Boris Johnson : l’ambition avant tout ?

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Actualité


06.09.2019

Boran Tobelem

Partisan acharné du Brexit, l’actuel Premier ministre britannique est maintenant au cœur du divorce entre son pays et l’Union européenne. Mais les convictions de Boris Johnson, qui se dit prêt à faire sortir le Royaume-Uni de l’UE sans accord, sont-elles aussi solides qu’il le prétend ? Sa carrière politique, où le goût de la mise en scène et de la provocation ont dominé le reste, semble illustrer le contraire. Retour sur son parcours.

Boris Johnson en octobre 2017 - Crédits : Matt Link / Flickr CC BY 2.0

Boris Johnson en octobre 2017 – Crédits : Matt Link / Flickr CC BY 2.0

« C’est le projet de loi de reddition de Jeremy Corbyn. Cela signifie qu’il faut hisser le drapeau blanc et je tiens à dire clairement à tout le monde dans cette Chambre que je n’accepterai en aucune circonstance une telle chose« . Mardi 3 septembre 2019, le Premier ministre Boris Johnson fustige le chef de l’opposition travailliste au sein de la Chambre des communes. Sur proposition d’un député Labour, le Parlement britannique compte en effet voter, dès le lendemain, un texte ouvrant la voie à un report du Brexit au-delà du 31 octobre. Une option honnie par le désormais chef du 10 Downing Street, et ardent « Brexiter » depuis la campagne qui a mené au référendum de 2016.

Le vocabulaire du Premier ministre est martial et renvoie à la Seconde Guerre mondiale. Plus précisément à Winston Churchill, « reddition » (« surrender » en anglais) faisant référence à un célèbre discours de 1940 dans lequel il affirme : « Nous ne nous rendrons jamais » (« We shall never surrender« ).

La passion de Boris Johnson pour son prédécesseur est loin d’être nouvelle. Lui qui a publié en 2014 une biographie consacrée à cet homme d’Etat, intitulée Winston : Comment un seul homme a fait l’histoire, se voit-il comme son digne successeur ? Se considère-t-il comme le héraut de la souveraineté britannique ? Mais surtout, entrera-t-il dans l’Histoire ?

Ironiquement, la postérité se rappellera-t-elle peut-être un homme dont, comme pour l’ex-président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, l’Europe aura été « la grande affaire de [sa] vie« .

Retour sur la vie de Boris Johnson, qui de correspondant à Bruxelles pour le Daily Telegraph à Premier ministre du Royaume-Uni en passant par « Brexiter » impliqué, a mené une existence intimement liée à l’Union européenne. Et dans laquelle les coups d’éclat ont eu un rôle moteur.

Une famille marquée par l’europhilie

Lorsque l’on observe les membres de la famille de Boris Johnson, aujourd’hui âgé de 55 ans, il est frappant de constater à quel point il s’en est différencié en devenant l’une des figures de proue des Brexiters, partisans acharnés de la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

Peu avant son arrivée à la tête de l’exécutif britannique en juillet 2019, sa famille disait de lui qu’il était la personne la plus à même d’occuper la fonction, rapporte le New York Times. Et son père Stanley (Stan) comme son frère Joseph (Jo) sont maintenant publiquement en faveur du Brexit. Pourtant, l’europhilie a longtemps caractérisé son entourage familial.

Stan, 79 ans, a même été haut fonctionnaire spécialiste des questions environnementales à la Commission européenne dans les années 1970, puis député européen conservateur de 1979 à 1984. Et s’est à ce titre investi dans la campagne du « Remain » (« rester ») en 2016, en co-fondant le groupe « Environmentalists for Europe » (« les écologistes pour l’Europe »).

Sa sœur Rachel, âgée de 54 ans, journaliste et présentatrice de télévision, a de son côté été candidate malheureuse du parti Change UK, formation pro-UE fondée par des élus conservateurs et travaillistes, aux élections européennes de mai 2019.

