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Les procès intentés par des investisseurs contre des États se multiplient au niveau mondial, menaçant les lois sur la protection du climat, selon les défenseurs de l’environnement. L’UE tente d’établir son propre système de règlement des conflits. Un article d’Euractiv Allemagne.
Il n’est pas rare que les entreprises poursuivent les gouvernements en justice. Selon des chiffres de l’ONU, 117 États dans le monde sont actuellement traînés devant les tribunaux pour avoir prétendument mis en danger des investissements privés.
Afin d’éviter d’éventuels litiges, les gouvernements préfèrent souvent atténuer l’impact des lois environnementales qu’ils envisagent.
C’est notamment le cas de la France, qui a assoupli ses lois de protection du climat visant à réduire la production de gaz naturel et de pétrole à la suite d’une menace de poursuite judiciaire de la société canadienne Vermilion. L’entreprise Uniper prépare actuellement une action en justice contre les Pays-Bas qui ont planifié l’abandon du charbon. Et depuis 2012, Vattenfall poursuit l’Allemagne pour son retrait progressif du nucléaire, avec des indemnités et des frais juridiques s’élevant à plus de 6 milliards d’euros.
Pour Bettina Müller de l’ONG berlinoise PowerShift, le droit des investisseurs de poursuivre les États en justice constitue un « poison pour la lutte contre le changement climatique ».
Les défenseurs de l’environnement ne sont pas les seuls à mener cette bataille. Même l’ONU émet des réserves sur les clauses de protection des investisseurs, affirmant qu’elles affaiblissent les lois sur la protection du climat.
Au cours de l’été 2015, alors qu’un pacte commercial était en cours de négociation entre l’UE et les États-Unis, un groupe d’experts des Nations unies a écrit une lettre ouverte au Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme pour mettre en garde contre les « effets paralysants » des clauses de protection des investisseurs contenues dans des projets tels que le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) entre l’UE et les États-Unis.
« Les chapitres du règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) sont anormaux en ce sens qu’ils protègent les investisseurs, mais pas les États ni la population. Ils permettent aux investisseurs de poursuivre les États mais pas l’inverse », écrivent les signataires.
« Il doit y avoir un juste équilibre entre la protection accordée aux investisseurs et la responsabilité des États de protéger toutes les personnes relevant de leur juridiction », précise la lettre. Ce qui inclut notamment les règlements sur la protection de l’environnement, la sécurité alimentaire et l’accès aux médicaments génériques et indispensables, qui pourraient pâtir des accords commerciaux assurant une protection juridique aux investisseurs privés.
« Les tribunaux d’arbitrage devraient pouvoir être soumis à l’examen public et leurs sentences doivent pouvoir faire l’objet d’un appel devant la Cour internationale de Justice ou une future Cour internationale de l’investissement qui n’a pas encore été créée et qui fonctionnerait de manière transparente et responsable », poursuivent-ils.
Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure les menaces de différends juridiques ont incité les gouvernements à modifier les projets de propositions législatives. Un rapport de l’ONU publié en mai démontre cependant que le nombre de poursuites a fortement augmenté depuis les années 1990.
On dénombre 983 cas de ce type dans le monde, et ce nombre a décuplé depuis le début du millénaire. L’Espagne compte 50 cas à son actif, se classant deuxième après l’Argentine. Au sein de l’UE, la République tchèque arrive en deuxième position après l’Espagne, avec 38 affaires en cours.
Quand les poursuites judiciaires deviennent un fonds de commerce
Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) sont inscrits dans des accords bilatéraux visant à protéger les entreprises étrangères, conformément aux règles de la Banque mondiale et de la CNUCED.
Ces mécanismes permettent aux investisseurs de demander une indemnisation au cas où leurs bénéfices seraient moins importants que prévu en raison de changements soudains de la législation nationale. Les affaires sont tranchées par un tribunal arbitral privé composé de trois juges équitablement désignés par le pays et la société.
