Brexit : quelles conséquences pour le secteur culturel ?

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Actualité


04.12.2020

Agnès Faure

Alors que la période de transition pour négocier une future relation entre Européens et Britanniques se termine le 31 décembre 2020, la perspective d’un accord reste incertaine moins d’un mois avant l’échéance. La culture, absente des débats, devrait être un secteur particulièrement touché à partir du 1er janvier.

A Douvres, le street artiste Banksy a peint une œuvre sur la façade d’un immeuble de la ville pour faire part de son rejet du Brexit

A Douvres, le street artiste Banksy a peint une œuvre sur la façade d’un immeuble de la ville pour faire part de son opposition au Brexit – Crédits : Flickr / CC BY 2.0

Le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne le 31 janvier 2020, trois ans et demi après le vote en faveur du Brexit. En vertu de l’accord de retrait conclu avec l’UE, le pays bénéficie toutefois d’une période de transition jusqu’au 31 décembre 2020. Période au cours de laquelle il reste aligné sur les réglementations européennes, le temps pour les deux parties de négocier les conditions de leur relation future.

Selon une enquête menée par la Fédération des Industries Créatives de Grande-Bretagne, 96% des artistes britanniques se seraient prononcés contre une sortie de l’UE, mettant en avant les conséquences sur la culture au Royaume-Uni et en Europe. Bien que le chapitre culturel ne soit pas au programme des négociations, la fin de la période transitoire impactera cette industrie à partir du 1er janvier 2021.

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« Quitter l’Europe serait un saut dans l’inconnu pour des millions de personnes qui, à travers le Royaume-Uni, travaillent dans les domaines artistiques, et pour les millions d’autres qui, ici ou à l’étranger, bénéficient de la croissance et du dynamisme du secteur culturel britannique« . Extrait d’une tribune signée par Helena Bonham Carter, Benedict Cumberbatch, John le Carré et 279 autres personnalités, publiée en mai 2016 dans The Guardian.

L’impact sur les financements : la sortie d’Europe Créative

Pour les Européens

Première conséquence du Brexit pour le milieu culturel : le retrait du Royaume-Uni du programme « Europe Créative », destiné à soutenir financièrement les projets de collaboration entre artistes européens. Le mandat de négociation du gouvernement britannique publié en février dernier prévoit en effet que les Britanniques ne participent pas à la programmation 2021-2027. Les projets entamés lors de la précédente période budgétaire (entre 2014 et 2020) continueront de recevoir des financements pour la durée de mise en œuvre.

Si les porteurs de projet perdent un partenaire (44 % des projets financés par le programme entre 2016 et 2018 comportent un partenaire britannique), le départ du Royaume-Uni n’a pas d’impact sur l’évolution budgétaire du programme. Pour la période 2021-2027, Europe Créative devrait être doté de 2,2 milliards d’euros d’après les dernières négociations entre le Parlement européen et le Conseil du mois de novembre. Boostée par le plan de relance européen, il s’agit d’une hausse conséquente par rapport à la période 2014-2020.

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En dehors de l’aspect budgétaire, la députée européenne Laurence Farreng (Renew Europe) souligne que même si le Royaume-Uni participe au programme en tant que pays tiers, « les œuvres qui étaient financées par Europe Créative, qui bénéficient à la fois du soutien à la traduction et au sous-titrage et à la diffusion via le réseau Europa cinemas seront moins vues, moins visibles, moins diffusées« . Dans les coproductions, les Britanniques « pourront toujours être éligibles avec un niveau d’association, mais ils ne pourront pas être à l’origine des projets. Et on sait que les liens se délitent très vite : moins on travaille ensemble, moins on a envie de travailler ensemble« , estime l’élue membre de la commission de la culture et de l’éducation du Parlement européen.

« Brexit a été un exemple fantastique d’une nation qui s’est tirée une balle en pleine tête » Hugh Grant (repris par Euractiv en janvier 2020)

Pour les Britanniques

Côté britannique, cette sortie du programme a des répercussions beaucoup plus importantes car le milieu culturel britannique en est l’un des principaux bénéficiaires. Le point de contact britannique du programme estime que depuis son lancement en 2014 et jusqu’en 2018, le programme a attribué « 89,5 millions d’euros à 376 organisations culturelles et créatives et entreprises audiovisuelles basées au Royaume-Uni« .

Une étude réalisée par la Chambre des communes britannique souligne quant à elle que pour de nombreux bénéficiaires de ce programme, « l’obtention d’un financement de Europe Créative a été un catalyseur pour débloquer d’autres investissements privés dans des projets« . Le point de contact national montre ainsi que les financements européens ont « aidé à garantir des investissements supplémentaires pour plus de la moitié (52 %) des bénéficiaires [du sous-programme] MEDIA et plus des deux tiers (68 %) des bénéficiaires [du sous-programme] Culture« . Europe créative est donc au final un programme dont le Royaume-Uni est « largement bénéficiaire« , selon les parlementaires de Westminster.

