Pegasus : un an après, l’Europe piétine toujours – EURACTIV.fr

Un an après la révélation du scandale Pegasus, nombreux sont ceux qui estiment qu’il reste du chemin à parcourir pour ce qui est de la transparence, de la responsabilité et de la réglementation.

Une enquête menée par un collectif de 17 médias, sous la direction d’Amnesty International et de Forbidden Stories, a révélé le 18 juillet 2021 comment le logiciel espion a été vendu à des régimes autoritaires et a été utilisé pour cibler des militants, des hommes politiques et des journalistes. Rapidement, il est apparu que des gouvernements démocratiques avaient, eux aussi, utilisé Pegasus de manière illégitime.

Si l’utilisation de technologies de cyberespionnage n’est pas nouvelle, le scandale a alarmé toute l’Europe et a déclenché la création d’une commission d’enquête européenne sur Pegasus et d’autres logiciels espions.

Cependant, un an s’est écoulé depuis, et de nombreuses victimes, la société civile, les chercheurs et les politiciens sont mécontents du manque de progrès réalisés.

« Un an plus tard, le temps de l’indignation et de la condamnation est terminé. Il faut agir maintenant », a confié Kristina Hatas, chargée de plaidoyer à Amnesty International, à EURACTIV.

Ce que l’on sait de Pegasus

Parmi les principaux politiciens ciblés par le logiciel espion figurent le commissaire européen en charge de la Justice Didier Reynders, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez et le président français Emmanuel Macron.

Chaim Gelfand, un représentant de l’entreprise israélienne à l’origine de la technologie, NSO Group, a admis que la firme avait conclu des ventes avec au moins cinq États membres.

L’Office fédéral allemand de police criminelle a confirmé avoir acquis et déployé une version modifiée du logiciel Pegasus.

En France, en Finlande et en Belgique, l’utilisation de Pegasus a été « confirmée par la police scientifique », tandis qu’aux Pays-Bas, elle est qualifiée de « possible », indique une étude récente du Parlement européen.

Sophie in ‘t Veld, rapporteur de la commission Pegasus, a déclaré qu’il y avait des raisons de se pencher également sur la Grèce et son utilisation de logiciels espions.

Cependant, Pegasus n’est qu’un logiciel faisant partie d’un écosystème plus large de logiciels espions, a souligné Ben Wagner, professeur à l’Université de technologie de Delft. « Pegasus n’est que la partie émergée de l’iceberg », a-t-il affirmé.

« Nous devrions répertorier tous les fournisseurs — ils sont nombreux, mais ils sont très opaques, volontairement, et il est impossible de retracer qui fait quoi », a ajouté Mme in ‘t Veld.

Recommandations

M. Wagner a présenté de multiples recommandations politiques au comité Pegasus, dont l’une consiste à empêcher les gouvernements européens d’acheter cette technologie en établissant des tarifs élevés et en renforçant la transparence.

Il a également soulevé le fait que les victimes d’abus par des logiciels espions n’obtiennent ni réparation ni protection. Des tarifs douaniers ou des amendes pourraient être utilisés pour indemniser les victimes et protéger les personnes vulnérables.

Mme In ‘t Veld a également déclaré qu’un cadre juridique approprié est nécessaire car « actuellement, il est différent ou absent dans les États membres. Nous avons également besoin d’une meilleure surveillance ».

Comme le souligne le rapport 2022 sur l’État de droit, malgré les allégations liées à l’utilisation de Pegasus, aucune enquête n’a été lancée par le ministère public polonais.

Deux poids, deux mesures ?

Le comité Pegasus présentera les résultats de son enquête de douze mois au printemps 2023. Des missions en Israël, en Pologne, en Hongrie et aux États-Unis pour recueillir davantage d’informations ont été confirmées.

Cela a suscité un tollé du côté des Catalans, qui estiment que la décision de ne pas envoyer de mission en Espagne est la preuve que l’UE fait « deux poids, deux mesures » face aux différents pays touchés.

Erika Casajoana Daunert, représentante adjointe du gouvernement catalan auprès de l’UE, a confié à EURACTIV que les eurodéputés espagnols tels que Juan Antonio Zoido, qui est membre de la commission Pegasus, tentent d’entraver les enquêtes en Espagne, car cela pourrait déstabiliser encore plus le gouvernement.

M. Zoido a été le ministre espagnol de l’Intérieur entre 2016 et 2018. Le référendum sur l’indépendance de la Catalogne a eu lieu en 2017 et de nombreux partisans auraient été ciblés par Pegasus.

Le bureau de Mme In ‘t Veld a expliqué que la Pologne et la Hongrie ont été choisies pour faire l’objet d’une enquête car elles ont des problèmes plus importants liés à l’État de droit.

Conséquences possibles

Ce n’est pas la première fois que des recommandations sont formulées sur la manière de limiter les abus des techniques de cybersurveillance. Mais, à l’heure actuelle, la prise de mesures reste de la compétence des États membres.

Interrogée sur ses espoirs de changement cette fois-ci, Mme In ‘t Veld a souligné que « nous pouvons faire autant de bruit que possible. Nous ne pouvons pas discipliner complètement les États membres, mais nous ferons ce que nous pouvons ».

Dans une situation où l’on ne sait pas exactement quels pays utilisent des logiciels espions, sur qui exactement et pour quelles raisons, certains experts ont suggéré un moratoire sur l’utilisation de cette technologie.

« S’il faut maintenant attendre cinq ans de plus avant de se mettre d’accord sur des règles qui protègent les droits de l’homme de manière adéquate, il ne faut pas exporter davantage de logiciels espions dans l’intervalle », a déclaré Mme Hatas.

Les États-Unis ont déjà inscrit Pegasus sur une liste noire pour avoir « ciblé de manière malveillante » les téléphones de dissidents, de militants des droits de l’homme et d’autres personnes.

Cependant, il est peu probable que le Parlement européen soutienne une interdiction, estime Sophie In ’t Veld.

Au lieu de cela, l’Union européenne envisage actuellement de mettre en place un espace sécurisé situé au Conseil de l’UE pour protéger les discussions de haut niveau des espions.

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