Exercice de sourcing des amendements à l’Assemblée Nationale

Article d’ Fabrice Alexandre @Falexsedlex du cabinet Communication & Institutions @com_inst auquel j’ajoute mon Grain de sel

Le Grain de sel VDB : Fabrice Alexandre du cabinet Communication & Institutions a testé le processus d’élaboration de la loi contre le gaspillage et pour l’économie circulaire. Cette loi comporte des obligations de modifier des processus installés et a des conséquences économiques et financières…Donc elle a généré des actions d’influence – Bref du #Lobbying. Pouvoir sourcer en toute TRANSPARENCE l’origine des amendements donc des influences potentielles est donc tout particulièrement intéressant. Fabrice s’est livré à l’exercice
Selon moi, la culture de transparence reste insuffisante en France: On a encore un problème culturel en France avec le jeu du lobbying, les processus de consultation, la traçabilité des influences… Bref le processus démocratique de construction d’une loi ou d’une décision. Et j’ajouterai dans mon grain de sel que c’est pour beaucoup une question de génération. Le texte est là, mais la pratique peine encore. C’est ce que j’aborde dans le Chapitre 2 – Le lobbying, exercice à réguler de mon dernier ouvrage : Du lobbying au e-Lobbying paru chez Larcier. Alors merci à Fabrice de cet article fort intéressant qui nourrit l’analyse.
NB Le président actuel de l’ @AFCL @Nicolas Bouvier s’exprime utilement dans le livre sur la déontologie des lobbyistes alors que cet article en miroir évoque les pratiques de nos élus, garants de la démocratie

Le 9 octobre dernier, 322 députés de la majorité ont signé une tribune dans Le Monde, annonçant la généralisation du « sourcing » de leurs amendements ; il s’agit d’exprimer « l’origine de l’amendement porté par un parlementaire lorsque celui-ci a été proposé par un représentant d’intérêts », autrement dit un lobby, quel qu’il soit. Cette pratique, déjà initiée individuellement par certains députés de la majorité et de l’opposition, s’inscrit dans le cadre d’une démarche volontaire. En effet, toute obligation en la matière porterait atteinte à la liberté individuelle du mandat de chaque parlementaire, affirmée par l’article 27 de la Constitution : « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». Parmi les textes examinés au Parlement cet automne, le projet de loi contre le gaspillage et pour l’économie circulaire a permis de passer aux travaux pratiques. La ministre Brune Poirson a ainsi affirmé faire face à « de gros lobbies » et à un monde « très opaque » dans son combat pour la consigne. En réalité, le texte a mobilisé les représentants d’intérêts de tous bords : ONG, entreprises, associations, fédérations professionnelles parfois opposées entre elles, think tanks, acteurs de l’économie sociale et solidaire… tous lobbyistes !

C’est donc l’occasion d’un premier bilan de la pratique du sourcing : aujourd’hui, qui source qui ? L’équipe de Communication & Institutions s’est penchée sur les travaux de l’Assemblée nationale en commission du développement durable et en séance publique, où les tendances observées sont très similaires. N’ont pas été pris en compte les amendements irrecevables ou retirés avant publication, ni les dix amendements du Gouvernement.

Première observation : un amendement sur dix a été explicitement sourcé dans son exposé des motifs. S’inspirer d’idées proposées par des représentants d’intérêts est donc une pratique courante.

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Deuxième observation, tous les amendements inspirés par des représentants d’intérêts n’ont pas été sourcés : d’abord, parce certains amendements déposés dont nous connaissons parfaitement la source ne sont pas sourcés ; ensuite, parce que de très nombreux cas d’amendements identiques (deux amendements ou plus) ont été relevés : a priori, il ne s’agit pas de télépathie ! A noter également que les rapporteurs sourcent très peu, et le Gouvernement pas.

Troisième observation : les associations et ONG trustent le podium des représentants d’intérêts les plus fréquemment sourcés, loin devant les entreprises et fédérations professionnelles. 

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Voilà qui tord le coup à l’idée reçue selon laquelle seules les entreprises riches de gros moyens financiers et humains peuvent faire du lobbying et se faire entendre. Cette tendance se retrouve aussi dans le nombre d’amendements sourcés adoptés. En revanche, cela peut aussi laisser entendre qu’il est plus facile pour un député d’assumer publiquement un amendement inspiré par une association qu’un amendement soufflé par un industriel…

Quatrième observation : les députés des deux groupes majoritaires signataires de la tribune du Monde ont effectivement déposé le plus grand nombre d’amendements sourcés ; mais les députés des groupes Libertés et Territoires, La France Insoumise et Socialistes ont sourcé une part plus importante des amendements qu’ils ont déposés, de même que la députée non inscrite Delphine Batho.

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Enfin, sur 656 amendements adoptés, 29 étaient sourcés, soit 4,4%. Ce chiffre est à rapprocher du taux de réussite général des amendements déposés, qui est de 17% (656 sur 3878 recevables) mais comprend aussi de nombreux amendements purement rédactionnels.

En résumé :

  • la pratique du sourcing a gagné du terrain pendant les débats sur le projet de loi contre le gaspillage et pour l’économie circulaire ;
  • les ONG sont nettement en tête des représentants d’intérêts cités et assument clairement leur lobbying ; les raisons tiennent sans doute au sujet du texte, mais peut-être aussi au fait qu’il est plus facile pour un député de sourcer une ONG qu’un industriel…
  • l’influence des différents représentants d’intérêts mobilisés sur ces débats ne peut pas se mesurer seulement au nombre d’amendements sourcés ; non seulement parce que certains ne sont pas sourcés, mais aussi parce que d’autres sont le fruit de compromis entre plusieurs sources d’inspiration ;
  • il sera intéressant de suivre, dans la durée, l’évolution de ces tendances dans d’autres textes consacrés à d’autres sujets ; en effet, il s’agit d’un processus évolutif dont l’objectif affiché est de contribuer à modifier les pratiques des parlementaires, et le projet de loi sur l’économie circulaire était particulièrement propice à la mobilisation des associations et ONG.