Dans une Union européenne affaiblie avec des situations politiques extrêmement difficiles en France et en Allemagne, la Pologne tente d’affirmer son leadership. Redoutant des conditions de paix défavorables à l’Ukraine, le gouvernement de Donald Tusk multiplie les initiatives diplomatiques, alors que Varsovie prendra la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne le 1ᵉʳ janvier 2025.
A la différence de la France et de l’Allemagne, minées par l’instabilité politique, Varsovie dispose d’un gouvernement fort, issu des législatives d’octobre 2023, marquées par une participation record. La Pologne s’apprête, en outre, à prendre la présidence tournante du Conseil de l’UE, le 1er janvier 2025. Alors que le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 janvier 2025, ouvre grand la porte à l’inconnu sur l’issue du conflit en Ukraine, Varsovie se voit plus que jamais comme un trait d’union entre Bruxelles et Washington.
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I – La Pologne et ses initiatives internationales
L’initiative des Trois Mers, lancée en 2016, vise à assurer le développement économique de l’Europe centrale par la coopération dans les secteurs des transports, de l’énergie et de la numérisation. Il s’agit d’un outil de « soft power », à savoir d’influence économique et politique, pour le gouvernement polonais afin de renforcer son poids en Europe centrale.
Varsovie a également initié en 2020 le Triangle de Lublin entre la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine afin de dissuader l’activisme russe. Ce forum informel avait pour but de coordonner des actions en matière de sécurité et défense dans les trois pays. Il a aussi pour vocation de soutenir l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN.
Le conflit en Ukraine en 2022 a eu un impact négatif sur le rôle du Triangle qui devait initialement dissuader une attaque généralisée de la Russie en Ukraine. Néanmoins, celui-ci est toujours utilisé comme un forum de discussion informel. Il convient de noter que le Triangle a aussi une symbolique historique.
Il faut se rappeler que la Pologne et la Lituanie ont déjà été unies dans le passé, au sein de la république des Deux Nations, un État existant du 16e au XVIIIe siècle. Son territoire incluait une large part de l’Europe centrale, dont la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine actuelle. Cette utilisation de l’histoire dans les représentations politiques actuelles est à ne pas négliger.
II – Un poids croissant sur les politiques de l’Union européenne
C’est dans l’espace de défense européen que la Pologne a pris une place dominante. En 2024, avec une hausse de 4 %, c’est le pays qui devrait avoir les dépenses de défense les plus élevéesen pourcentage de son PIB au sein de l’OTAN. En comparaison, les États-Unis seraient à une hausse 3,38 % du PIB.
En 2023, Varsovie a initié une réforme de l’armée polonaise. L’objectif était de faire du pays la principale puissance militaire de l’Europe avec la plus grande armée de l’Union européenne. L’objectif : une armée active de 300 000 soldats d’ici 2035. Dans les estimations de l’OTAN pour 2024, les forces actives polonaises contiennent 216 000 soldats, ce qui en fait la troisième plus grande armée de l’OTAN après les États-Unis et la Turquie.
La Pologne est aujourd’hui suivie par la France (204 700) et l’Allemagne (185 600) tandis que jusqu’en 2022, l’armée polonaise était moins nombreuse que les armées française et allemande. Il s’agit d’un renversement notable.
La Pologne s’est également positionnée contre le MERCOSUR aux côtés de la France (voir la Pologne et la France affichent un front commun contre l’accord commercial) et tente de peser sur le budget 2025 (voir Politique de cohésion de l’UE : l’Allemagne et la Pologne plaident pour un rôle accru des gouvernements régionaux).
Plus récemment, pour répondre à l’ampleur du défi consistant à restaurer la compétitivité de l’UE, Marcin Korolec, ancien ministre polonais de l’Environnement, lors de la Conférence sur la sécurité énergétique en CEE à Varsovie, a présenté le Fonds européen de compétitivité de 237 milliards d’euros, appelé « IRA européen ».
III – La présidence polonaise de l’UE : une priorité affichée autour de la sécurité
By Jonathan Packroff | EURACTIV.com | translated by Sarah Chaumot

Dans un contexte géopolitique incertain, la sécurité sera au cœur de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne (UE), qui débutera en janvier. La thématique sera divisée en sept dimensions, a fait savoir le gouvernement de Varsovie.
