Une chute de l’immigration serait coûteuse pour l’Europe

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Actualité


14.12.2018

Marie Guitton (à Bruxelles)

Alors que les dirigeants européens échouent depuis des mois à trouver une réponse commune et pérenne à l’arrivée de migrants dans l’UE, les partis nationalistes prospèrent sur ce débat passionné. Pourtant, selon les derniers chiffres, la « crise » migratoire est passée. Et les pays d’arrivée et de dépôt des demandes d’asile ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Un avis rendu le 12 décembre par le Comité économique et social européen montre combien l’Europe paierait cher une fermeture irraisonnée de ses frontières.

A l'ordre du jour du Conseil européen réunit le 14 décembre 2018 : la politique migratoire de l'UE - Crédits : European Council

A l’ordre du jour du Conseil européen réunit le 14 décembre 2018 : la politique migratoire de l’UE – Crédits : European Council

Dans le sillage des Printemps arabes et du déclenchement de la guerre en Syrie, les entrées illégales dans l’Union européenne ont atteint un pic en octobre 2015. Mais depuis l’accord controversé passé avec la Turquie, au début de l’année suivante, les afflux de migrants diminuent aux portes du Vieux continent. « Le gros de la crise est passée », souffle donc une source européenne. « Le nombre d’arrivées irrégulières est retombé aux niveaux d’avant la crise », confirme la Commission.

Des arrivées illégales en baisse

Ce volume, qui représente le nombre de personnes dont les empreintes digitales ont été enregistrées à la frontière, n’inclut pas le « chiffre noir » des étrangers entrés clandestinement sur le territoire. Mais la baisse est évidente : 116 000 arrivées illégales ont été comptabilisées entre janvier et la fin du mois d’octobre 2018, soit une diminution de 30% par rapport à la même période de l’année précédente.

Par ailleurs, c’est la péninsule ibérique qui est désormais la zone privilégiée d’arrivée, avec 49% du total. Sur cette route occidentale, le trafic a augmenté de 126% sur les 10 premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2017. A l’inverse, en Méditerranée orientale, « les arrivées sont aujourd’hui inférieures de 90% au record atteint en 2015 », indique la Commission. Et du côté de l’Italie, qui a été le principal point d’entrée en 2017, « la route de la Méditerranée centrale a connu une baisse significative » depuis un an et demi, avec environ 23 000 entrées illégales cette année, soit 20% du total.

Nombre de passages irréguliers aux frontières méditerranéennes de l’UE (2014-2018)
En gris : route orientale ; en orange : route centrale ; en bleu : route occidentale
(source : Commission européenne, décembre 2018)

 

La diminution du nombre d’arrivées s’accompagne logiquement d’une baisse des demandes d’asile depuis 2015, dont le volume est lui aussi redescendu au niveau d’avant-crise. Environ 558 000 demandes ont ainsi été reçues entre le 1er janvier et le 25 novembre 2018, dont moins d’un quart sera accepté en moyenne par les Etats membres (alors qu’en 2017, l’asile a été accordé à 538 000 demandeurs).

Aujourd’hui, l’Italie, la Grèce et l’Espagne n’enregistrent à elles trois plus que 30% des demandes. Mais la France et l’Allemagne battent des records, avec respectivement 116 000 et 130 000 dossiers reçus en 2018, soit 44% du total. « Les arriérés de revendications depuis le pic de la crise continuent de mettre une pression considérable sur les systèmes d’asile des Etats membres de l’UE et de l’espace Schengen », reconnaît donc la Commission.

En parallèle, elle relève que « l’efficacité des mesures de retour continue à baisser, avec un taux de retour moyen de 40% au cours des trois dernières années ».

L’impossible « solidarité » ?

Ce sont sur ces deux derniers points – le traitement de l’asile et celui des retours – que les discussions européennes continuent d’achopper, une crise politique ayant donc supplanté la crise migratoire de 2015.

Des accords de principe ont été trouvés ces derniers mois entre les Vingt-Huit pour améliorer la gestion des flux secondaires. Afin de stabiliser les demandeurs d’asile et éviter qu’ils n’« exercent une pression disproportionnée sur les pays qui constituent une destination prisée », des directives prévoient notamment d’harmoniser les conditions d’accueil entre les Etats membres et d’accélérer l’accès des réfugiés au marché du travail. Une nouvelle règle devrait aussi contraindre ceux qui déménagent à reprendre à zéro la procédure d’obtention du statut de résident de longue durée.

