10 propositions sur l’avenir de la civilisation européenne

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Actualité


16.05.2019

Le mercredi 15 mai à Paris, le Collège des Bernardins a organisé un colloque sur l’avenir de la civilisation européenne, en partenariat avec Toute l’Europe. L’occasion de débattre, sous le prisme du “personnalisme”, de dix propositions issues de deux années de séminaires. Antoine Arjakovsky, codirecteur du département Politique et religions aux Bernardins interviewé en amont de l’événement, nous en a présenté les principaux axes.

10 propositions sur l’avenir de la civilisation européenne

Antoine ArjakovskyAntoine Arjakovsky est co-directeur du département de recherche Politique et Religions au Collège des Bernardins. Il a notamment été directeur du Collège Universitaire Français de Moscou,  directeur-adjoint de l’Institut Français d’Ukraine et directeur de l’Institut d’Études Œcuméniques au sein de l’Université Catholique d’Ukraine.

Il a publié plusieurs ouvrages consacré à l’histoire de la pensée chrétienne orthodoxe et a enseigné dans plusieurs universités européennes et américaines.

La “civilisation européenne” est au coeur du colloque du 15 mai : pourquoi ce thème ?

Antoine Arjakovsky : Il faut définir cette notion de civilisation européenne parce qu’elle est de plus en plus menacée. Avec le Brexit voté en 2016, les attentats terroristes de 2015-2016, l’arrivée de Donald Trump aux Etats-Unis… Nous avons également conscience que les prochaines élections européennes ne seront pas comme les autres. Il faudra cette fois répondre à un vent de colère, qui a sa part de justification, contre une globalisation qui va contre l’intérêt des gens lorsqu’elle n’est pas maîtrisée. Face à cela, quel discours européen porter sur un plan politique, social, environnemental et économique ?

C’est pourquoi nous formulons 10 propositions majeures pour l’Europe, issues d’une vingtaine de séminaires organisés depuis deux ans avec une soixantaine de chercheurs permanents issus de plusieurs think tanks et associations. Le colloque du 15 mai sera l’occasion de les développer, et ainsi de contribuer au débat sur l’avenir de l’Union européenne et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Les 10 propositions pour l’Europe sont exposées dans l’ouvrage “Retrouver le goût de l’aventure européenne”, rédigé par Antoine Arjakovsky et Jean-Baptiste Arnaud, codirecteurs du département Politique et religions du Collège des Bernardins.

  1. Enseigner l’histoire de l’Europe dès l’école primaire partout en Europe.
  2. Créer des universités européennes fondées sur un enseignement transdisciplinaire.
  3. Inventer un nouveau personnalisme législatif.
  4. Promouvoir un droit personnaliste dans les médias.
  5. Approfondir le modèle européen de l’économie sociale de marché en s’appuyant sur une redéfinition des entreprises.
  6. Définir les niveaux de conscience pour mettre en œuvre une politique culturelle européenne.
  7. Mettre en œuvre un humanisme digital capable de protéger les personnes.
  8. Construire une politique européenne de construction de la paix et de souveraineté partagée.
  9. Établir une politique migratoire associant l’exigence de la coopération avec celle de l’hospitalité.
  10. Imaginer une politique énergétique écologique reposant sur un pacte social européen.

Vous animez la première table ronde sur le “nouvel humanisme personnaliste européen” : de quoi est-il question ?

Cette table ronde est au cœur de notre réflexion. Quelle définition avons-nous de l’Homme ? L’humanisme classique s’est démonétisé, notamment parce qu’il n’a pas été capable de résister aux totalitarismes et aujourd’hui aux fondamentalismes. Celui-ci met l’individu seul devant l’Etat, ce qui contribue à une solitude de plus en plus partagée des individus, à une déconnexion croissante des services de l’Etat de la vie des gens et à des phénomènes de radicalisation croissante. Il faut donc redéfinir cet humanisme, ce que nous faisons à travers le personnalisme, fondé par Nicolas Berdiaev, Denis de Rougemont et Emmanuel Mounier dans les années 1930.

Les droits théoriques proclamés par la déclaration des droits de l’Homme sont justes, mais ne peuvent s’accomplir qu’au nom du bien commun et en communauté, par autrui. On ne peut pas se désengager d’une société et de l’histoire. A sa création, les penseurs personnalistes s’étaient déjà rendu compte que le libéralisme ne fonctionnait pas hors d’un horizon de justice sociale et que le socialisme fondé sur le seul paradigme de classe était une impasse. Mais cette troisième voie n’a jamais été suffisamment prise au sérieux, ni à l’université ni dans les cercles gouvernementaux.