À partir du 1er janvier, la Pologne succédera à la Hongrie à la tête du Conseil — où se réunissent les ministres des 27 États membres de l’UE — pour six mois. En juillet, ce sera au tour du Danemark de prendre le relais.
La présidence polonaise arrive à un « moment très spécial », a déclaré la sous-secrétaire d’État Magdalena Sobkowiak-Szarnecka aux journalistes vendredi 29 novembre, faisant référence à l’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne, au retour imminent de Donald Trump à la Maison-Blanche et aux élections législatives anticipées de février prochain en Allemagne.
Pour ces raisons, la sécurité sera le sujet « principal » qui façonnera les priorités de la présidence, a-t-elle ajouté.
Alors que la présidence hongroise restera dans les mémoires pour les initiatives diplomatiques maladroites du Premier ministre Viktor Orbán, la Pologne se concentrera quant à elle sur la « sécurité extérieure ».
« La première question est de savoir comment financer le “Bouclier de l’Est” [une initiative visant à sécuriser les frontières de l’UE face à la Russie et à la Biélorussie, NDLR] et aussi […] l’industrie de la défense. »
Le débat s’annonce épineux, car les États membres de l’UE sont toujours divisés sur la question de savoir si la situation actuelle justifie de nouveaux emprunts conjoints, des « euro-obligations » (eurobonds), pour financer des programmes de défense communs.
Par le passé, l’Allemagne s’est particulièrement opposée à de nouveaux emprunts communs, mais les élections anticipées prévues pour le 23 février prochain pourraient faire évoluer la position du pays sur la question.
Alors que le favori pour devenir le prochain chancelier, le conservateur Friedrich Merz (Union chrétienne-démocrate/CDU, Parti populaire européen), a été un fervent opposant aux emprunts communs, il a récemment fait preuve de flexibilité sur la règle du déficit national du pays et a déclaré qu’à long terme, il était prêt à discuter de « presque tout » lorsqu’il s’agit de dépenses en matière de défense.
Le nouveau commissaire européen à la Défense, Andrius Kubilius, a été chargé de présenter un livre blanc présentant différentes options de financement dans les 100 premiers jours de son mandat, qui a officiellement débuté dimanche 1er décembre.
Sept dimensions de la sécurité
Outre la sécurité extérieure, Varsovie examinera six autres « dimensions » de la question de la sécurité, à savoir la sécurité économique, énergétique, alimentaire, sanitaire, intérieure et de l’information, telle que la lutte contre la désinformation.
En ce qui concerne l’économie, « nous aurons des discussions sur le futur cadre financier pluriannuel (CFP) », a-t-elle déclaré. Alors que le prochain budget à long terme de l’UE ne débutera qu’en 2028, la Pologne organisera une conférence sur le sujet à Varsovie en février 2025 afin d’anticiper les discussions.
La Pologne a déjà uni ses forces à celles de l’Allemagne, de la France et d’autres États pour réclamer un lien plus étroit entre la politique de cohésion et les « réformes structurelles ». Elle cherche également à s’allier avec d’autres États membres de l’UE limitrophes de la Russie et de la Biélorussie.
Cependant, « la Commission nous a déjà dit que la proposition finale du budget sera sur la table pendant la présidence danoise », a-t-elle noté — c’est-à-dire pendant la seconde moitié de 2025.
Elle a déclaré que les législateurs devraient également chercher à identifier les règlementations « inutiles » afin de restaurer la compétitivité économique des entreprises européennes par rapport aux concurrents mondiaux. Elle a fait l’éloge de la proposition d’Ursula von der Leyen concernant un règlement « Omnibus » visant à réduire les obligations d’information des entreprises, l’une des premières initiatives de la nouvelle Commission européenne.
L’objectif était de ne pas imposer « trop de charges aux entrepreneurs », a expliqué la sous-secrétaire d’État.
Ensuite, pour assurer la « sécurité de l’approvisionnement alimentaire », il faut également prendre en compte la « sécurité climatique », a-t-elle confié, affirmant que les intérêts des agriculteurs et des activistes climatiques ne devraient pas être considérés comme opposés les uns aux autres.
« En fin de compte, l’objectif est le même : avoir de l’air frais, de l’eau propre et des aliments de bonne qualité », a-t-elle déclaré.
