Acting European! Une vision pragmatique pour une UE post-COVID – EURACTIV.fr

La pandémie du Covid-19 représente un défi supplémentaire pour l’Union et ses États membres, à court comme à long terme. En même temps, elle nous fait prendre conscience d’une nécessité d’évoluer qui va au-delà de la simple gestion des crises, relève la Fondation Genshagen.

La Fondation Genshagen est une fondation de droit civil reconnue d’utilité publique. Ses fondateurs sont le Land de Brandebourg ainsi que la République fédérale d’Allemagne représentée par la Déléguée du gouvernement fédéral à la culture et aux médias (BKM). 

Le jour où nous serons venus à bout de la crise du coronavirus, qui pour le moment domine tout, l’UE ne sera plus la même. Après les multiples crises de la dernière décennie, la pandémie représente un défi supplémentaire pour l’Union et ses États membres, à court comme à long terme. En même temps, elle nous fait prendre conscience d’une nécessité d’évoluer qui va au-delà de la simple gestion des crises. Les changements qui s’imposent touchent à des questions hautement politiques liées à l’intégration européenne, pour ne pas dire à ses valeurs fondamentales. Dans cet article, nous nous penchons sur trois principes clés de l’intégration européenne : la souveraineté, la solidarité et la liberté. Nous savons pertinemment que cette triade ne donne pas un tableau complet de ce que pourrait être demain une Union forte. Mais elle permet de cerner trois conditions fondamentales sans lesquelles il ne sera pas possible de bâtir celle-ci.

Oser aller vers une souveraineté plus partagée

Le débat sur le partage de la souveraineté entre l’UE et ses États membres est passé à la vitesse supérieure suite au discours prononcé à la Sorbonne par le président Macron en septembre 2017. La crise sanitaire actuelle a clairement montré que l’UE dans son ensemble doit s’efforcer d’aller vers plus (et non pas moins) de souveraineté partagée, car les États-nations sont purement et simplement dépassés par les défis de cette envergure. En même temps, notre conception de la souveraineté partagée n’implique pas que l’UE doive devenir l’acteur unique ou dominant dans tous les domaines politiques. Mais il est important de parvenir d’abord à un consensus sur les domaines dans lesquels il est nécessaire et souhaitable de renforcer la coopération, puis, dans un deuxième temps, de définir pour chacun de ces domaines l’ampleur de ce transfert de souveraineté.

La crise a d’ores et déjà conduit à un partage accru de souveraineté dans certains domaines. En matière de politique sanitaire, l’UE a acquis de nouvelles compétences comme la constitution de stocks stratégiques et l’achat de médicaments et de vaccins. En matière de politique économique et financière, le plan de reconstruction adopté en juillet 2020 a constitué une avancée majeure puisque l’UE mobilise des moyens substantiels et assume pour la première fois une dette commune. Cependant, il ne faudrait pas que ce rééquilibrage de la souveraineté prenne fin lorsque la crise du coronavirus sera surmontée comme nous le souhaitons tous. La politique étrangère, de sécurité et de défense, la protection du climat, la transformation numérique et les migrations sont quelques-uns des domaines cruciaux dans lesquels nous considérons qu’il est urgent de penser la souveraineté ensemble, sans pour autant décharger les États membres, les acteurs régionaux et locaux de toute responsabilité.

Une solidarité qui ne se limite pas aux crises

La crise du coronavirus a également mis à l’épreuve le principe de solidarité au sein de l’UE. Les appels à la solidarité et les récriminations sur son absence ont souligné que la cohésion et l’existence même de l’UE étaient en jeu. En exigeant que la solidarité européenne se manifeste, les États membres défendaient également leurs intérêts propres — par exemple quand les pays du sud de l’UE reprochaient aux « quatre frugaux », comme ils s’appellent eux-mêmes, de ne pas faire preuve de solidarité avec les pays particulièrement frappés par le coronavirus. Nous pensons qu’au-delà de la situation de crise actuelle, il est nécessaire de développer une vision globale et à long terme de la solidarité au sein de l’UE. Mais d’abord, il convient de rappeler que la solidarité n’est pas à sens unique. Les pays membres qui bénéficient des fonds de l’UE doivent utiliser ceux-ci de manière efficace et responsable. L’utilisation des ressources issues du fonds de reconstruction servira ici de test décisif.

