Quelle Europe dans « le monde d’après » ? – EURACTIV.fr

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À quoi rêvent les Européens, en cette journée du 9 mai 2021 ? Retrouver partout la liberté et l’insouciance. Nombreux sont ceux qui aspirent aussi à renouer avec l’esprit originel de l’Union européenne. Plus d’un an de gestion chaotique de la crise sanitaire laisse les peuples européens fragilisés, en proie à la défiance. C’est le stigmate d’un mal bien plus ancien, qui ronge l’Union européenne. Cette journée de l’Europe, à l’heure d’aborder le « monde d’après », impose donc un diagnostic qui interroge les fondements de son projet politique. Peut-être le dernier, si rien n’est fait.

De l’impossible coordination sur la livraison de masques jusqu’aux ratés de la campagne vaccinale : une profonde crise de légitimité démocratique frappe les dirigeants européens. Pendant que la Covid-19 est parvenue à imposer le repli national et à distendre la solidarité entre États, les forces eurosceptiques se réjouissent de ces doutes croissants envers les instances européennes. Certains pays, comme la Hongrie de Viktor Orban ou, plus récemment, la Pologne de Jaroslaw Kaczynski, avaient de longue date fait de l’érosion des principes fondateurs de l’UE, une trame essentielle de leur projet politique. Cette pandémie leur a donné des ailes. En perturbant l’équilibre des pouvoirs, en ciblant la société civile et en muselant les médias ; ils entendent déliter le socle commun sur lequel repose le projet européen.

Voici pourtant déjà une décennie que les défenseurs des droits alertent face aux dérives autoritaires du Premier ministre hongrois. Le changement de la constitution, la mise au pas du contrôle législatif et judiciaire n’y ont pas suffi. Les restrictions visant la presse et les universités ou encore l’infamante loi sur les ONG, qui transpose des mesures entérinées dans les pires dictatures du monde, ont bien soulevé quelques critiques de la Commission européenne ; et même la condamnation de la Cour de Justice de l’UE. Mais sans provoquer le sursaut attendu. Il aura fallu attendre l’émergence d’un autre pouvoir anti-européen en Pologne pour que s’engage un semblant de réaction politique.

Timide, l’Union européenne n’aura pourtant pas empêché que l’élève dépasse son maître. Le gouvernement polonais s’est attaqué aux institutions qui servent de garants à la protection des libertés individuelles. On déplore notamment la démission forcée de l’ombudsman (Médiateur pour les droits des citoyens), l’un des derniers contre-pouvoirs. L’accès déjà fragile à l’avortement et le droit sexuels et reproductifs des femmes polonaises s’est aussi restreint : les voix ultra-conservatrices l’ont emporté face aux libertés. Dernière offensive : la proposition de retrait de la Convention d’Istanbul, qui garantit la protection contre les violences sexistes. Avec une justice à sa botte, le pouvoir a réduit les standards de protection des droits humains. Tous ceux qui s’opposent à leur dessein – juges, médias, ONG, personnes vulnérables, et tous ceux qui contestent leur vision hétéronormative de la société – sont désormais ostracisés.

Le traité Européen dispose pourtant d’un traitement de choc : l’Article 7. pensé pour contrer les assauts les plus graves infligés par un État membre contre les principes fondateurs de l’Union, l’arme n’avait jamais été utilisée jusqu’en décembre 2017. La Commission l’active alors contre de la Pologne, s’investissant ainsi d’une responsabilité de sauvegarde des valeurs communes de l’Europe, avant de passer la main au Conseil. La Hongrie est finalement visée à son tour par une initiative du Parlement européen en septembre 2018. Mais les procédures restent au point mort : aucun des responsables politiques dissidents n’aura eu jusqu’ici à répondre du sabotage européen ni de leur démarche liberticide. Si bien qu’à la faveur de la crise sanitaire, de nombreux pays de l’Union, tant à l’Est qu’à l’Ouest, semblent lorgner vers ce modèle délétère.

Malgré le KO technique de 14 mois infligé par la crise sanitaire, il appartient désormais aux leaders de l’Europe fragilisée de réagir. L’Allemagne, vers laquelle se portaient tant d’attentes, a louvoyé. De nouvelles brèches contre l’état de droit gagnent désormais la Slovénie, qui reprendra la présidence européenne le 1er juillet. Mais le sortant portugais pourrait encore marquer le coup, en menant les auditions requises pour responsabiliser les gouvernements visés. Un exemple fort pour les successeurs, dont la France en 2022. Reste que ce courage ne peut reposer sur les seules présidences du Conseil : le respect des principes de l’UE n’est une option pour aucun de ses membres, et chacun doit y veiller. Seul un message fort de reconquête, envoyé aux peuples épuisés et menacés dans leurs droits et libertés, pourra reconsolider les fondations de l’Europe post-pandémique.

En ce 9 mai, 61 ans après la création du projet européen sur les cendres encore chaudes de la Seconde Guerre mondiale, les peuples du Vieux Continent sont en droit de rêver. D’espérer que les principes démocratiques d’égalité, de liberté, de dignité humaine et de respect des droits fondamentaux ne seront pas d’énièmes victimes de la pandémie. Ils sont en droit d’attendre que ces valeurs communes pour lesquelles tant se sont battus – et continuent de se battre – sortent renforcées de l’épreuve.

(Elena Crespi, Responsable du bureau Europe de l’ouest de la FIDH | Vitor Graça, Liga Portuguesa dos Direitos Humanos – Civitas)

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