Grain de sel VDB : Une fusion pour créer un champion
La fusion des deux géants de l’eau et des déchets Veolia et Suez a été autorisée le 14 décembre par la DG Competition.
Après des mois d’une bataille homérique entre les deux rivaux commencée le 30 aout 2020 et structurée en 2 phases: Acquisition par Veolia de 29,9% du capital de Suez auprès d’Engie en octobre 2020 après quelques péripéties, puis fin juillet 2021 lancement d’une OPA à 100% qui doit s’achever le 7 janvier 2022.
Retour sur le feuilleton marqué entre autres déclarations et actions d’influence auprès de l’Etat par:
- une mobilisation des syndicats notamment parce que ceux ci ont estimé ne pas avoir été correctement informés – ils ont saisi la justice en oct 2020 et on eu gain de droit en nov 2020 (rappelons que le CSE a son mot à dire – loi Florange)
- l’utilisation de la technique des « crown jewels » (cessions d’actifs essentiels): en octobre 2019, alors que la menace du rachat par Veolia plane Suez dans le cadre de son plan « Shaping Suez 2030 » négocie avec le groupe allemand Schwarz (PreZero, branche environnementale) la cession des activités « recyclage et valorisation » aux Pays-Bas, Luxembourg, Allemagne et Pologne.
- 23 Sept 2020 un poison pills : Une localisation des activités Eau France dans une fondation aux Pays Bas pour au moins quatre ans, sauf décision contraire du conseil d’administration de Suez. Cette stratégie bloque Véolia qui avait prévu de vendre Suez Eau France au fonds Meridiam. Contestée avec succès par Véolia devant le tribunal de commerce de Nanterre.
- 4 oct 2020 : recours à un chevalier blanc apte à racheter les parts d’Engie mais Ardian renoncera
- 2 dec 2020 : contentieux pour retarder ou empêcher l’opération de cession des parts détenues par Engie au titre d’un soupçon d’entente secrète entre Veolia, d’Engie et de Meridiam visant à d’empêcher toute offre concurrente dans les délais impartis
- Après la phase 1 – rachat des parts d’Engie dans Suez, Antoine Frérot, contre-attaque pour pouvoir continuer l’opération globale, appellant les autres actionnaires de Suez à débarquer le conseil d’administration.
- Un compromis intervenu le 12 avril 2021, acté par le conseil d’administration de Suez, après une intermédiation de Gérard Mestrallet et du cabinet Equanim qui ont proposé un découpage des périmètres respectifs et un relèvement du prix du titre
- Un accord définitif le 14 mai 2021 où Veolia confirme le maintien de l’emploi et des statuts sociaux des salariés et aussi un prix d’acquisition à 20,50 euros par action valorisant sa cible à 13 milliards d’euros.
Une fusion conditionnée à la cession d’actifs de taille.
La plupart avaient été anticipées dans le projet, comme c’est de plus en plus souvent le cas lors des notifications concentrations à la DG Compétition: les activités de Suez en France dans la gestion des déchets et de l’eau municipale, des activités de Veolia dans les services mobiles de l’eau dans l’Espace Economique Européen, des activités de Veolia dans la gestion de l’eau industrielle en France. Mais, la Commission a exigé aussi : « une partie » des activités des deux entreprises dans le traitement des déchets dangereux car Veolia aurait détenu 12 sites de stockage de déchets dangereux sur les 13 existant en France – quatre sites de Suez doivent donc être cédés ce qui fera apparaitre un nouvel acteur
Il s’agit bien avec cette opération de créer un champion mondial de la transformation écologique renforcé dans sa capacité d’innovation face à la concurrence chinoise ; et c’est à l’international que tout se joue: Etats-Unis, Amérique latine, Espagne, Australie et Royaume-Uni.
« L’avenir de nos sociétés repose sur notre capacité à réconcilier l’activité humaine avec les équilibres environnementaux, c’est sans doute le plus grand défi auquel nous ayons été confrontés. Pour le relever, nous devons transformer en profondeur nos modèles de société. Nous avons pour cela besoin de grands champions, à l’échelle des grandes mégapoles et des grandes industries qui cherchent des solutions de grande ampleur. » dit
Antoine Frérot, Président-directeur général de Veolia lorsqu’il justifie le projet.
Le nouveau groupe Suez sort de la bourse. Recentré sur l’eau en France, il comptera 40 000 salariés pour près de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires et sera détenu par un consortium composé des fonds Meridiam et de l’américain GIP aux côtés de la Caisse des dépôts/CNP Assurances, alors même des actifs de Suez intéressent des acteur européens dont le groupe allemand Remondis, qui le 7 mai avait propose de prendre une participation minoritaire dans le nouveau Suez et écarter le fonds US .
Le nouveau SUEZ sera dirigé par Sabrina Soussan, patronne d’un groupe suisse qui femme de terrain et d’expérience sort de l’entre soi parisien:).
Une fusion à suivre
L’AMF a réagi au feu vert européen: l’OPA de Veolia, ouverte le 29 juillet 2021, se terminera donc le 7 janvier 2022 puisque l’offre publique est déliée de la condition suspensive prevue par l’article 231-11 du règlement général AMF.
Une fusion à dimension éminemment politique
Tandis que Jean Castex appuie assez tôt la démarche de Veolia, B.Le Maire a temporisé: L’Etat refusera la précipitation parce que quand il y a des dizaines de milliers d’emplois qui sont en jeu, on ne se précipite pas ». Des garanties sur le maintien des emplois seront obtenues par l’Etat avant la cession des parts. (Rappel: l’Etat est actionnaire de référence d’Engie et par ailleurs doté d’un pouvoir d’autorisation sur les opérations dans des secteurs stratégiques).
Rappelons que l’Etat français pousse à la constitution de champions nationaux cet an-ci (Bouygues- Equans, TF1-M6). Or cette notion nous sommes d’accord avec Bruno Alomar demeure assez floue et comporte des pièges.
décision officielle de la Commission : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_21_6885