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Grain de sel
Rappel : sur ce blog, la question de la compétitivité européenne a déjà été abordée à plusieurs reprises ; l’article présent s’inscrit dans la continuité de la réflexion menée dans le cadre de la série « Compétitivité de l’Union européenne » Travaux du CEDE – Filière affaires européennes – Institut Géopolitique & Business –
Les autres articles de la série :
Autour du Débat du 25 avril 2025 (Filière Affaires européennes – MSDAIM 2025) – Quelques défis vitaux de l’UE dans un monde en permacrise :
–L’UE face aux grandes puissances économiques : faire le dos rond ou contre-attaquer ?
–Green deal : jusqu’où ira le rétropédalage ?
–Numérique : entre souveraineté numérique, valeurs de l’UE et concurrence internationale
Autour du Débat du 17 juin 2025 (CEDE – Filière Affaires européennes) UE & Reconquête d’une compétitivité durable?!
-Le Compte-rendu exhaustif : UE & Reconquête d’une compétitivité durable – le Saint Graal?
-Interview d’experts « Compétitivité européenne : Quelques défis stratégiques relatifs à l’énergie, le numérique, la santé »
– Compétitivité – la situation inquiétante de l’Europe – Rédactionnel réalisé en préparation du débat du 17 juin 2025 avec Célestine Phe, monitrice ESSEC.
Après la publication du rapport Draghi, les dirigeants européens ont adopté ce vendredi une déclaration sur la compétitivité européenne. Une ambition à la hauteur de l’alerte ? Un défi pour la prochaine Commission.
Complément : L’intervention du PR au Collège de France sur la compétitivité européenne.
Deux jours après l’élection de Donald Trump, les dirigeants de l’Union européenne (UE) ont approuvé un accord de compétitivité édulcoré, lors d’un sommet informel du Conseil européen à Budapest, vendredi 8 novembre.
« Nouveau Pacte européen de Compétitivité »
Les 27 États membres de l’UE, accompagnés du président du Conseil européen Charles Michel et de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, ont adopté la « Déclaration de Budapest sur le Nouveau Pacte européen de Compétitivité ». Avec pour objectif de « combler le fossé en matière d’innovation et de productivité, tant avec nos concurrents mondiaux qu’au sein de l’UE », indique la déclaration.
Alors que la réélection de Donald Trump s’imprime dans tous les esprits – annonçant un potentiel désintérêt des États-Unis pour l’UE et une baisse ou un arrêt des financements en direction de l’Ukraine – l’autonomie stratégique était au cœur des discussions des dirigeants de l’UE jeudi soir et vendredi. « Les États-Unis sont notre plus grand partenaire économique et commercial. Nous allons immédiatement construire une bonne relation avec la nouvelle administration, afin de forger au mieux l’agenda transatlantique », a expliqué Ursula von der Leyen lors de la conférence de presse de clôture du sommet, alors que Donald Trump menace d’imposer une taxe de 20 % sur les produits européens entrant aux États-Unis.
L’UE est prête à « engager [le dialogue avec les États-Unis], à discuter de nos intérêts communs, puis à entamer des négociations » pour que, si de nouvelles barrières commerciales devaient être introduites, cela se fasse de manière coordonnée et ouverte, a ajouté Ursula von der Leyen.
La présidente de la Commission a également laissé entendre qu’un levier potentiel de négociations pourrait être de remplacer le gaz naturel liquéfié (GNL) russe par le GNL américain.« [Trump] viendra avec des idées commerciales. Nous devons nous lever, négocier et conclure un accord. Tout dépend de notre force et de notre détermination », a déclaré aux journalistes le Premier ministre hongrois Viktor Orbán. Les dirigeants de l’UE ont également participé jeudi 7 novembre au sommet de la Communauté politique européenne (CPE), le premier depuis l’annonce des résultats des élections américaines, alors que Viktor Orbán tente de s’imposer au sein de l’UE comme un interlocuteur privilégié du nouveau président américain. Dans ses remarques préliminaires au sommet de la CPE, le président Emmanuel Macron avait averti que l’Europe risquait de devenir un « herbivore » dans un monde de « carnivores ».
