[Fact-checking] 80 km/h : une limitation de vitesse inutile ?

[ad_1]


Actualité


03.04.2019

Marie Guitton

Limiter la vitesse à 80 km/h sur certaines routes est-il justifié ? Pourquoi y a-t-il moins de morts en Allemagne, où l’on roule plus vite qu’en France ? La dégradation des radars a-t-elle eu un impact sur les derniers chiffres de la sécurité routière ? Quels sont les autres facteurs de risque au volant ?

Crédits : Nicolas Duprey, département des Yvelines / Flickr

Crédits : Nicolas Duprey, département des Yvelines / Flickr

Finira-t-on par enlever les panneaux « 80 km/h » installés en juillet 2018 sur certaines routes de France ? Dans le sillage de la contestation des Gilets jaunes, le Sénat a adopté un amendement le 26 mars 2019 qui pourrait permettre aux départements et aux préfets de relever les limitations de vitesse sur leurs routes départementales et nationales.

Rien n’est encore fait. Pour voir le jour, cet amendement doit encore être adopté par l’Assemblée nationale, qui l’étudiera avant l’été.

Mais l’association « 40 millions d’automobilistes » se félicite déjà de ce vote. « Il est temps que le Premier ministre admette qu’il a fait fausse route, que l’abaissement généralisé de la limitation de vitesse ne permet pas d’améliorer la sécurité des usagers« , écrit-elle dans un communiqué, en citant les derniers chiffres – mauvais – de la mortalité sur les routes.

Le gouvernement, de son côté, souhaite se donner deux ans avant de pouvoir évaluer l’impact réel de la mesure. Et pour l’heure, il estime que les chiffres vont plutôt dans son sens…

 

En France, on roule moins vite que dans les autres pays de l’UE :
PLUTÔT FAUX

80 km/h ? C’est loin d’être une première en Europe !

Depuis le 1er juillet 2018, la France a posé ces nouveaux panneaux sur les routes à double sens, situées en dehors des agglomérations, avec une seule voie de chaque côté et sans séparateur central.

Or dans l’Union européenne, selon la Commission européenne, plusieurs pays ont déjà limité la vitesse à 80 km/h… sur toutes leurs routes non urbaines. C’est le cas du Danemark, de la Finlande, des Pays-Bas ou encore de Chypre et Malte.

La Suède et la région flamande de Belgique ont, quant à elles, limité les compteurs à 70 km/h. Dans le pays nordique, il est même interdit de dépasser les 110 km/h sur l’autoroute ! 

Les limitations de vitesse en Europe

A l’inverse, en Roumanie, en Autriche, en Pologne ou encore en Allemagne, on peut rouler sur les routes non urbaines jusqu’à 100 km/h.

L’Allemagne est même le seul pays de l’UE dans lequel il n’y a aucune limitation de vitesse sur 70% de ses autoroutes. Une exception à laquelle le gouvernement a, fin janvier 2019, clairement exclu de remédier. Une commission fédérale chargée de travailler sur les émissions de CO2 l’avait pourtant encouragé à le faire pour protéger l’environnement. Et 63 % des Allemands seraient favorables à une limitation de vitesse (entre 120 et 150 km/h), selon un sondage Welt-Emnid réalisé en janvier. Mais pour 36 % d’entre eux, il est hors de question de ne plus pouvoir rouler librement.

 

Plus on roule vite, plus il y a de morts sur les routes :
PLUTÔT VRAI

Il est certain que la vitesse n’est pas l’unique facteur à prendre en compte pour expliquer la mortalité routière. D’ailleurs, en France et dans l’UE, les autoroutes sont généralement moins dangereuses que les petites routes.

Et si les routes suédoises, sur lesquelles on roule au pas, sont bel et bien les plus sûres d’Europe, avec 25 décès par million d’habitants en 2017, les routes allemandes ne sont pas les plus mortelles pour autant : le pays a déploré 38 morts par million d’habitants cette année-là. Contre une moyenne de 49 dans l’UE… et 53 en France.

Cela dit, « le lien entre vitesse et accidents est prouvé par pas moins de 115 études scientifiques« , affirme Claude Got, un ancien responsable du Centre européen d’études de sécurité et d’analyse des risques (une association à but non lucratif financée par les constructeurs automobiles), interrogé par Sciences et avenir le 2 juillet 2018.

Alors qu’une « forte hausse de la mortalité routière » est constatée en France métropolitaine en février 2019 (+17,1 % par rapport à février 2018), le ministère de l’Intérieur met ainsi en avant l’explication suivante : la « dégradation des radars fixes [75 % du parc pendant l’hiver 2018-2019] se traduit par un relâchement des comportements sur l’ensemble des réseaux« .