Jo, 47 ans, plusieurs fois député et ministre conservateur, a naturellement voté « Remain » en 2016. Ephémère membre du gouvernement dirigé par son frère, chargé des Affaires, de l’Énergie et des Stratégies industrielles, il a préféré démissionner le 4 septembre 2019. Favorable à un nouveau référendum sur le Brexit, il explique avoir été « tiraillé entre la loyauté familiale et l’intérêt national« .

Quant à l’autre petit frère de Boris Johnson, Leo, âgé de 51 ans, expert en développement durable, il est le seul de la fratrie à être, selon les termes de sa sœur, « non politique« .

Une enfance cosmopolite dans la upper class

Au-delà du parcours des membres de sa famille, les origines familiales et sociales de Boris Johnson ne semblaient pas être des plus propices à en faire l’europhobe qu’il est devenu.

De son vrai nom Alexander Boris de Pfeffel Johnson, « BoJo » naît à New York en 1964, alors que son père étudie l’économie à l’Université de Columbia. Parmi ses ancêtres figurent de nombreuses personnalités de renom, aux origines géographiques des plus variées. Notamment Ali Kemal, dernier ministre de l’Intérieur de l’Empire ottoman et arrière-grand-père paternel de Boris Johnson.

Sa mère, Charlotte Johnson Wahl, devenue artiste peintre, serait quant à elle une lointaine descendante du roi britannique George II (1683-1760). Elle est également la fille de James Fawcett, qui fut notamment président de la Commission européenne des droits de l’homme, émanation du Conseil de l’Europe, de 1972 à 1981.

Les différentes affectations professionnelles du père de Boris Johnson le conduisent à vivre ses premières années entre New York, Londres et Washington D.C. Lorsque son père devient fonctionnaire européen en 1973, année de l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE, Boris Johnson est scolarisé à l’Ecole européenne de Bruxelles. Il poursuit ensuite ses études à la prestigieuse école d’Eton, puis à la tout aussi renommée Oxford.

Naissance d’un trublion eurosceptique

La carrière de Boris Johnson commence comme reporter au Times en 1987. Mais il n’y fait pas long feu : un an seulement après son entrée, il est licencié pour avoir fabriqué de toutes pièces une citation. Déjà, un rapport trouble avec la réalité apparaît, lequel semblera se confirmer toute sa vie, où le goût de la mise en scène l’emporte régulièrement sur l’exactitude des faits.

En 1989, il poursuit sa carrière naissante de journaliste pour le quotidien conservateur The Daily Telegraph. C’est ainsi qu’il retourne à Bruxelles jusqu’en 1994 comme correspondant, pour y couvrir l’actualité des institutions européennes. C’est là-bas qu’il devient le trublion eurosceptique, aujourd’hui europhobe, que l’on connaît.

Il y « exploite son imagination pour dépeindre aux lecteurs du quotidien de droite une administration européenne absurde : il invente une ‘force de police de la banane’, chargée de surveiller la courbure des fruits exotiques, des spécialistes chargés d’interdire les chips ‘cocktail de crevette’, et il fustige la normalisation européenne des préservatifs« , décrit France Inter

Boris Johnson à Bruxelles alors correspondant pour le Daily Telegraph de 1989 à 1994 - Crédits : Euronews / YouTubeBoris Johnson à Bruxelles, alors correspondant pour le Daily Telegraph entre 1989 et 1994 – Crédits : Euronews / YouTube

Un journaliste qui travaillait à Bruxelles à la même époque se souvient, face à la caméra d’Euronews, du passage de l’actuel Premier ministre britannique : « On connaît la formule dans notre profession : ‘les faits sont sacrés, le commentaire est libre’. Il y avait beaucoup de commentaires, généralement fondés sur très de peu de faits, chez Boris Johnson. Et cela n’a pas changé depuis qu’il est en politique« .

