Réforme européenne du droit d’auteur : une directive très décriée

Un article publié par Le Monde


Si les eurodéputés votent ce texte, censé adapter le droit d’auteur au numérique, ce sera le point final d’un marathon législatif commencé en 2016.


La fin du marathon est-elle en vue ? Mardi 26 mars, les eurodéputés vont se prononcer, une ultime fois, sur le très controversé projet de directive sur le droit d’auteur. S’ils votent en faveur de ce texte, censé adapter le droit d’auteur au numérique, ce sera le point final d’un feuilleton commencé en 2016 et riche en rebondissements.

Ces derniers jours encore, plusieurs sites parmi les plus importants d’Internet (Wikipédia, Pornhub, Reddit…) ont mené une campagne pour protester contre ce texte etappelé les internautes à se mobiliser lors de cette dernière ligne droite.

Un processus chaotique

Le premier rebondissement dans la saga de la « directive copyright » survient début juillet 2018 : le Parlement européen rejette le texte, qui devait ensuite être soumis au Conseil (les Etats membres) et à la Commission. Ceci à la grande surprise – et au grand désarroi – des industries culturelles, très largement en faveur du texte et qui pensaient avoir partie gagnée. Ces dernières renversent la vapeur en septembre, lorsque le Parlement, appelé à se prononcer sur une nouvelle version du texte, très proche de celle qui a été rejetée deux mois plus tôt, avalise cette fois le texte.

Ce dernier est donc ensuite arrivé en « trilogue », terme qui désigne les négociations entre la Commission, qui a proposé le projet de directive, le Conseil et le Parlement pour aboutir à un texte commun. De longues négociations, pied à pied et dans un contexte de lobbying intense tant du côté des opposants que des partisans de la directive, ont eu lieu.

Mi-février, ils sont finalement parvenus à un accord, qui doit de nouveau être validé par le Parlement. Une première étape a été franchie fin février en commission. Reste désormais à voter le texte en plénière, c’est-à-dire avec tous les eurodéputés.

Même les plus ardents opposants à ce projet de directive lui reconnaissent des points positifs, notamment parce qu’il permettra de toiletter et d’harmoniser le très complexe droit d’auteur. Mais deux articles ont fait l’objet de combats acharnés : l’article 11 – devenu l’article 15 – et l’article 13 – devenu l’article 17.

Filtrer les contenus sous droit d’auteur

L’article 17 (ancien article 13) s’applique aux plates-formes en ligne qui permettent à leurs utilisateurs de publier des contenus eux-mêmes, et donc, potentiellement, des œuvres protégées par le droit d’auteur.

La directive impose aux plates-formes de conclure avec les ayants droit des accords afin qu’ils soient rémunérés lorsqu’un utilisateur poste sur la plate-forme une œuvre (un texte, une chanson, un film…) dont ils sont titulaires des droits.

En l’absence de tels accords, la plate-forme (par exemple un service de vidéos en ligne) pourra être tenue responsable de la présence sur son réseau d’une œuvre protégée. Le texte prévoit une exception : il faudra que la plate-forme ait sérieusement essayé d’obtenir un accord avec l’ayant droit, qu’elle ait tout fait pour supprimer l’œuvre après avoir été notifiée de sa présence et qu’elle ait mis en place des mécanismes pour empêcher ces œuvres d’être publiées au départ et dans le futur. Ce sont ces derniers mécanismes, qui existent déjà sur certains services comme YouTube, qui ont alimenté les craintes de l’instauration de filtrage généralisé sur le Web. Pour savoir si la plate-forme est responsable d’une infraction au droit d’auteur, la taille et la nature de la plate-forme et des œuvres mises en ligne devront être pris en compte, de même que l’existence et le coût des mécanismes de filtrage des œuvres protégées.

La mise en place de filtres, chargés donc d’inspecter tout ce que postent les utilisateurs des services en ligne pour savoir si leur activité contrevient ou non au droit d’auteur, ne sera pas obligatoire dans le cas où la plate-forme existerait depuis moins de trois ans et que son chiffre d’affaires serait inférieur à 10 millions d’euros. L’usage des filtres sera de nouveau obligatoire pour empêcher la publication d’une œuvre protégée déjà retirée de la plate-forme lorsque le nombre d’utilisateurs de cette dernière est supérieur à 5 millions d’internautes. Tout le dispositif de la directive sera applicable dès lors que la plateforme dépasse les trois ans ou surpasse 10 millions d’euros de chiffre d’affaire.

A noter que certains types de plates-formes, notamment les encyclopédies comme Wikipédia, sont exclus du champ de l’article 17.

La directive ne devra pas empêcher la mise en ligne de citations, de pastiches ou de parodies

Les opposants du texte ont redouté, notamment, que des usages légaux sous le droit d’auteur, comme certains détournements, soient prohibés. Certains ont craint pour les mèmes, ces images ou vidéos détournées à l’infini sur le Web, le plus souvent à des fins humoristiques. Le projet de directive prévoit des exceptions : la directive – et donc les filtres automatiques – ne devra pas empêcher la mise en ligne de citations, de pastiches ou de parodies. Enfin, la directive prévoit un mécanisme de réclamation pour les internautes dont les publications auraient été injustement retirées.

Faire payer l’utilisation des articles de presse

L’article 15 (anciennement article 11) prévoit quant à lui que les plates-formes en ligne rémunèrent les éditeurs de presse dont elles utilisent les contenus. Ce droit à la rémunération, appelé communément « droit voisin », courra pendant deux ans après la publication de l’article.

Cela ne s’applique pas lorsque ces contenus sont utilisés hors de ces plates-formes par des internautes individuels ou à des fins non commerciales. De même, de simples liens vers des articles de presse ne sont pas concernés par cette rétribution.

Est aussi prévue une exception vague qui concerne les plates-formes : lorsque ces dernières n’utilisent que des « mots individuels » ou de « très courts extraits ». Cette exception pourrait sortir la plupart des plates-formes du champ d’application de la directive : lorsque Google Actualités proposent un lien à ses utilisateurs, seuls quelques mots et une image sont concrètement utilisés par Google. De même pour Facebook : lorsqu’un utilisateur partage un lien de presse sur le réseau social, seule une très brève portion de l’article est aspirée par Facebook. Or, ces deux plates-formes sont précisément dans le viseur de la directive.

Et maintenant ?

Si le texte est adopté par le Parlement, les Etats auront deux ans à compter de son entrée en vigueur pour adapter leurs lois pour s’y conformer.

Alors même que les appels à davantage de régulation des grandes plates-formes numériques n’ont jamais été aussi forts, que les parlementaires européens sont divisés et que tous les lobbys jettent leurs dernières forces dans la bataille, l’issue du vote du Parlement est toujours incertaine. Réponse mardi.


Crédits photo : ADragan/iStock