Environnement : comment fonctionne le marché du carbone européen ?

Le prix de la tonne de CO2 a augmenté depuis l'instauration du marché carbone européen
Le prix de la tonne de CO2 a augmenté depuis l’instauration du marché carbone européen – Crédits : Petmal / iStock

L’Union européenne a pour objectif d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. A cette date, un équilibre devra avoir été trouvé entre les émissions de gaz à effet de serre émises et leur absorption dans des puits de carbone naturels (sols, océans…) ou artificiels. Ce qui suppose de réduire l’empreinte carbone des activités économiques.

Un des outils principaux de cette politique au niveau européen consiste en la mise en place, dès 2005, d’un système européen d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQE). Le principe ? Fixer un prix du carbone suffisamment haut pour inciter les plus grandes entreprises à en émettre moins.

En quoi consiste le marché du carbone ?

Chaque année, les entreprises ont un plafond d’émissions de gaz à effet de serre. Un certain nombre de “droits à polluer” gratuits leur sont par ailleurs alloués. Si les entreprises dépassent le plafond prévu, elles doivent acheter des quotas supplémentaires, soit aux enchères sur des plateformes qui opèrent pour le compte des Etats, soit auprès d’autres sociétés, celles qui auraient suffisamment réduit leurs émissions. Ces dernières peuvent aussi décider de conserver ces quotas supplémentaires pour l’année suivante.

Le prix des quotas est déterminé par la loi de l’offre et de la demande. Il augmente ainsi quand ces droits sont fortement demandés, ou lorsque l’UE réduit le plafond. Cette dernière baisse en effet à échéances régulières le nombre de quotas disponibles sur le marché pour diminuer l’offre, et par conséquent faire grimper le prix de la tonne de carbone. De quoi toujours plus inciter les entreprises à réduire leurs émissions. Les sociétés qui n’auraient pas acquis assez de quotas par rapport au niveau de leurs émissions de gaz à effet de serre encourent une amende dans l’Etat participant au SEQE, d’un montant de 100 euros par tonne de CO2 excédentaire.

A ce stade, le marché du carbone européen couvre environ 36 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Ces règles s’appliquent au dioxyde de carbone (CO2) émis par les centrales produisant de l’électricité et de la chaleur et par les principales industries (sidérurgie, verre, raffineries de pétrole, chimie, cimenteries…) d’une puissance supérieure à 20 mégawatts (MW). Cela représente environ 10 400 usines ou centrales. Elles concernent également l’aviation commerciale pour les vols intra-européens. Plus de 350 exploitants aériens sont ainsi régis par le SEQE. Dans une moindre mesure, le protoxyde d’azote (N2O) émis dans la production d’acides et les perfluorocarbures provenant de la production d’aluminium sont également couverts.

Le mécanisme s’applique non seulement sur le territoire de tous les Etats membres de l’Union européenne, mais également en Islande, au Liechtenstein et en Norvège.

Combien coûte une tonne de CO2 ?

Le prix moyen d’un quota – correspondant à une tonne de CO2 ou d’équivalent CO2 pour les autres gaz – est passé de 37,45 euros en février 2021 à près de 80 euros en décembre 2022. Dans le secteur de l’aviation, qui nécessite des quotas différents, la facture est moins élevée : un peu plus de 60 euros en novembre 2021. Conformément aux objectifs du marché du carbone, ce coût a fortement augmenté sur le long terme : en janvier 2014, un acquéreur pouvait acheter un quota de CO2 pour moins de 5 euros en moyenne.

Au total, les revenus cumulés des enchères s’élèvent à 83,5 milliards d’euros entre 2012 et mi-2021, dont 19 milliards en 2020, selon un rapport de la Commission européenne. Une hausse progressive des recettes du marché du carbone liées à l’évolution du prix des quotas. En 2021, la France a perçu chaque mois entre 83 millions d’euros (août) et 168 millions (juin). Les Etats membres qui touchent ces revenus doivent utiliser au moins 50 % des montants à des mesures liées au climat et à l’énergie (100 % pour les quotas liés à l’aviation).