La semaine dernière, la Pologne a rejoint la France dans son opposition à l’accord commercial UE-Mercosur, arguant qu’il était injuste pour les agriculteurs européens que les importations ne respectent pas les mêmes normes environnementales.
En matière de santé, la Pologne souhaite que l’UE devienne « plus indépendante dans la production de médicaments », à l’instar de ses priorités en matière d’énergie, qui prévoient que l’UE « soit plus indépendante des sources d’énergie provenant de l’extérieur de l’UE » tout en poursuivant la transition énergétique.
« Alors que nous passons à des sources [d’énergie] vertes, il ne s’agit plus de savoir qui possède les ressources, mais plutôt qui possède la technologie », a déclaré Magdalena Sobkowiak-Czarnecka.
Donald Tusk et Roberta Metsola préparent la présidence polonaise de l’UE au retour de Donald Trump
La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, et le Premier ministre polonais, Donald Tusk, ont souligné l’importance de la force de la Pologne pour l’Europe, jeudi 5 décembre, lors d’une discussion en amont de la prochaine présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne (UE).
Les deux dirigeants ont reconnu que la Pologne assumera la présidence tournante du Conseil de l’UE pour six mois dans un moment difficile.
« Nous vivons une période d’avant-guerre. Nous sommes confrontés à une grande instabilité mondiale : les conflits en Ukraine, à Gaza, en Géorgie, en Syrie et en Corée du Sud, la crise parlementaire en France et en Allemagne, les conséquences difficiles à prévoir des changements à la Maison-Blanche, la prochaine élection dite présidentielle en Biélorussie — tout cela nous montre comment nous allons travailler ensemble pour une Europe sûre à un moment critique », a déclaré Donald Tusk (PO, PPE).
S’exprimant aux côtés de Roberta Metsola, le Premier ministre polonais a exprimé son espoir que « la présidence polonaise du Conseil de l’UE soit innovante, dans un sens positif ».
Il a par ailleurs rappelé que la présidence polonaise se concentrera sur la sécurité, mais a également mentionné l’énergie, la protection des différents groupes de citoyens de l’UE et la compétitivité équitable grâce à laquelle « l’Europe a une chance de gagner face à n’importe qui dans le monde ».
En ce qui concerne le commerce et la compétitivité, tout dépend de l’assurance de l’UE, a-t-il affirmé, ajoutant que l’Europe « doit être plus égoïste envers ses adversaires et plus solidaire à l’intérieur ».
Selon Roberta Metsola, « la Pologne est en pole position pour diriger le Conseil de l’UE au cours des six prochains mois en ce moment très critique ». La présidente du Parlement compte sur les compétences de Donald Tusk en tant que conciliateur, ce qui, selon elle, contribuera à établir un consensus au sein du Conseil.
« Nous voyons à quel point l’Europe a besoin d’un leadership européen. Lorsque nous parlons d’une “Pologne forte”, il ne s’agit pas d’un simple slogan. Une Pologne forte signifie qu’une Europe forte est réelle », a-t-elle affirmé plus tard, lors d’une discussion organisée par Polityka Insight.
Outre Roberta Metsola, la Conférence des présidents du Parlement européen, l’assemblée des chefs des groupes politiques, s’est rendue à Varsovie pour rencontrer des membres du gouvernement de Donald Tusk et discuter de la prochaine présidence.
« Nous sommes à un moment critique, nos démocraties et nos valeurs sont menacées. L’unité des forces pro-européennes et démocratiques est essentielle pour faire avancer les politiques dont notre Union a besoin », a écrit Iratxe García Pérez (présidente du groupe S&D) sur X à la suite de la réunion.
Alors qu’Iratxe García Pérez a déclaré qu’elle attendait de la présidence polonaise des résultats sur la transition juste, la justice sociale, le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal), le logement, la compétitivité et la croissance, la cheffe des libéraux au Parlement européen, l’eurodéputée française Valérie Hayer (Renew), a également mentionné l’État de droit et la défense.
Varsovie poursuivra sa politique migratoire stricte
Le Premier ministre polonais s’est engagé à travailler efficacement avec le Parlement européen au cours des six prochains mois, un travail qu’il a déclaré prendre « très au sérieux ». Il a également exprimé sa satisfaction quant au consensus général entre les groupes politiques sur les défis auxquels l’Europe est confrontée et les priorités pour l’avenir.