Deuxièmement, l’expérience montre que tout État membre a besoin, à un moment ou à un autre, du soutien des autres membres et des institutions de l’UE. Nous pensons donc que la solidarité ne doit pas être limitée à un domaine politique spécifique ou à certaines phases critiques. Au contraire, il faut avoir une réflexion générale sur un large éventail de domaines comme les migrations, la protection du climat, la sécurité sociale et la politique de sécurité et de défense. Au-delà des mécanismes de crise ad hoc qui peuvent être activés (ou ignorés) au gré des États membres, la solidarité doit être inscrite dans l’ADN de l’UE.

Défendre la (les) liberté(s) dans l’UE

Contrairement à ce que suggèrent les débats actuels, la liberté n’est pas seulement une question d’État de droit dans certains États membres : elle a toujours été et reste une valeur centrale de l’intégration européenne. Cela concerne tout autant les libertés civiles que le libéralisme économique, qui trouve son expression la plus visible dans les « Quatre libertés » du marché intérieur. Mais la liberté ne va pas de soi, ni dans les États membres ni au niveau de l’UE. Premièrement, les frontières fermées sans concertation au tout début de la pandémie et pendant la crise migratoire de 2015, ainsi que les tendances protectionnistes qui se sont manifestées pendant la crise financière et la crise sanitaire actuelle, ont montré que même les libertés consacrées du marché unique sont fragiles.

Deuxièmement, des menaces plus concrètes contre la liberté sont clairement apparues ces dernières années dans l’UE et ses États membres. Tous les États membres sont concernés par cette problématique, comme lorsqu’il s’agit de redéfinir l’équilibre entre liberté et sécurité pour faire face au terrorisme ou à d’autres risques, par exemple numériques. Par ailleurs, l’UE doit faire face à des évolutions alarmantes comme la violation de principes fondamentaux de l’État de droit dans certains pays et une montée considérable des tendances populistes dans la plupart des pays membres. Malheureusement, le mécanisme actuel de l’UE en matière d’État de droit est fortement dysfonctionnel et la conditionnalité a été largement exclue du compromis final sur le plan de reconstruction adopté en juillet 2020. De notre point de vue, si les processus fondés sur le consensus ne donnent pas le résultat escompté, qui est de garantir la liberté et l’État de droit dans tous les États membres, alors l’UE a besoin de mécanismes pour sanctionner efficacement les violations de ces principes fondamentaux.

Travailler le réflexe européen

Savoir faire de la crise un véritable tournant impliquerait un triple changement : passer d’une illusoire autonomie nationale à une véritable souveraineté partagée, d’une concurrence égoïste à une solidarité responsable et d’une liberté menacée à une liberté consolidée. Le réflexe national, qui a souvent prévalu dans le passé, nuit non seulement à l’UE dans son ensemble, mais a également des conséquences négatives pour les États membres et leur population respective, comme l’a montré une fois de plus la crise du coronavirus. L’UE de demain devra inverser cette logique et le réflexe européen devra être renforcé et travaillé. Les pays du Triangle de Weimar devraient constituer la pièce maîtresse de ce processus. Sans céder à l’espoir irréaliste de voir des intérêts divergents s’effacer au profit d’une vision européenne commune, l’Union et ses États membres doivent unir leurs forces pour combattre les menaces extérieures et les faiblesses internes. Il convient donc de faire avancer le projet d’intégration européenne avec pragmatisme, mais aussi avec passion. Penser et agir en tant qu’Européens ne doivent pas être la dernière option, mais la première.

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