Après la crise économique de 2008 et la baisse de la production, la demande de quotas a chuté et le plafond annuel s’est trouvé trop élevé pour réduire suffisamment les émissions, en conduisant à un prix faible de la tonne de CO2. Une situation qui ne permettait pas d’inciter les entreprises à investir dans des technologies moins polluantes. Pour faire monter ces prix, l’Union européenne a donc décidé de retirer du marché les quotas excédentaires : une réserve de stabilité du marché (MSR pour Market Stability Reserve), lancée en janvier 2019, a permis de retirer 354 millions de quotas sur près d’1,7 milliard en 2020. Entre septembre 2021 et août 2022, près de 380 millions de quotas sont placés dans cette réserve.

Lancé en 2005, le marché du carbone européen a connu plusieurs évolutions.

Tous les ans, le plafond annuel de quotas est diminué afin d’atteindre les objectifs environnementaux européens. Il était d’environ 2 300 mégatonnes (Mt) par an entre 2005 et 2007 puis de 2 100 Mt entre 2008 et 2013.

Quelles évolutions va connaître le marché du carbone européen ?

Après de longues discussions, les équipes de négociations du Parlement et du Conseil ont trouvé un accord dans la nuit du 17 au 18 décembre 2022 pour réformer ce marché du carbone. Il porte l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre des secteurs du SEQE à 62 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Il y aurait donc deux diminutions du nombre total de quotas : – 90 millions en 2024 et – 27 millions en 2026.

Le texte doit maintenant être formellement adopté par les eurodéputés et les Etats membres (Conseil de l’UE). Une fois le texte adopté, les installations d’incinération des déchets municipaux seront couverts par le marché carbone à partir de 2028. Tout comme le transport maritime, avec une période de transition entre 2025 et 2027 (incluant les émissions de méthane et de protoxyde d’azote dès 2026). 

En parallèle, l’Union européenne pourrait créer un deuxième marché du carbone, spécifique au chauffage des bâtiments et au transport routier. Le prix sur ce second système, lancé en 2027, ne pourra toutefois pas dépasser les 45 euros par tonne de CO2 au moins jusqu’en 2030. Un nouveau Fonds social pour le climat, doté de 86,7 milliards d’euros, doit aider les entreprises et les ménages vulnérables à isoler leurs logements ou encore à se déplacer en polluant moins.

La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (ou “taxe carbone”) est l’autre grande nouveauté qui découle de l’accord entre les eurodéputés et les Etats membres de mi-décembre. A travers cet instrument, l’UE veut lutter contre les “fuites de carbone”, c’est-à-dire la pollution exportée (avec les délocalisations) puis importée sur le territoire européen. Elle entend faire payer un surcoût pour les importations, vers l’Union, de biens dont la production émet des gaz à effet de serre. Or cette future “taxe carbone” aux frontières du marché européen serait alors liée au prix du carbone fixé en son sein. L’UE souhaite donc que les quotas gratuits portant sur les secteurs concernés disparaissent progressivement de son marché intérieur, notamment pour éviter que les entreprises européennes opèrent une concurrence déloyale envers celles produisant hors du Vieux Continent. Ces quotas gratuits devraient finalement être supprimés très progressivement à partir de 2026, jusqu’à totalement disparaître en 2034.

Dans le cadre du Pacte vert, la Commission européenne avait fait sa proposition de réforme en juillet 2021.

Comment se sont déroulées les négociations sur la réforme du marché du carbone européen ?

L’initiative, présentée en juillet 2021 par la Commission européenne, avait reçu un accueil plutôt froid du côté des Etats membres et du Parlement européen. L’extension du marché carbone aux secteurs du transport routier et du chauffage devrait conduire à l’augmentation des prix à la pompe ou de la facture d’énergie des ménages. De quoi faire craindre un “effet Gilets jaunes” aux Vingt-Sept, même si l’exécutif européen avait aussi proposé en parallèle ce fameux Fonds social pour le climat afin d’aider les Européens les plus fragiles à encaisser le choc.