Un rapport publié par Charlotte Faucher de l’Université de Manchester indique que le point de contact national fermera ses portes en décembre 2020 et que le personnel retournera dans les organisations nationales (Creative Scotland, British Council). Interrogée par la chercheuse qui a mené plusieurs entretiens sur le sujet, Kate Deans, membre de l’institution avertit que « les organisations britanniques auront du mal à agir en tant que pays tiers si le Royaume-Uni ne peut pas également contribuer financièrement aux projets« .

L’impact sur la libre circulation des artistes et des œuvres

Pour les Européens

La sortie de l’Union européenne signifie également la fin de la libre-circulation pour les individus ainsi que pour les œuvres. Pour les personnes, des visas de travail seront nécessaires depuis l’adoption définitive de la loi sur l’immigration par le Parlement britannique le 11 novembre 2020. Une solution fastidieuse sur le plan administratif et onéreuse, qui compliquerait les déplacements des artistes, dont les voyages sont en règle générale courts.

Il en va de même pour la libre circulation des marchandises et des œuvres d’art soumises, elles, au rétablissement des contrôles douaniers, ce qui ralentirait le passage de la frontière. En cas d’absence d’accord commercial, « toutes les expéditions à destination et en provenance de l’UE devront faire l’objet d’un dédouanement de la part de deux autorités différentes, ce qui entraînera inévitablement de l’intendance supplémentaire causant des coûts plus élevés et des retards« , anticipe Convelio, une plateforme de logistique dédiée au marché de l’art.

En octobre 2019, le journal La Tribune expliquait que les collectionneurs allaient devoir « justifier la provenance des œuvres d’art qu’ils ont en leur possession et documenter leurs déplacements et leur origine« . Les réglementations pourraient aussi ne pas être les mêmes selon les pays en fonction des « accords individuels d’import/export » entre eux. « Face à cette éventualité, certains collectionneurs envisagent même l’entreposage transfrontalier pour solutionner ce problème à court terme« , estime le média.

En plus du retour des contrôles douaniers, certaines taxes pourraient également s’appliquer pour le marché de l’art dès 2021. En cas d’absence d’accord commercial, les exportations de biens culturels vers le Royaume-Uni se feraient selon les règles de l’OMC. Dans ces cas-là, « la taxe à l’exportation et l’importation des œuvres d’art pourrait atteindre 5,5 % en France et 10 % en Italie« , selon les estimations de La Tribune. Le Royaume-Uni, qui ne serait plus soumis aux directives européennes, pourrait par ailleurs très bien baisser ses droits de douane vis-à-vis des pays tiers. Ceux-ci préféreront ainsi exporter des œuvres en direction du Royaume-Uni puisque le taux de TVA sera moins élevé à l’entrée du Royaume-Uni qu’à celle du marché unique.

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Pour les Britanniques

« La culture dépend de la libre circulation des idées et des personnes qui ont ces idées. Le Brexit menace cette liberté » Stephen Clarke, écrivain britannique sur France 24 en janvier 2020

Si le Royaume-Uni n’était pas dans l’espace Schengen, des visas pourraient toutefois devenir nécessaires pour les Britanniques afin de sortir du territoire après le 1er janvier 2021. Une obligation qui générerait des surcoûts pour les artistes, auteurs ou comédiens en tournée dans les pays d’Europe mais qui inquiète en particulier l’industrie musicale. Interrogé par la BBC en avril 2019, Chris Jones, le directeur de tournée d’Ady Suleiman, un artiste compositeur et interprète britannique, évoque les conséquences de la fin de la libre-circulation sur l’organisation de la tournée : « Si nous avons besoin de visas et d’un carnet, nous devrons déclarer tout ce que nous prenons lorsque nous quittons le Royaume-Uni et, éventuellement, chaque fois que nous changerons de pays en Europe« , ce qui « ralentirait tout le monde » et impliquerait « des coûts importants« . Les entretiens menés par la chercheuse Charlotte Faucher mènent aux mêmes conclusions, avec la crainte pour le secteur que « la réglementation stricte en matière de visas ne limite la circulation des artistes de l’UE dans la mesure où la diversité de l’offre culturelle au Royaume-Uni sera endommagée« .

Concernant le marché des biens, si le Royaume-Uni entre dans la catégorie des « pays tiers » après 2020, le transport de marchandises nécessitera plusieurs autorisations et une mise en conformité aux normes européennes et/ou de chaque État membre de l’UE. Des démarches non seulement « administrativement lourdes et coûteuses pour les organisations, mais qui constitueront aussi une entrave aux exportations britanniques« , y compris pour le secteur culturel. Charlotte Faucher rappelle ainsi qu’en 2016, « la valeur des exportations de biens associés au secteur culturel s’élevait à 10,5 milliards de livres sterling, soit 3,4 % de toutes les exportations de biens du Royaume-Uni« . En 2018, les industries créatives et culturelles « ont exporté pour 28 milliards de livres sterling vers l’Union européenne dans son ensemble, ce qui représente 44,7 % de tous les services exportés par ces secteurs« , ajoute-t-elle.