Une déclaration édulcorée
Dans ce contexte, la Déclaration de Budapest, publiée plus tôt dans la journée, visait à renforcer l’autonomie de l’Europe, et à apaiser les craintes que le continent ait à pâtir d’une administration Trump 2.0.
La déclaration, qui intègre bon nombre de recommandations du rapport Draghi, explique vouloir développer l’Union des marchés des capitaux (UMC), prendre des « mesures décisives » en vue d’une Union de l’épargne et de l’investissement d’ici 2026, et définir les contours d’un pacte industriel vert dans les 100 premiers jours de la nouvelle Commission.« Il a été facile de parvenir à un accord sur la compétitivité car ce n’est pas idéologique, c’est très pragmatique », a déclaré Viktor Orbán, appelant à « rendre l’Europe à nouveau grande » en référence au célèbre slogan de Donald Trump « Make America Great Again ».Mais des fissures apparaissent déjà.
La version finale de la déclaration est ainsi bien éloignée de l’ébauche originale de Charles Michel, sans aucune mention de la nécessité « d’éliminer les barrières transfrontalières » dans le secteur des télécommunications, d’harmoniser les lois sur l’insolvabilité des États membres, de réformer le marché de la titrisation de l’UE ou de parvenir à une plus grande « convergence » dans la supervision financière et la fiscalité. Les nouveaux outils financiers à la disposition de l’UE pour soutenir les transitions énergétiques et numériques et continuer à financer les efforts de guerre de l’Ukraine, tels que les « ressources propres » et la dette commune, doivent seulement être « explorés », a indiqué Charles Michel aux journalistes vendredi.L’UE garde également un œil attentif sur la situation politique en Allemagne, où la coalition du chancelier Olaf Scholz s’est effondrée mercredi 6 novembre et alors que des élections anticipées pourraient être annoncées avant mars.
La Hongrie isolée sur le dossier ukrainien ?
Charles Michel et Ursula von der Leyen ont enfin réitéré leur soutien à l’Ukraine – mais n’ont fourni aucune garantie que l’UE soit en mesure de compenser la baisse ou la suppression de l’aide américaine. En 2023, Donald Trump avait déclaré à ses partisans qu’il mettrait fin à la guerre de la Russie « en 24 heures », sans préciser quand devait commencer cette période de 24 heures. Pendant ce temps, Viktor Orbán a dû défendre sa position « pro-paix » sur l’Ukraine, niant avoir jamais été « isolé » sur la scène européenne. Réaffirmant que la Hongrie ne souhaitait pas s’impliquer dans la guerre, il a averti que « le temps ne joue pas en faveur de l’Ukraine » et que Kiev et Moscou devaient dès que possible se préparer à un cessez-le-feu. Le Premier ministre hongrois a déclaré aux journalistes avoir proposé l’idée au président ukrainien Volodymyr Zelensky en juillet dernier, mais que ce dernier l’avait rejetée. « Si vous avez une opinion et que vous êtes seul, et qu’il y a 26 autres avis, ce n’est pas de l’isolement, c’est une discussion », a déclaré le Premier ministre hongrois.
« Être seul avec mon opinion et essayer de convaincre les autres, c’est dans mon ADN », a-t-il ajouté.
https://www.euractiv.fr/section/all/news/trumps-shadow-hangs-over-eu-leaders-meeting-in-budapest/
Le texte de la déclaration
À la suite des phénomènes météorologiques extrêmes dévastateurs en Espagne, nous présentons nos plus sincères condoléances au peuple espagnol auquel nous témoignons toute notre solidarité, en particulier aux familles et aux amis des victimes.