A l’inverse, selon lui, le passage à 80 km/h aurait « épargné 116 vies » au second semestre 2018, par rapport aux cinq années précédentes. Et sans les dégradations de radars, « 60 vies supplémentaires auraient pu être épargnées entre novembre et décembre 2018″, d’après l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR).

Le service « Checknews » de Libération rappelle en fait qu’il est « compliqué de mesurer un effet ‘Gilet jaune’ ou ‘radars inactifs’ sur la sécurité routière« . L’association 40 millions d’automobilistes dénonce en ce sens « une interprétation plus que douteuse des causes des mauvais chiffres de février« . Son « comité indépendant d’évaluation » estime par ailleurs que « les modestes baisses et hausses » de la mortalité routière enregistrées ces derniers mois ne se situent que « dans le droit fil de l’évolution observée depuis une cinquantaine d’années en France, sans rapport  avec la décision récente d’abaisser à  80  km/h la  limitation de vitesse sur les routes secondaires« .

Mais à l’appui de cette affirmation, seule une courbe globale de la mortalité routière au cours des 18 derniers mois est présentée. Elle ne distingue pas les accidents survenus en ville et sur les autoroutes, de ceux ayant eu lieu sur les routes secondaires. Elle met bien en évidence une tendance générale à la baisse d’un mois sur l’autre, mais elle ne permet pas de comparer l’ampleur de la baisse à une période donnée par rapport à la même saison les années précédentes.

Courbe générale, tous réseaux confondus (40 millions d'automobilistes)
D’après cette courbe globale (toutes routes confondues) publiée par l’association 40 millions d’automobilistes, il existe une tendance générale à la baisse de la mortalité routière. A y regarder de plus près, la baisse est légèrement plus forte entre juillet et novembre 2018 qu’entre juillet et novembre 2017.

 

En s’intéressant aux seuls accidents mortels survenus en dehors des agglomérations et des autoroutes (donc sur le réseau concerné par les 80 km/h), et en comparant les données du premier et du second semestre 2018 (avant et après la réforme) aux moyennes des cinq années précédentes, l’ONISR obtient, lui, les résultats suivants :

  • Sur le réseau hors agglomération et hors autoroute, le nombre de morts est de 1 072 entre juillet et décembre 2018. Contre 1 188 en moyenne aux seconds semestres des années 2013 à 2017. D’où le nombre de « 116 vie épargnées » mis en avant par le ministère.
    Soit une baisse de 9,7 % du nombre de morts (contre une baisse de 3,6 % au second semestre 2017 par rapport à la moyenne 2013-2016).
  • Au premier semestre de 2018, avant la réforme des 80 km/h, « seulement » 10 vies avaient été épargnées entre janvier et juin par rapport à la même période des 5 années précédentes.
  • Par ailleurs, sur les autoroutes et en agglomération (non concernées par les 80 km/h), la baisse est « seulement » de 11 morts au second semestre 2018 par rapport à la même période 2013-2017.

Graphique par réseaux routiers (autorités françaises)
D’après la courbe verte de ce graphique de l’ONISR, la baisse de la mortalité sur les routes concernées par la réforme des 80 km/h (hors agglomération et hors autoroutes) est assez nette à partir de l’été 2018.

 

Au total, en publiant son décret sur les 80 km/h, le ministère de l’Intérieur s’était basé sur une fourchette haute de « 300 à 400 vies » possiblement épargnées chaque année grâce à la réforme.

Le compte n’est pas atteint, quel qu’en soit la responsabilité de la dégradation des radars. Mais d’une manière générale, l’immense majorité des études scientifiques publiées sur le sujet démontre bien un lien étroit entre la vitesse et la mortalité routière. « Réduire la vitesse, même de quelques km/h, réduit de manière importante le risque d’accidents et leur gravité« , conclut ainsi le Forum international des Transports dans un rapport – appuyé sur 21 études – publié à l’OCDE le 29 mars 2018.

« La vitesse augmente considérablement le risque d’accident. C’est un facteur clé dans environ 30 % des accidents de la route mortels« , abonde la direction générale Mobilité et transport de la Commission européenne.

 

La pertinence de la méthode de calcul n’a jamais été vérifiée :
FAUX

En France, c’est le « modèle de Nilsson » qui semble être le plus utilisé par l’ONISR pour réaliser ses prévisions concernant l’impact de la réforme des 80 km/h sur la mortalité routière.

La formule de NilssonLe modèle de Nilsson, établi en 1981, permet d’estimer la variation relative du nombre d’accidents corporels et mortels sur une route donnée, du fait de la variation de la vitesse moyenne pratiquée par les véhicules, « si tous les autres facteurs ne varient pas« . La formule mathématique est reproduite ci-contre.