Mais les chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Bruxelles les 13 et 14 décembre piétinent toujours sur la mise en place d’un système pérenne de gestion des arrivées aux frontières de l’UE. Malgré des concessions de Paris et Berlin sur la réforme du régime d’asile de l’UE (règlement de Dublin), le groupe de Višegrad et l’Italie ne lèvent pas leur opposition à une répartition contraignante ou seulement « solidaire » des demandeurs d’asile en cas d’afflux inhabituel.

Réforme de la politique migratoire européenne : où en est-on ?

Le débat échoue aussi sur la proposition de la Commission européenne de doter Frontex d’un corps permanent de 10 000 hommes. Alors que l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes ne fait que coordonner des opérations conjointes actuellement, l’objectif serait d’offrir aux Etats membres faisant face à un afflux de réfugiés inhabituel « un soutien opérationnel total de l’UE ». Mais « ces gardes-côtes, formés par les Etats membres, seraient donc dotés de compétences ‘badgées européennes’ en matière de contrôles et d’instruction des retours. C’est là que ça coince », souffle une source européenne.

Changer le « récit » sur les migrations

Dans ce contexte, le Comité économique et social européen (CESE) invite les dirigeants à dépassionner le débat. « Il faut changer le récit sur la migration, qui est toujours reliée à des problèmes », exhorte l’Espagnol José Antonio Moreno Días, du groupe des travailleurs. Avec le Tchèque Pavel Trantina, du groupe activités diverses, il est le co-rapporteur d’un avis d’initiative adopté le 12 décembre sur « les coûts de la non-immigration et de la non-intégration » des étrangers dans l’UE.

Au-delà de « l’enrichissement culturel », le CESE considère en effet que « l’immigration a une influence positive sur la croissance de la population et de la main d’œuvre ». Si elle s’arrêtait, « les marchés de l’emploi seraient probablement soumis à une pression insupportable, des industries entières feraient faillite, la production générale chuterait et le secteur de la construction ne réussirait plus à satisfaire tout le monde », écrivent les rapporteurs.

Le Comité s’appuie notamment sur un rapport de la Commission européenne publié en mai 2018 qui conclut que la population en âge de travailler (15-64 ans) va passer de 333 millions dans l’UE en 2016 à 292 millions en 2070, soit une baisse de 41 millions. De fait, le modèle social de certains pays d’Europe, et notamment les systèmes de retraite et de santé, pourraient en « pâtir », tandis que « le dépeuplement de certaines zones se poursuivrait à un rythme soutenu », avertit le CESE.

Au lieu de se perdre dans des discours xénophobes et des débats centrés sur les contrôles et les retours, l’organe consultatif requiert donc une « nouvelle approche » et un « rééquilibrage de l’agenda politique ». Le 12 décembre en session plénière, plusieurs membres du CESE se sont dit « honteux » de leurs gouvernements nationaux, soulignant « l’erreur » de ceux qui n’ont pas signé le pacte de Marrakech.

Qu’est-ce que le « pacte de Marrakech » sur les migrations ?

« Promouvoir des voies sûres et légales » d’immigration, savoir reconnaître les compétences des migrants, favoriser l’apprentissage rapide de la langue, abolir les discriminations, lutter contre les peurs… voilà plutôt ce qui permettrait, selon le Comité, de « réaliser tout le potentiel que recèle l’immigration ».

A l’aube des élections européennes, le CESE appelle à une grande « transformation » de l’Europe

 

Les arrivées légales augmentent
Parallèlement à une chute des entrées irrégulières dans l’UE, le nombre de personnes arrivant par les canaux légaux augmente. Il s’agit principalement d’une migration liée à l’emploi et au besoin de main d’œuvre (en Allemagne, par exemple). Depuis 2015, deux programmes européens de « réinstallation » ont également permis à 44 000 personnes vulnérables se trouvant dans des Etats tiers de trouver refuge en Europe. « Nous avons évacué plus de 2 000 réfugiés de Libye en vue de leur réinstallation », indique notamment Federica Mogherini, la haute-représentante de l’UE pour les Affaires étrangères. 34 000 autres doivent encore bénéficier de ces programmes d’ici à fin 2019.

 

La Commission appelle à rétablir un fonctionnement normal de Schengen
En marge du Conseil européen des 13 et 14 décembre, et malgré l’embourbement des dossiers asile et retours, la Commission européenne a appelé les Etats membres à revenir à un fonctionnement normal de l’espace Schengen, en « levant les contrôles temporaires » réinstaurés à certaines frontières intérieures (par exemple par la France au nom de la menace terroriste). Les derniers chiffres officiels font état de 1,9 million de personnes qui travaillent dans un autre pays de l’UE que celui dans lequel ils vivent. Selon les estimations, 3,5 millions de personnes passeraient les frontières de l’espace Schengen chaque jour.
Lire aussi : Schengen : la carte des contrôles aux frontières nationales

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