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Face aux nouvelles réalités géopolitiques et aux défis économiques et démographiques, nous, dirigeants de l’Union européenne, sommes déterminés à assurer notre prospérité économique commune et à renforcer notre compétitivité, en faisant de l’UE le premier continent neutre pour le climat au monde et en assurant la souveraineté de l’UE ainsi que sa sécurité, sa résilience et son influence à l’échelle mondiale.
Sur la base des travaux entamés à Versailles et poursuivis à Grenade, à Bruxelles et dans le programme stratégique, nous rendrons l’Union plus compétitive, plus productive, plus innovante et plus durable, en prenant appui sur la cohésion économique, sociale et territoriale, et en assurant la convergence et des conditions de concurrence équitables tant au sein de l’Union qu’à l’échelle mondiale.
Nous accueillons avec satisfaction les rapports « Much more than a market » (« Bien plus qu’un marché ») d’Enrico Letta et « L’avenir de la compétitivité européenne » de Mario Draghi, qui recensent les défis majeurs et formulent des recommandations tournées vers l’avenir. Ils constituent une base solide sur laquelle nous nous appuierons pour poursuivre nos travaux de manière ambitieuse. Nous avons bien entendu le signal d’alarme lancé dans ces rapports. Nous devons impérativement combler d’urgence les écarts en matière d’innovation et de productivité, tant par rapport à nos concurrents mondiaux qu’au sein de l’UE. Nous travaillerons dans l’unité et dans un esprit de solidarité, au profit de tous les citoyens, entreprises et États membres de l’UE.
Afin de stimuler notre compétitivité, tous les instruments et politiques doivent être mobilisés de manière exhaustive et cohérente tant au niveau de l’UE qu’à celui des États membres. Le maintien du statu quo n’est plus une option. Aujourd’hui, nous soulignons qu’il est urgent de prendre des mesures décisives pour relever ces défis et nous appelons à des efforts collectifs résolus en ce qui concerne les moteurs de compétitivité suivants, en faisant fond sur les conclusions du Conseil européen d’avril 2024:
1. Redoubler d’efforts afin de garantir un marché unique pleinement opérationnel et de libérer pleinement le potentiel de ce marché, en tant que moteur essentiel de l’innovation, des investissements, de la convergence, de la croissance, de la connectivité et de la résilience économique. À cet effet, nous invitons la Commission à présenter, d’ici juin 2025, une nouvelle stratégie horizontale globale sur l’approfondissement du marché unique, comprenant une feuille de route assortie de calendriers et d’échéances clairs.
2. Prendre des mesures décisives pour parvenir à une union de l’épargne et des investissements d’ici 2026, et réaliser d’urgence des progrès sur l’union des marchés des capitaux. Cela permettra de créer des marchés européens des capitaux véritablement intégrés, qui soient accessibles à tous les citoyens et entreprises, en particulier aux PME et aux jeunes pousses. Cela devrait permettre à nos entreprises innovantes de se développer. En outre, des investissements accrus en fonds propres contribueraient à garantir la compétitivité de l’UE dans le domaine des technologies critiques. Des progrès supplémentaires sont aussi nécessaires pour parachever l’union bancaire.
3. Assurer notre renouveau industriel et notre décarbonation, et permettre à l’UE de rester une puissance industrielle et technologique. À cette fin, nous élaborerons une politique industrielle européenne destinée à assurer la croissance des technologies clés de demain, tout en accordant une attention particulière aux industries traditionnelles en transition. Nous invitons la Commission à présenter, en priorité, une stratégie industrielle globale pour des industries compétitives et des emplois de qualité.
4. Lancer une révolution en matière de simplification, garantir un cadre réglementaire clair, simple et intelligent pour les entreprises et réduire drastiquement les charges administratives, réglementaires et de déclaration, en particulier pour les PME. Nous devons adopter un état d’esprit propice axé sur la confiance, qui permette aux entreprises de prospérer sans réglementation excessive. Parmi les principaux objectifs que la Commission doit mettre en œuvre sans tarder figurent la formulation de propositions concrètes pour réduire d’au moins 25 % les obligations de déclaration au premier semestre de 2025, ainsi que l’intégration, dans ses propositions, d’analyses d’impact relatives aux lourdeurs administratives et à la compétitivité.
