Depuis lundi, un groupe d’États est réuni à Genève pour travailler sur un traité international contraignant pour les multinationales sur les droits humains. De nouveaux rapports d’ONG comme celui d’Oxfam ou de Solidar Suisse montrent en effet que les pratiques de travail forcé et plus largement de violations des droits des travailleurs ont encore cours dans les plantations de thé ou d’huile de palme en Asie et de fruits exotiques en Amérique du Sud. Des produits qui alimentent les étals des supermarchés des pays occidentaux.
S’il voyait le jour, il serait le premier traité à valeur contraignante. Depuis lundi 14 octobre et toute la semaine, un groupe d’États travaille, sous l’égide de l’ONU, à une ébauche de traité contraignant les multinationales à respecter les droits humains sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, à l’image du devoir de vigilance instauré en France en 2017.
En amont de cette session de négociations, plus de 80 actions ont été organisées le week-end dernier en France, visant Amazon, BNP-Paribas et Total. Elles s’inscrivent dans le cadre de la « semaine internationale d’actions contre l’impunité des multinationales » afin de pousser les États à aboutir à un texte contraignant. Une pétition en ligne a également été signée par plus de 650 000 personnes et espère atteindre le million en fin d’année.
« Aucun traité ne contraint les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement alors que 3 400 traités de commerce et d’investissement protègent leurs intérêts par le biais des tribunaux d’arbitrage » dénonce ainsi le CCFD-Terre Solidaire qui a multiplié les mobilisations pour dénoncer « la justice à la carte qui protège les entreprises multinationales ».
« La souffrance humaine et la pauvreté, les ingrédients de notre nourriture »
Car sur le terrain, la situation des travailleurs évolue lentement. Oxfam vient de publier un nouveau rapport (1) pointant du doigt la pression exercée par la grande distribution sur les travailleurs afin de baisser les coûts de production, réduire les salaires et maximiser les profits. Que ce soit en Caroline du Nord, aux États-Unis, au Brésil ou en Inde, les travailleurs interrogés racontent tous le même quotidien : des journées de 14h, pour des salaires de misère dans des conditions de travail indécentes, voire dangereuses.
L’ONG a calculé que sur le marché indien, 7 % de la valeur d’une boite de thé revenait à la main d’œuvre contre 60 % pour la grande distribution et les marques de thé. En Allemagne ou aux États-Unis, seulement 1 % du prix facturé revient aux travailleurs. « Nous ne pouvons accepter que la souffrance humaine et la pauvreté soient des ingrédients de la nourriture que nous consommons », déclare Caroline Avan, porte-parole d’Oxfam France.
Dans les plantations de thé de l’Assam, en Inde, la plupart des travailleurs n’ont pas accès à l’eau potable, si bien que les maladies comme le choléra et la typhoïde sont courantes. Au Brésil, troisième plus grand producteur de fruits dans le monde, les travailleurs saisonniers ont signalé de mauvais traitements, des conditions de pauvreté et une forte exposition aux pesticides dans les exploitations.
Une directive européenne en réflexion
La production d’huile de palme, contenue dans un produit sur six vendus dans nos supermarchés, est également dénoncée. Outre ses impacts écologiques, elle est aussi à l’origine de conditions de travail catastrophiques, notamment dans la région de Sabah en Malaisie, où l’ONG Solidar Suisse a enquêté (2), et qui est à l’origine de 9 % de l’huile de palme consommée dans le monde. Sur place, la main d’œuvre est majoritairement constituée de migrants clandestins et d’enfants, dans des conditions qui relèvent du travail forcé.
Outre le travail de plaidoyer mené auprès de l’ONU, une coalition de 80 ONG et syndicats ont également lancé, début octobre, un appel en faveur d’une directive européenne sur le devoir de vigilance des multinationales sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement.
Dans ce contexte, la Commission européenne a mandaté une enquête auprès des associations, des syndicats et des organisations professionnelles afin de voir quelle forme pourrait prendre cette directive. « Son adoption dans les trois ans qui viennent est donc très fortement possible », estime le CCFD-Terre solidaire.