Il a toutefois souligné certaines divergences, reconnaissant que « tout le monde n’est pas impressionné » par les politiques migratoires de son gouvernement, y compris la suspension temporaire des droits d’asile. « Je sais que cela suscite des émotions chez certaines personnes, et cela a également été confirmé lors de la réunion d’aujourd’hui », a-t-il indiqué à la presse, sans préciser ce qui s’est dit à huis clos.
Il a cependant souligné que la Pologne n’avait pas l’intention de revenir sur son approche et a exprimé l’espoir de pouvoir convaincre ceux qui ne le sont pas.
« Je veux confirmer que la Pologne poursuivra certainement une politique stricte au niveau national, mais je pense aussi que je trouverai avec mes ministres de nombreux arguments pour convaincre tout le monde en Europe qu’une protection efficace des frontières contre l’immigration illégale, utilisée de manière instrumentale par des régimes tels que la Biélorussie et la Russie, est quelque chose de commun et que nous n’avons pas besoin de nous disputer à ce sujet », a ajouté le Premier ministre polonais.
Se préparer au protectionnisme de Donald Trump
Si Donald Tusk s’est bien gardé de citer nommément le futur président américain Donald Trump comme un défi pour l’Europe, Roberta Metsola a, elle, été plus directe.
« Nous avons tous suivi les élections américaines et leurs résultats en novembre. Le peuple américain a élu le président Trump, et je ne pense pas que nous devrions être surpris que son administration poursuive ses propres intérêts », a-t-elle affirmé lors de l’événement Polityka Insight.
« En toute honnêteté, les Européens élisent également leurs propres dirigeants, et ce que je peux vous dire, c’est que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour défendre les familles, les agriculteurs, les entreprises et les produits européens. C’est notre responsabilité et nous ne nous déroberons pas. Nous pouvons le faire d’une manière qui soit bénéfique pour tous », a-t-elle ajouté.
« Au lieu de faire de l’esbroufe dans des domaines où nous pouvons avoir des points de vue divergents, nous devrions promouvoir un partenariat plus fort en matière de défense, de commerce et d’affaires mondiales », a suggéré la présidente du Parlement européen.
« Mais cela signifie que nous devons commencer à agir plutôt qu’à réagir. Les guerres commerciales, avec l’augmentation des droits de douane et des droits de rétorsion, ne profitent à personne, mais signifient que nous devons être préparés et prêts à toute éventualité. Et c’est ainsi que j’espère que les États-Unis comprendront que “l’Amérique d’abord” ne peut se réaliser si [la doctrine] devient “l’Amérique exclusivement” », a-t-elle conclu.
IV – Des faiblesses à surmonter ?
Au plan politique, le pays est polarisé entre les centristes de la Coalition civique (KO) de l’actuel premier ministre Donald Tusk et le parti conservateur Droit et Justice (PiS) de l’ancien premier ministre Jarosław Kaczyński. Les deux s’accordent cependant pour faire de la Pologne une nouvelle puissance régionale capable d’affronter la Russie et de jouer un rôle dans les affaires européennes.
La principale faiblesse de la Pologne est sa dépendance vis-à-vis des subventions de l’Union européenne : le pays est, avec la Hongrie, le principal bénéficiaire du budget de l’Union européenne. Cette situation réduit sa capacité à mener des politiques de manière indépendante et montre que son économie est toujours dépendante de celles de l’Europe occidentale.

Il s’agira aussi de voir comment la future administration américaine influencera ce développement polonais. Le tournant plus isolationniste et moins favorable à l’aide à l’Ukraine des républicains américains — du moins ceux favorables à Donald Trump — est l’une des raisons du réarmement polonais qui pourrait s’accélérer en cas de victoire de ceux-ci, afin de compenser le risque d’une baisse de soutien militaire américain.
Une victoire de Kamala Harris et des démocrates serait une continuité des relations actuelles : un soutien politique des efforts de guerre polonais en faveur de l’Ukraine. Mais le réarmement polonais continuera même avec une victoire des démocrates, la Pologne cherchant à avoir une capacité militaire indépendante. Aussi bien pour les républicains que pour les démocrates, la Pologne restera un pays européen clé.