5. Renforcer notre préparation en matière de défense et accroître nos capacités, en particulier en renforçant notre base industrielle et technologique de défense en conséquence[1]. À cet égard, le haut représentant et la Commission présenteront dans les meilleurs délais des options élaborées de financement public et privé. Nous tirerons également parti du potentiel que possède le secteur spatial.
6. Placer l’Europe à l’avant-garde de la recherche et de l’innovation mondiales, en particulier dans les technologies de rupture, et réaliser l’objectif de dépenses de 3 % du PIB dans la R&D d’ici à 2030. Nous sommes prêts à travailler sur la proposition d’Enrico Letta d’une « cinquième liberté » en vue de renforcer la recherche, l’innovation et l’éducation au sein du marché unique.
7. Poursuivre le double objectif d’œuvrer à la souveraineté énergétique stratégique et de parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050. À cette fin, nous mettrons en place, en priorité, une véritable union de l’énergie caractérisée par un marché de l’énergie pleinement intégré et interconnecté, en assurant la décarbonation de notre bouquet énergétique et la fourniture d’une énergie abordable et propre à l’ensemble de nos citoyens et de nos entreprises. Des mesures urgentes seront prises pour remédier à la situation résultant du niveau élevé et de la volatilité des prix de l’électricité en Europe et à leurs causes.
8. Construire une économie plus circulaire et plus efficace dans l’utilisation des ressources et mettre en place un marché intégré des matières secondaires, en particulier des matières premières critiques. À cette fin, nous invitons la Commission à présenter son projet d’acte législatif sur l’économie circulaire.
9. Renforcer les capacités technologiques de l’UE, accélérer la transformation numérique dans l’ensemble des secteurs, saisir les possibilités offertes par l’économie des données tout en veillant à la protection de la vie privée et à la sécurité, et favoriser le développement de technologies innovantes. Nous invitons la Commission à faire des propositions à cet égard d’ici juin 2025.
10. Exploiter les talents européens et investir dans les compétences pour favoriser des emplois de qualité dans l’ensemble de l’Union. Nous nous efforcerons de renforcer le dialogue social, de défendre l’égalité des chances et de réduire les inégalités, conformément au socle européen des droits sociaux.
11. Mener une politique commerciale ambitieuse, solide, ouverte et durable, où l’OMC occupe une place centrale, qui défend et promeut les intérêts de l’UE, sa diversification économique et sa résilience. Nous renforcerons notre sécurité économique tout en défendant une économie ouverte et en établissant des partenariats internationaux.
12. Disposer d’un secteur agricole compétitif, durable et résilient, fournir aux agriculteurs un cadre stable et prévisible, renforcer leur position dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et assurer une concurrence équitable à l’échelle mondiale et dans le marché intérieur.
Un financement adapté à l’avenir
Les défis auxquels nous faisons face en matière de compétitivité nécessiteront des investissements importants, mobilisant des financements tant publics que privés. Nous sommes déterminés à rechercher et à utiliser tous les instruments et outils disponibles pour atteindre nos objectifs: le cadre financier pluriannuel, moyen essentiel de mettre en œuvre nos priorités stratégiques; l’union des marchés des capitaux, pour mobiliser des financements privés; et la participation accrue de la Banque européenne d’investissement. Nous réfléchirons à la mise au point de nouveaux instruments. Nous continuerons de travailler à l’introduction de nouvelles ressources propres.
La nécessité d’apporter une réponse unifiée n’a jamais été plus impérieuse. Nous invitons l’ensemble des institutions de l’UE, des États membres et des parties prenantes à appliquer et concrétiser d’urgence ce nouveau pacte pour la compétitivité européenne. Nous continuerons à fournir de nouvelles orientations stratégiques et à examiner régulièrement les progrès accomplis au cours de l’année à venir.
https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/11/08/the-budapest-declaration