Bruno de Thomas, l’un des porte-parole de la Commission européenne à l’époque, se souvient de sa présence en salle de presse « avec sa tignasse blanc-blond, rarement peignée, sa gouaille, son intelligence, son charme, son humour, et son goût de la manipulation« .

Pour Le Monde, il « devient le porte-parole de l’euroscepticisme grâce à sa plume acerbe et à son humour« . C’est donc à Bruxelles qu’il commence à s’affirmer en tant que personnalité médiatique. « Même si ses ‘scoops’ sont souvent le fruit de son imagination – il prête faussement à M. Delors l’intention de se faire élire président de l’Europe –, il s’amuse à tirer les ficelles, fait scandale et devient la coqueluche des milieux conservateurs« , commente également Le Monde.

De retour au Royaume-Uni en 1994, il cultive cette appétence pour la mise en scène en politique et sur le terrain médiatique, deux domaines indissociables chez Boris Johnson. Après une première tentative infructueuse en 1997, il parvient à être élu député conservateur en 2001. Il commence alors à apparaître dans de nombreuses émissions de télévision, dont la célèbre Have I Got News for You, show satirique de la BBC sur l’actualité, où il est plusieurs fois présentateur invité.

« Son comportement maladroit et ses remarques parfois irrévérencieuses [font] de lui la coqueluche [des] talk-shows britanniques« , explique l’article de l’Encyclopaedia Britannica consacré à Boris Johnson. Il poursuit parallèlement sa carrière en presse écrite pour le magazine conservateur The Spectator.

Boris Johnson dans l'émission Have I Got News for You sur la BBC en 2006 - Crédits : capture d'écran YouTubeBoris Johnson dans l’émission Have I Got News for You sur la BBC en 2006 – Crédits : capture d’écran YouTube

 

De maire de Londres à chef de file de la campagne du Leave 

Sa personnalité fantasque plaît au grand public. En quelques années, Boris Johnson devient l’un des politiciens les plus en vogue du pays. Ce qui lui permet de gravir les échelons au sein du Parti conservateur. Il sera par deux fois, en 2004 et 2005, nommé au sein du « cabinet fantôme », gouvernement alternatif à celui au pouvoir et formé par des membres d’un parti de l’opposition. 

Peu après, il capitalise sur sa notoriété grandissante en se lançant en juillet 2007 dans la course à la mairie de Londres, affrontant le maire travailliste sortant Ken Livingstone.

Face à des électeurs sceptiques, qui le voient pour beaucoup comme un politicien prenant ses fonctions à la légère et manquant profondément de sérieux, il axe sa campagne sur la lutte contre la criminalité et les transports. Une stratégie qui se révèle gagnante : le 1er mai 2008, il est élu maire de Londres.

Réélu en 2012, ses mandats seront notamment marqués par la mise en place des « Boris Bikes« , équivalents londoniens des Vélib’ parisiens, ou encore par sa défense de la City, le quartier du secteur financier. C’est à la fin de son second mandat, en février 2016, qu’il joint la campagne du Leave, dont il devient rapidement une figure centrale.

Fidèle à sa marque de fabrique, il multiplie les allégations à l’encontre de l’UE, sans sembler se soucier de leur véracité. Comme lorsqu’il affirme que Londres verse 350 millions de livres par semaine à l’UE. Ou encore que le système de santé britannique manque de moyens à cause de Bruxelles et que le Brexit lui serait bénéfique.

Mais Boris Johnson croyait-il réellement à ses propos mensongers ou invérifiables sur l’UE ? Rien n’est moins sûr. Deux jours avant de se lancer dans la campagne pro-Brexit, il écrivait dans un article pour le Daily Telegraph, finalement non publié, que rester dans l’UE constituait une « aubaine pour l’Europe et le monde » et que la quitter causerait un « choc économique » au Royaume-Uni et pourrait conduire à son éclatement.

