États membres sur le filtrage des investissements étrangers. Mis en place par la Commission Junker, il visait à aider « l’Europe à défendre ses intérêts stratégiques« . Les grands pays concurrents de l’Union européenne, États-Unis et Chine principalement, sont en effet plus protectionnistes sur leur territoire. Jean-Claude Juncker, président de la Commission à l’époque, précisait qu’il voulait que l’Europe reste ouverte aux entreprises, sans pour autant être « partisans naïfs du libre-échange« .