En 2013, la Ligue de défense des conducteurs a publié une « Analyse critique des études sur la vitesse » qui pointe du doigt cette méthode, notamment parce qu’elle écarte les autres facteurs accidentogènes (comme l’alcool ou l’état des infrastructures). Cette analyse reproche également aux chercheurs qui confirment sa pertinence de sélectionner sciemment les données qui la corroborent. Mais son auteure, la Société de calcul mathématique dirigée par le climatosceptique Bernard Beauzamy (une autre de ses études qualifie d' »absurde et inutile » la lutte contre le réchauffement climatique) ne propose pas de résultats contradictoires sur le fond.

A l’inverse, la pertinence du modèle de Nilsson a été validée, pour les routes hors agglomération, après analyse de « 70 rapports d’études internationaux rendant compte de l’évolution de l’accidentalité sur un réseau donné, suite à une variation des vitesses pratiquées« , relève l’ONISR.

Il a également été confirmé par une étude de l’Université de Lyon, publiée en 2013 dans la revue Accident Analysis & Prevention, appartenant à l’éditeur de littérature scientifique Elsevier. Cette dernière s’est intéressée à la « part des accidents mortels attribuable aux excès de vitesse » entre 2001 et 2010 en France. Et elle confirme, donc, la corrélation entre les deux phénomènes.

 

La vitesse est la seule explication à la mortalité routière :
FAUX

Evidemment, soutenir que la vitesse expliquerait tous les décès sur les routes européennes serait complètement faux. Les autorités françaises, interrogées sur les mauvais chiffres de février 2019, ont d’ailleurs elles aussi mis en avant une augmentation du nombre de cyclistes tués sur les routes, en partie liée à… l’augmentation du nombre de cyclistes sur les routes.

Le modèle de Nilsson et l’étude de 2013 de l’Université de Lyon ont pour objet spécifique de calculer « l’effet marginal de la vitesse sur le risque d’accident mortel« . C’est-à-dire, l’effet de la vitesse « lorsque tous les autres facteurs ne varient pas« .

Comme le soutient la Ligue de défense des conducteurs, d’autres facteurs que la vitesse peuvent donc, évidemment, avoir une influence sur la sécurité routière.

C’est par exemple le cas de l’état des routes (en Lituanie, la vitesse maximale autorisée n’est pas la même sur les routes en asphalte et en béton que sur les autres routes), ou celui de l’équipement des véhicules en airbags ou systèmes d’assistance à la conduite (c’est donc l’un des axes qui a intéressé les Etats membres de l’Union européenne à La Valette (Malte) en mars 2017, pour améliorer la sécurité routière).

C’est aussi le cas du port du casque (en 2017, les utilisateurs de deux-roues, y compris les cyclistes, ont représenté 25 % des morts sur les routes de l’UE). Ou encore celui du taux d’alcool autorisé pour conduire.

Selon une étude publiée en 2018 par l’OCDE, et menée auprès de 50 pays, plus d’un décès sur cinq dans les accidents de la route est ainsi lié à la consommation d’alcool.

Afin d’améliorer la sécurité sur ses routes, la Roumanie a d’ailleurs instauré, en 2017, une tolérance zéro au volant pour tous les conducteurs. Mais cette année-là, aucune vie n’a été épargnée par rapport à 2016 : 97 morts par million d’habitants, un record dans l’UE…

Là encore, cela montre que plusieurs facteurs rentrent toujours en compte. Une étude publiée en février 2018 par le European Transport Safety Council (ETSC), une ONG bruxelloise, montre par exemple qu’en 2015, le taux d’alcotests réalisés par la police roumaine pour 1 000 habitants était l’un des plus faibles de l’UE (72 contrôles en Roumanie, contre 677 en Estonie, 279 en Finlande et 152 en France).

Le taux d’alcool autorisé au volant en Europe

Quant au Royaume-Uni, où l’on peut conduire avec 0,8 g/L d’alcool dans le sang, et rouler jusqu’à 96 km/h sur les voies non urbaines, c’est le pays où la mortalité routière est la plus faible après la Suède, avec 27 décès par million d’habitants en 2017 ! Les explications sont à trouver ailleurs, par exemple du côté des sanctions, qui peuvent aller jusqu’à une interdiction de conduire à vie. Des peines sévères, donc, doublées de campagnes publicitaires chocs et d’une forte densité des radars à Londres…

[ad_2]

https://www.touteleurope.eu/actualite/fact-checking-80-kmh-une-limitation-de-vitesse-inutile.html