L’UE est « un marché à nos portes, prêt pour davantage d’exploitation par les entreprises britanniques. Le montant de la contribution semble plutôt faible pour avoir accès à tout cela. Pourquoi sommes-nous si déterminés à lui tourner le dos ?« , indiquait-il encore.

Cet article est révélé par le chef du service politique du Sunday Times Tim Shipman dans un ouvrage sur le Brexit et la classe politique britannique publié en octobre 2016. Alors ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Theresa May après la victoire du « Leave » le 23 juin (51,9 % des voix), Boris Johnson explique avoir écrit le texte pour se forger une opinion sur le Brexit et que le ton de l’article était « semi-parodique« . Ce qui semble en dire long sur la solidité de ses convictions…

Surtout, « BoJo » affirmait déjà au Parlement britannique en 2003 : « Je ne suis en aucun cas un ultra-eurosceptique. D’une certaine manière, je suis un peu un fan de l’Union européenne. Si nous ne l’avions pas, nous inventerions quelque chose comme elle« .

Après la démission de David Cameron à la suite du référendum sur le Brexit, alors qu’il était pressenti pour lui succéder, Boris Johnson se retire rapidement de la course à la présidence du Parti conservateur. Ce qui est interprété par nombre d’observateurs comme un aveu de son incapacité à assumer ses prises de position dans l’exercice du pouvoir.

Vers Downing Street

Lorsque Theresa May accède au poste de cheffe de l’exécutif britannique en juillet 2016, Boris Johnson devient son ministre des Affaires étrangères. Un portefeuille qui permet à la Première ministre de tenir ce remuant membre des Tories à distance du Brexit. Et de limiter ses commentaires sur le sujet, au moment où le Royaume-Uni doit entamer de périlleuses négociations avec l’UE pour préparer sa sortie.

Mais il continue néanmoins de donner son avis, souvent de manière guère diplomatique, sur la question. Avocat du « hard Brexit », sortie sèche du Royaume-Uni de l’UE, il quitte son poste le 9 juillet 2018 à la suite de David Davis, secrétaire d’Etat au Brexit lui aussi « Brexiter » (partisan d’un « hard Brexit »). En cause : la stratégie de Theresa May jugée trop conciliante avec l’UE.

Après trois rejets par les parlementaires de l’accord de Brexit conclu à Bruxelles en novembre 2018, Theresa May démissionne à son tour en juin 2019. Candidat à sa succession et évoluant dans un parti conservateur déchiré autour de la question du Brexit, Boris Johnson est le seul à bénéficier du soutien d’une importante partie des militants. Il se fait élire haut la main président du parti et devient ainsi Premier ministre en juillet.

Brexit : l’accord de sortie en 8 points clés

Refusant obstinément de signer l’accord de sortie actuel, qu’il considère comme une atteinte à la souveraineté britannique, Boris Johnson fait campagne dans son parti en promettant une sortie de l’UE coûte que coûte le 31 octobre, date du Brexit (initialement fixée au 29 mars 2019, avant son deuxième report). En brandissant la menace du no deal (une sortie sans accord de l’UE qui pourrait avoir des conséquences économiques très dommageables), il dit vouloir convaincre les Européens d’accepter de signer un nouvel accord de sortie qu’il considérerait comme acceptable. Mais sortir sans accord de l’UE fait donc partie de ses options.

En témoigne son bras de fer actuel avec le Parlement britannique, dont les députés ont voté mercredi 4 septembre une loi « anti-no deal« . Laquelle pourrait le contraindre à demander un troisième report du Brexit aux Européens. Issue inacceptable pour Boris Johnson, qui ne souhaite en aucun cas s’y résoudre.

Mais pourquoi tant de tensions pour un no deal qui, selon les termes de Boris Johnson en juin 2019, n’a qu' »une chance sur un million de se produire » ? Était-ce un nouvel arrangement avec la réalité ? 

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