Parmi les propositions que nous formulons, celle du député européen Alain Lamassoure nous invite à enseigner l’histoire autrement, dès l’école primaire, partout en Europe en complément des histoires nationales. Non plus l’histoire centrée sur la grandeur de l’Etat-nation que nous avons connue jusqu’à maintenant, mais une histoire européenne basée sur la méthode des regards croisés. Il n’y a qu’en écrivant l’histoire de l’Europe à plusieurs voix (nationales, générationnelles, historiographiques) que nous arriverons à une vraie démocratie et à une conscience commune européennes. Cela va de pair avec le fait que chaque individu est traversé par plusieurs identités : on peut par exemple être à la fois Catalan, Espagnol et Européen. De cette vision commune de base, de cette nouvelle anthropologie qui ne réduit pas l’individu à la citoyenneté d’un seul pays, il y a des conséquences très pratiques.

Lesquelles ?

L’exemple le plus immédiat de la richesse du concept de personne est celui de la transition énergétique. Emmanuel Macron s’est rendu compte un peu tard malheureusement qu’on ne pouvait pas déconnecter les enjeux environnementaux et sociaux. Nous proposons quant à nous un pacte social et environnemental, qui permette de penser ensemble la “fin du monde” et la “fin du mois”. Voilà une proposition très concrète que va détailler Enrico Letta, le président de l’Institut Jacques Delors, lors de notre colloque du 15 mai aux Bernardins.

Pour éviter la catastrophe climatique et pousser la société à faire un effort commun, il faut changer de paradigme économique et sortir du pur libéralisme. C’est une autre de nos propositions. L’économiste Karl Polanyi montrait que la pensée purement libérale désemboîtait l’économique, le social, l’environnemental et le financier. Il s’agit, grâce à une pensée personnaliste plus complexe, de les ré-emboîter. Et une partie des élites politiques et économiques en sont loin aujourd’hui. Ce qui ne fait que renforcer la rancœur des discours populistes. C’est la raison pour laquelle avec Olivier Favereau nous proposons de donner une part plus importante aux salariés dans les entreprises.

Une autre proposition à laquelle je tiens est de nature culturelle. Notre groupe de recherche partage la conviction du président Macron qu’il faut relancer l’Europe par la culture. Mais comment ? Les Etats nations en ont une vision étriquée, égocentrée et craintive. C’est pourquoi les dépenses culturelles ne représentent aujourd’hui que 0,01% du budget européen. Bien sûr on n’imagine pas Notre-Dame sans l’histoire de France, mais en même temps cette cathédrale est le fruit d’une culture gothique qui dépasse la France, qu’on trouve dans les autres pays d’Europe. Dans l’approche personnaliste, il y a différents niveaux de conscience : médiévale/classique, moderne, post-moderne et spirituelle/œcuménique/interreligieuse. Si l’on parvient à se mettre d’accord sur ces catégories, tout le travail des politiques culturelles européennes consistera à montrer les caractéristiques de chacun de ces niveaux de conscience, de rappeler que chaque niveau a sa dignité et de faire en sorte que nous les comprenions mieux dans leurs différences et dans leurs possibles dialogues. Sneska Quaedvlieg-Mihailovic, déléguée générale d’Europa Nostra, interviendra sur ce thème le 15 mai.

Enfin, nous promouvons l’idée d’une fédération européenne des Etats-nations, chère à Gaëtane Ricard-Nihoul, qui fut entre autres responsabilités secrétaire générale adjointe des Consultations citoyennes sur l’Europe. Certes la fédération peut menacer un certain nombre de communautés intermédiaires comme celle des Etats-nations, mais inversement l’Etat-nation ne peut à lui seul constituer le dernier degré de la conscience citoyenne. Rappelons que les Etats-nations ont été à la source des deux guerres mondiales du XXe siècle. La fédération des Etats-nations rend possible cet étage supérieur de la conscience citoyenne personnelle, dès lors qu’il est équilibré par les techniques juridiques de la subsidiarité et du partage des compétences. Sur la politique étrangère par exemple, on devrait pouvoir se mettre d’accord à l’unanimité sur des sujets de fond, mais aussi accepter des votes à la majorité qualifiée sur certains sujets comme l’immigration en acceptant aussi de mettre en œuvre le principe de la subsidiarité équilibré lui-même par un budget commun mutualisé.

Beaucoup de ces propositions sont radicales : proposez-vous de changer les traités européens pour les mettre en œuvre ?

Ce n’est pas notre priorité. Il y a d’abord un travail à faire sur les mentalités, qui ne demande pas une réforme des traités. Une prise de conscience des méfaits de l’anthropologie classique a aujourd’hui lieu dans certains milieux européens.

Par exemple sur le droit voisin, qui est l’application du droit d’auteur pour les médias et qui vient d’être adopté par l’Union européenne. Jusque-là, le travail était capté par des plateformes numériques multinationales, qui profitaient des revenus de la publicité sur les informations fournies par les vrais médias sans les rémunérer. C’est un scandale dont la prise de conscience n’était pourtant pas partagée il y a encore quelques années. Nous sortons aujourd’hui d’un libéralisme naïf sans pour autant tomber dans un modèle chinois ou russe, fondé sur un contrôle très autoritaire de l’information. Nous commençons à imposer un modèle européen de protection de la création et du travail authentique des créateurs et des journalistes.

