
2 mai 2025
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Grain de sel
On se souvient en février dernier, dans le Bureau ovale, de la scène surréaliste : Zelensky, président d’un pays en guerre, venu chercher un soutien stratégique, s’est retrouvé publiquement ridiculisé par Trump, soucieux de ses rapports avec Poutine plus que de toute perspective de paix durable mais également préoccupé de son buzz personnel. Ce camouflet diplomatique s’est doublé, dans les coulisses, d’une proposition américaine difficilement défendable : un « accord » qui aurait contraint l’Ukraine à céder jusqu’à la moitié des revenus de ses ressources naturelles — même celles situées sur des territoires occupés — dans un fonds entièrement contrôlé par Washington, en remboursement d’une supposée aide militaire largement surestimée et qui est de fait, à peine suffisante pour tenir la ligne de front.
Un deal bancal, juridiquement discutable, et politiquement toxique.
Contre toute attente, Zelensky a réussi à renforcer sa position, voire à retourner la situation. Sans crier plus fort, mais en s’entourant de juristes aguerris et en faisant jouer la carte de la légalité et de la diplomatie silencieuse. Résultat : ce nouvel accord signé fin avril est plus équilibré: l’Ukraine conserve la main sur ses ressources, et la gestion du fonds est déclarée « conjointe ». Le texte reste perfectible, certes, mais il tranche nettement avec les exigences initiales de l’administration Trump.
Et l’Union européenne dans tout ça ? Spectatrice. Une fois de plus sur ce dossier, pourrait-on dire! L’occasion était pourtant idéale : l’humiliation de Zelensky aurait pu (du ?) ouvrir un espace pour une initiative européenne plus ambitieuse, voire un accord alternatif. Mais l’UE, prudente à l’excès, s’est contentée d’observer. On invoquera la complexité institutionnelle, ou la recherche du consensus. Reste que pendant que l’Ukraine négocie sa survie, l’Europe continue à se comporter comme si elle avait l’éternité devant elle.
Y compris sur les questions les plus urgentes, comme l’envoi de troupes pour sécuriser un cessez-le-feu lorsqu’il est visiblement ignoré sur le terrain. L’Europe avance, mais à petits pas, là où certains partenaires imposent leur tempo. L’Ukraine, elle, n’a pas ce luxe : elle joue sa survie. La capacité de l’UE à assumer sa force économique et diplomatique peut donc faire toute la différence.
Article: que contient l’accord sur les minéraux signé entre les États-Unis et l’Ukraine ? | Le Grand Continent
Mercredi 30 avril, les États-Unis et l’Ukraine ont, après des négociations et l’humiliation par Trump de Zelensky dans le bureau ovale fin février, signé un « Accord sur la création d’un fonds d’investissement pour la reconstruction entre les États-Unis et l’Ukraine ». Précédemment présenté comme un accord sur les minéraux ukrainiens, le texte signé va au-delà des seules terres rares, mais couvre également d’autres ressources comme le pétrole, le gaz naturel, l’or et le cuivre.
Malgré cet élargissement par rapport au cadre initialement fixé par l’administration Trump, la version signée de l’accord est beaucoup plus favorable à Kiev que les précédentes versions.
La dernière proposition américaine, élaborée fin mars, prévoyait la création d’un organisme de supervision composé de cinq membres, dont trois Américains, qui serait chargé d’un fonds d’investissement conjoint.
Le nouvel accord précise quant à lui que le fonds sera géré « conjointement », aucune des deux parties n’exerçant un rôle dominant.
- Le texte ne comporte aucun langage portant sur l’aide américaine perçue par Kiev depuis le lancement de l’invasion russe de 2022. Trump avait initialement exigé un « remboursement de 500 milliards » de dollars, avant d’abaisser ce montant à 300 puis à 100 milliards. Le Kiel Institute évalue le montant total de l’aide américaine à 114 milliards d’euros (soit environ 130 milliards de dollars).
- L’accord précise que Kiev conserve le contrôle sur l’exploitation des ressources, bien qu’il octroie aux États-Unis des droits préférentiels sur l’extraction minière. Celui-ci est également limité aux futurs projets, et ne concerne ainsi pas les activités d’extraction existantes. Pour certaines ressources, comme les terres rares, la construction de nouvelles mines pourrait prendre plus d’une décennie 1.
- Aucune garantie de sécurité pour l’Ukraine n’est explicitement mentionnée dans le texte, bien que celles-ci constituaient l’une des principales exigences de Kiev. L’administration Trump considère que la seule présence d’investissements américains dans le pays suffiront à « dissuader » la Russie de lancer de nouvelles attaques à l’avenir.
- Toutefois, l’Ukraine a obtenu que l’accord ne perturbe pas son processus d’adhésion à l’Union. Le texte comporte ainsi une clause précisant : « Si, après la signature du présent accord, l’Ukraine doit assumer des obligations supplémentaires liées à son adhésion à l’Union européenne qui pourraient avoir une incidence sur la présente disposition, les parties se consulteront et négocieront de bonne foi afin d’adopter les ajustements appropriés ».
- D’une manière assez surprenante, compte tenu de précédentes déclarations de Trump et de plusieurs membres de son administration, la Russie est implicitement désignée dans le texte comme étant l’État agresseur. L’Ukraine est quant à elle présentée comme contribuant au « renforcement de la paix et de la sécurité internationales ».
L’Ukraine dispose de l’un des sols les plus riches d’Europe en minéraux, métaux et ressources naturelles. Selon le gouvernement ukrainien, le pays a les premières réserves européennes de lithium et d’uranium et détient 25 des 34 matières premières reconnues en 2023 comme « critiques » par l’Union européenne.
- La valeur de ces ressources, dont seulement 15 % des gisements connus étaient exploités avant le lancement de l’invasion de 2022, est estimée par Kiev à 26 000 milliards de dollars.
- Toutefois, selon plusieurs estimations, environ la moitié de la valeur des ressources de l’Ukraine est actuellement sous contrôle de l’armée russe — dont une partie importante depuis 2014 —, soit environ 12 500 milliards de dollars de minéraux, charbon, pétrole et gaz naturel 2.
- Pour l’administration Trump, l’extraction de ces ressources cruciales pour la transition énergétique ainsi que la fabrication de composants utilisés dans les hautes technologies permettrait de réduire la dépendance des chaînes de production américaines vis-à-vis de Pékin.
La signature de l’accord, qui doit encore être ratifié par le parlement ukrainien le 8 mai, est largement décorrélée des discussions en cours portant sur la mise en place d’un cessez-le-feu. Le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, a toutefois déclaré que l’accord « donne au président Trump la possibilité de négocier avec la Russie sur une base encore plus solide » 3. Moscou n’a pas officiellement réagi à la signature de l’accord, mais le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré le jour de la signature : « Les causes profondes de la crise ukrainienne sont trop complexes pour être résolues du jour au lendemain […] Il y a de nombreuses nuances à prendre en compte » 4.
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