Un secteur particulièrement impacté : l’industrie musicale

En novembre 2019, l’ISM, l’organisme professionnel britannique pour les musiciens, a publié une note dans laquelle il liste les conséquences d’une sortie de l’UE pour le secteur musical et demande au gouvernement de négocier un accord commercial tenant compte de la spécificité de la filière. « Les musiciens dépendent fortement de la possibilité de voyager dans l’UE« , explique l’ISM qui détaille les résultats d’une enquête menée auprès de ses membres.
Parmi eux, « 85 % […] se rendent dans l’UE27/EEE pour travailler au moins une fois par an, 22 % se rendent dans l’UE27/EEE plus de 11 fois par an, 35 % passent au moins un mois par an à travailler dans les pays de l’UE27/EEE, et un musicien sur sept a moins d’une semaine de préavis entre le moment où on lui propose un travail et celui où il doit l’accepter« . L’organisation en appelle à l’instauration « d’un visa de tournée de deux ans, à entrées multiples, bon marché et peu coûteux » pour les musiciens.

A partir du 1er janvier 2021, une tournée européenne sera plus difficile à organiser pour un groupe britannique. Ici, le groupe de rock Arctic Monkeys au Danemark, en 2014 – Crédits : Bill Ebbesen / CC BY 3.0

 

L’impact sur le rayonnement culturel

Pour les Européens

Selon Laurence Farreng, le tropisme culturel anglo-saxon qui existait déjà avant, devrait s’amplifier et le « point de fracture » se renforcer. Pour autant, « il y a une opportunité pour structurer notre culture et renforcer le soft power européen« , estime l’élue. Pour y parvenir, l’eurodéputée appelle à un renforcement des co-productions et à une restructuration des différentes filières artistiques.

Malgré tout, le départ du Royaume-Uni va diminuer la visibilité de la culture européenne outre-Manche. En cause : la fin de l’application, au Royaume-Uni, de la directive Services de médias audiovisuels (SMA). Celle-ci impose notamment au secteur de l’audiovisuel de diffuser au moins 30 % de contenus produits en Europe. La fin de la période de transition implique que « la directive SMA ne s’appliquera plus aux radios diffuseurs britanniques au 1er janvier, donc ils ne seront pas tenus d’appliquer la question des 30 % de production européenne diffusée« , estime la députée européenne.

Pour les Britanniques

La sortie du Royaume-Uni de l’UE implique également une sortie du label « capitale européenne de la culture ». Décerné chaque année, il confère aux villes qui le reçoivent des financements européens afin de promouvoir la vie culturelle locale qui vient enrichir la culture européenne. En plus de la visibilité médiatique, la préparation et l’organisation d’événements sur une année dynamisent l’activité économique et touristique de la ville. En raison du Brexit, le Royaume-Uni a dû renoncer à cette distinction qui devait lui échoir en partie en 2023 alors que plusieurs agglomérations (Dundee, Nottingham, Leeds, Milton Keynes et Belfast/Derry) étaient déjà en lice.

Dans un courrier de novembre 2017, la Commission européenne expliquait que « suite à son retrait de l’Union européenne, la participation du Royaume-Uni à l’action de l’Union capitale européenne de la culture ne [serait] pas possible« . Une conséquence du vote britannique que l’écrivain Stephen Clarke déplorait en janvier 2020 au micro de France 24. « J’ai habité à Glasgow quand elle est devenue capitale européenne de la culture [en 1990] et c’était magique. […] Du jour au lendemain il y avait des théâtres absolument partout, des clubs de musique […] et la ville a gardé cet héritage culturel parce que le centre-ville a été complètement rénové, les théâtres ont été rénovés avec l’argent européen. Et nous maintenant les Britanniques, on se prive de ça« .

Les capitales européennes de la culture

Le fait que les œuvres d’art et les artistes ne puissent plus circuler librement après 2020 aura un impact sur le rayonnement culturel britannique. « Le Royaume-Uni est réputé dans le monde entier pour sa scène culturelle internationale, ce qui contribue à renforcer son soft power. Ce fait, ainsi que le statut de l’anglais en tant que langue internationale, a conduit de nombreux jeunes à étudier au Royaume-Uni et de nombreux artistes à s’y former et à s’y installer« , abonde Charlotte Faucher en ce sens.

Toutefois, pour certains professionnels du secteur, la situation causée par le Brexit et les négociations avec l’UE n’est pas préjudiciable. « La réputation du Royaume-Uni dans le domaine des arts et de la culture est bien établie à l’étranger et, même si le Brexit a un impact négatif sur cette image à l’avenir, cela ne s’est pas encore produit« , expliquent-ils à Charlotte Faucher. D’autres en revanche, craignent que le Brexit nuise à la réputation du pays dans le domaine. D’où cet appel de l’ISM au gouvernement britannique : « Pour les musiciens, l’Europe est notre salle de concert, c’est là que nous gagnons notre vie. Nous demandons instamment au gouvernement de protéger la libre circulation au-delà du Brexit pour nos professions créatives afin que nous puissions continuer à être le leader mondial dans ce que le Royaume-Uni fait de mieux : la musique« .

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