Sur les migrations également, nous proposons de tenir ensemble trois piliers : l’accueil nécessaire de toute personne chassée pour ses convictions, le contrôle nécessaire des frontières et la question de la réforme de l’aide au développement au profit des sociétés que l’on veut aider. Il faut aussi tenir compte des différences historiques entre les Etats-nations. Les pays de l’Est ne sont pas si hostiles à l’immigration. 500 000 Ukrainiens travaillent aujourd’hui en Pologne. On doit aussi comprendre les contextes régionaux. Les Hongrois, qui se sont battus pendant des siècles contre l’Empire Ottoman n’ont pas l’habitude de voir des Turcs sur le marché de l’emploi. En revanche, s’ils signent cet accord de base sur une politique migratoire commune, il peut y avoir une mutualisation et un partage de l’effort financier de leur part par exemple sur le renforcement de l’agence Frontex.

Ces propositions sont développées dans un ouvrage intitulé “Retrouver le goût de l’aventure européenne” : vous faites le constat que ce goût a été perdu ?

Ce goût s’est affadi, en particulier chez les jeunes pour qui, bien souvent, l’Europe n’est plus un sujet. Or ce qu’ils pensent comme un « donné » est en réalité très fragile. Ce n’est pas une vision catastrophiste, mais nous voulons leur dire que s’ils veulent continuer à jouir des cafés dans la rue, des piscines municipales mixtes, du transfert des communications d’un pays à un autre sans frais supplémentaires, il faut se battre pour cela et c’est le moment de s’engager.

Il y a des défis nouveaux aussi. Notamment une désinformation à laquelle l’Europe doit être en mesure de s’opposer en proposant un contre-discours suffisamment argumenté, puissant et précis. Dans une perspective personnaliste la liberté d’expression doit être équilibrée par la protection du bien commun, à commencer par la paix civile. Sinon nous donnons crédit aux régimes dictatoriaux qui manipulent l’information contre la démocratie en jouant sur la confusion possible entre libéralisme et libertarisme. Ils agissent en fait contre la liberté d’expression.

Les contributeurs à ces propositions se revendiquent-ils du personnalisme ?

C’est venu progressivement. Lors de ce séminaire, nous avons décidé d’avoir un point de vue chrétien et un autre qui ne se définit pas comme tel. Pendant deux ans, nous avons oscillé entre le regard de la foi chrétienne (qui n’est pas déconnectée de la raison) et celui des Lumières (qui reconnaît la possibilité d’une transcendance).

Au départ, plusieurs invités ne se positionnaient pas sur le plan des convictions spirituelles. Mais par la suite, j’ai été heureux d’entendre par exemple la députée française Sabine Thillaye, membre de la Commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale, déclarer que, bien que ne se définissant pas comme personnaliste, elle pouvait rejoindre un bon nombre de nos propositions. Le directeur de l’Institut Jacques Delors, Sébastien Maillard, a également défendu l’approche personnaliste  et rappelé que Jacques Delors était personnaliste. Le président de la Fondation Robert Schuman Jean-Dominique Giuliani m’a confié également qu’il adhérait à la position personnaliste. L’ancien premier ministre italien Enrico Letta se définit clairement, dans son livre “Faire l’Europe dans un monde de brutes”, comme personnaliste.

Je me suis donc rendu compte que le personnalisme était un secret bien gardé ! Donc mettons ce nouvel humanisme sur la table, parlons-en, quitte à le critiquer et à le renouveler…

 

Conclusion des débats sur les 10 propositions

L’Europe se trouve-t-elle aujourd’hui à l’aube d’un repli ou d’une nouvelle voie ? Une question transversale qui a animé la journée de tables rondes et de débats sur l’avenir de la civilisation européenne au Collège des Bernardins mercredi 15 mai.

En présence de Jeanne-Emmanuelle Hutin, éditorialiste à Ouest France, de Baudoin Baudru, chef adjoint de la Représentation de la commission européenne en France, de Chiheb M’Nasser, directeur général de la Fondation pour l’Islam de France et de Mgr Antoine de Romanet, évêque aux armées françaises, la session de débats conclusifs, à la lumière des 10 propositions a rappelé les nombreux défis auxquels l’Europe fait face : accueil des migrants, défense de la paix, changement climatique et ambition du développement humain.

Trois axes de réflexion centraux dans la philosophie personnaliste européenne – philosophie qui s’attache à replacer les Hommes au centre des questions économiques, sociales et politiques – ont ainsi été présentés pour y répondre : créer une Europe unie, une Europe sociale et une Europe de la paix. Un fil rouge semble réunir ces trois idées : la nécessité absolue de prendre du recul et de tirer les leçons du passé, – de l’Antiquité, aux Guerres mondiales et à la construction communautaire – afin de pouvoir imaginer l’Europe de demain. Ainsi, loin d’être uniquement le produit du fonctionnalisme, l’Europe d’hier comme d’aujourd’hui est aussi celle des penseurs humanistes et personnalistes.


Le colloque « Quel avenir pour la civilisation européenne ? », le 15 mai au collège des Bernardins.

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