Cependant, cela fait des années que ce système fait l’objet de critiques, car les arbitres ne sont pas neutres et les négociations ne sont pas rendues publiques. Et surtout, les clauses du RDIE sont formulées de manière beaucoup trop vague, déplore Bettina Müller.
« Le RDIE donne aux investisseurs des droits exclusifs de poursuite auprès des tribunaux nationaux, auxquels les autres n’ont pas accès. Un État ou quelqu’un dont les droits de l’homme ont été violés ne peut pas compter sur ces tribunaux d’arbitrage », poursuit-elle.
Le nombre croissant d’actions en justice montre que le système est devenu depuis longtemps un fonds de commerce pour les entreprises et les fonds spéculatifs.
« Les plaignants espèrent d’énormes profits. Car dans le cadre de ces procédures, les sociétés exigent non seulement le remboursement de leurs investissements, mais aussi souvent des compensations pour des bénéfices non réalisés. Et celles-ci peuvent être beaucoup plus élevées », ajoute Bettina Müller.
Dans la plupart des cas, les tribunaux d’arbitrage statuent en faveur des investisseurs. Selon les chiffres de l’ONU, environ 70 % des jugements rendus en 2018 étaient favorables aux entreprises. Au cours des 30 dernières années, 23 % des cas en moyenne ont fait l’objet d’un règlement entre les deux parties. Selon Bettina Müller, cela signifiait souvent que l’État indemnisait l’entreprise ou affaiblissait, voire retirait, la législation proposée.
L’UE prévoit de créer son propre tribunal permanent
La Commission européenne souhaite mettre en place sa propre Cour multilatérale d’investissement (MIC) pour rendre le système plus équitable. Elle a déjà présenté un document de réflexion à l’organe compétent de l’ONU.
Le tribunal proposé serait un organisme d’arbitrage permanent et indépendant qui ne serait pas convoqué individuellement par les demandeurs, comme dans le système RDIE. Les accords de libre-échange de l’UE avec le Canada, le Vietnam, Singapour et le Mexique présentent déjà les caractéristiques du modèle précédent du MIC.
Cecilia Malmström, commissaire européenne sortante chargée du commerce, espère que cela rendra les tribunaux plus indépendants.
« Seul un groupe permanent d’experts à plein temps peut venir à bout des effets potentiellement pervers du système actuel », a-t-elle souligné. Le MIC proposé devrait également permettre la consultation des syndicats et des ONG, contrairement à la pratique en vigueur.
Mais nombreux sont ceux qui estiment qu’on est encore loin du compte. Depuis 2019, une alliance de 200 organisations européennes, syndicats et mouvements sociaux ont fait campagne pour l’abolition complète des droits des entreprises à traîner les États en justice, également dans le cadre du MIC. Ils ont lancé un appel intitulé : « Protéger les droits de l’homme – arrêter les actions des entreprises ».
Selon la demande de l’alliance, les entreprises devraient limiter leurs actions aux tribunaux nationaux accessibles à tous. Selon Bettina Müller, le MIC apporte certaines améliorations, mais il « ne change pas la structure injuste et unilatérale du système ».
Jusqu’à présent, le MIC, ainsi que son modèle précédent, n’existent que sur le papier. Car les États membres n’ont pas encore tous ratifié les chapitres relatifs à la protection des investissements dans les nouveaux accords commerciaux de l’UE.
Mais depuis que le Conseil de l’UE a donné son feu vert en mars de l’année dernière, la proposition de Bruxelles et la réforme du système RDIE en général continuent d’être débattues devant l’ONU.
Pendant ce temps, les poursuites judiciaires continuent de s’amonceler. En septembre, l’Allemagne a une nouvelle fois été appelée à comparaître devant un tribunal d’arbitrage. Cette fois-ci, il s’agissait d’une affaire contre l’entreprise autrichienne de construction et d’énergie Strabag, qui poursuit l’Allemagne pour avoir amendé sa loi sur les sources d’énergie renouvelables.
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