Les ministres de l’Environnement ont finalement réussi à trouver un compromis dans la nuit du 28 au 29 juin 2022. Ils visaient une réduction des émissions de 61 % d’ici 2030 par rapport à 2005 dans les secteurs couverts par le SEQE. Les Etats membres acceptaient en outre d’inclure le transport maritime dans le champ d’application du marché carbone et d’en créer un nouveau pour les bâtiments et le transport routier (avec un an de plus que ce que prévoyait la Commission, faisant démarrer les enchères en 2027).

Parmi les questions en débat figurait aussi celle de la disparition totale des quotas gratuits, dans le cadre du projet de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Lors d’un premier vote en session plénière au Parlement européen le 8 juin 2022, qui a donné lieu à une séance mouvementée, les eurodéputés ont désapprouvé la réforme du marché du carbone. D’un côté, un vote défavorable des Verts et de la gauche, pour lesquels le texte n’allait pas assez loin compte tenu de l’urgence climatique. La cause de ce mécontentement ? Les conservateurs du PPE avaient réussi à repousser la fin des quotas gratuits à fin 2034, là où la commission Environnement du Parlement tablait sur une disparition de ces droits en 2030. A l’autre bout de l’échiquier politique, les souverainistes et l’extrême droite ont également voté contre car ils jugeaient le projet trop ambitieux. Un texte de compromis est finalement repassé devant les eurodéputés le mercredi 22 juin 2022. Ces derniers ont approuvé une réforme comportant notamment un objectif de réduction des gaz à effet de serre de 63 % à l’horizon 2030 par rapport aux niveaux de 2005 (pour les secteurs couverts par le système) ainsi que la fin des quotas gratuits à l’horizon 2032.

Finalement (voir plus haut), les équipes de négociations du Parlement et du Conseil ont donc trouvé un accord sur un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre des secteurs du SEQE à 62 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005 et sur une diminution progressive des quotas gratuits jusqu’à totalement disparaître en 2034. 

Quels sont les autres marchés carbone dans le monde ?

Si l’Union européenne est la première à avoir mis en place un système d’échange de quotas d’émissions, elle n’est pas la seule. La Chine a par exemple lancé son propre système en 2021, couvrant ses centrales thermiques. Certains Etats des Etats-Unis, le Canada, la Corée du Sud ou encore l’Uruguay ont des marchés de ce type.

Selon l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), “l’ensemble des juridictions mettant en œuvre un prix du carbone représente environ 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES)”. Un chiffre qui intègre également les taxes sur les émissions, qui ne sont pas des marchés à proprement parler. Pour autant, en prenant en compte les exonérations en place dans ces différents pays, “seules 20 % des émissions anthropiques de GES sont couvertes par un prix du carbone”, précisent les chercheurs.

Le Brexit a également entraîné des conséquences sur le marché du carbone européen. Après son départ de l’UE, le Royaume-Uni s’est doté de son propre système en janvier 2021. Un certain nombre de dispositions ont toutefois été prises dans le cadre de l’accord de commerce et de coopération régissant les relations entre les deux parties, signé en décembre 2020. Ce compromis dispose par exemple que les vols au départ de l’Espace économique européen et à destination du Royaume-Uni doivent être inclus dans le marché du carbone de l’UE dans les deux ans suivant l’accord. Les installations situées en Irlande du Nord demeurent par ailleurs dans le SEQE européen. Enfin, l’accord de commerce et de coopération ouvre la voie à une association des deux systèmes. Cela ne serait pas une nouveauté : en janvier 2020, les marchés du carbone européen et suisse ont été reliés. Cela signifie que les quotas sont utilisables dans l’un ou l’autre de ces systèmes.

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