Dîner chez Jefferson (ou comment les Etats-Unis créèrent la dette publique fédérale) – Fondation Robert Schuman

https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0566-diner-chez-jefferson-ou-comment-les-etats-unis-creerent-la-dette-publique-federale

Alors que les négociations sur le futur plan de relance économique de l’Union européenne se poursuivent, de nombreuses références sont faites au « moment Hamiltonien » de l’Europe. Pour la première fois, L’Union européenne pourrait compléter ses ressources budgétaires par des fonds récoltés sur les marchés de capitaux et destinés à financer des subventions et des prêts aux pays affectés par la crise. Jean Guy Giraud revient dans ce texte sur l’accord de 1790 entre Alexander Hamilton et Thomas Jefferson sur les emprunts publics, qui a contribué à transformer les États-Unis en une véritable fédération politique. Le texte contient un propos introductif d’Alain Lamassoure.

DE WASHINGTON A BRUXELLES ?

Depuis le premier jour, l’histoire constitutionnelle des Etats-Unis d’Amérique a fasciné les promoteurs de l’unité européenne. De Victor Hugo à Winston Churchill, en passant par Altiero Spinelli prisonnier à Ventotene, la formule des  » Etats-Unis d’Europe  » s’était banalisée bien avant le discours fondateur de Robert Schuman. En 2002, chargé de présider la  » Convention sur l’avenir de l’Europe « , Valéry Giscard d’Estaing proposa aux conventionnels de prendre comme référence la Convention de Philadelphie. Hélas – ou heureusement ? – le cheminement vers une union politique européenne s’est révélé plus long et plus sinueux que celui qui mena à la fédération américaine. Comment les meilleurs esprits d’un territoire qui n’était alors guère plus peuplé que l’actuelle Lituanie ont-ils pu concevoir un système de gouvernement aussi fortement enraciné dans ses principes et adaptable à une superpuissance post-industrielle de 300 millions d’habitants ?

Sans diminuer en rien le mérite des founding fathers du Nouveau Monde, une analyse plus fine conduit à remettre le projet européen dans la perspective du temps long, nous ôtant au moins un complexe d’infériorité. Car, contrairement à l’image d’Epinal d’une fédération idéale en place dès 1787, malgré l’unité nationale acquise dès l’origine dans la guerre d’indépendance et malgré le génie historique des sages de Philadelphie, il faudra attendre trois quarts de siècle supplémentaires avant que les Etats-Unis ne se dotent d’une monnaie unique comparable à l’euro, d’une vraie Banque centrale, d’un embryon d’armée permanente et d’un budget fédéral capable d’un effet macro-économique. Entretemps ont été réunies les conditions de température et de pression qui ont rendu possible la mutation vers une fédération vraiment complète : la multiplication de la population par vingt, la conquête de l’Ouest, la révolution industrielle et l’effroyable guerre de Sécession, dont l’Union américaine ne s’est jamais complètement remise. 

Et cependant, ces expériences historiques si différentes comportent parfois des similitudes frappantes. Jean-Guy Giraud rappelle ici comment, dès 1790, le tout premier budget fédéral est né de la nécessité de rembourser la dette que les treize Etats impécunieux avaient été contraints de mutualiser. Clin d’œil de l’histoire, il apparaît désormais que c’est le même besoin de soutenir une énorme dette commune après la crise liée à la pandémie qui contraindra l’Europe à financer son budget par de nouvelles ressources propres, indépendantes des budgets nationaux. Ancien haut fonctionnaire du Parlement européen, Jean-Guy Giraud reste l’infaillible boussole du pôle magnétique communautaire. Veilleur infatigable, depuis sa thébaïde occitane, il mesure les lais et relais de la vague européenne, passe les textes à son scanner juridique, dissèque les actes qui démentent les discours, encourage les plus fermes croyants quand vient le temps du doute. Avec un beau sens de la mise en scène, il nous aide à sentir quand souffle le vent de l’histoire. Est-ce donc un vent de la vieille Amérique qui vient, à souffle inversé, décoiffer une Europe soudain toute jeune ?

Alain LAMASSOURE

Il est 15h à New York, siège provisoire du Congrès, le 20 juin 1790. Dans sa résidence de Maiden Lane, Thomas Jefferson, Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, choisit les vins – français – qu’il offrira à ses convives pour le dîner le plus fameux de l’histoire de la fédération américaine. A 16h précises se présentent ses deux seuls invités : James Madison, chef du groupe démocrate-républicain au Congrès, et Alexander Hamilton, Secrétaire du Trésor.

L’invitation avait été lancée la veille lors d’une brève rencontre inopinée entre Jefferson et Hamilton devant la résidence du Président George Washington sur Broadway, rencontre ainsi relatée par Jefferson : en me rendant chez le Président, j’ai rencontré Hamilton alors que j’approchais de la porte. Son regard était sombre, hagard… Il a demandé à me parler.. Nous étions dans la rue, près de la porte. Il a ouvert le sujet de la reprise de la dette des Etats, de sa nécessité dans le dispositif fiscal général et de son indispensable nécessité pour la préservation de l’Union…   » Going to the President’s, I met Hamilton as I approached the door. His look was somber, haggard … He asked to speak with me … We stood in the street near the door. He opened the subject of the assumption of the States debt, the necessity of it in the general fiscal arrangement and its indispensable necessity towards the preservation of the Union … »

Le dîner et les sujets du débat 

Les trois hommes savaient pertinemment sur quels sujets – apparemment sans lien l’un avec l’autre – allait porter leur conversation : l’autorisation par le Congrès de la prise en charge des dettes des Etats par le nouveau Gouvernement fédéral ( » the assumption plan « ), le choix du siège définitif de la capitale fédérale. 

Sur le deuxième sujet, Thomas Jefferson et James Madison sont les demandeurs. Depuis l’indépendance (1776), le siège du Gouvernement de la Confédération américaine- puis de l’Union (1789) – demeure provisoire. Le premier Congrès américain (US Congress) a siégé à Philadelphie avant de se déplacer (chassé par une mutinerie de soldats de la guerre d’indépendance réclamant leurs arriérés de solde) à Princeton (NJ), Annapolis (MD), Trenton (NJ) puis New York où il siège encore en juin 1790. 

Pour mettre fin à cette errance, Jefferson et Madison souhaitaient- en application de l’article I, section 8, paragraphe 17 de la Constitution américaine – fixer rapidement le siège définitif de la capitale en bordure du Potomac et à proximité de Mount Vernon, résidence familiale de Washington. Pour ce faire, ils avaient besoin du soutien des Etats du Nord, représentés par Alexander Hamilton, élu de l’Etat de New York, et regroupés au sein du parti  » fédéraliste  » du Congrès. 

La question de l’ »assumption »

Sur le premier sujet – celui de l’  » assumption  » – qui nous intéresse davantage ici, Alexander Hamilton est le demandeur. Ce projet – tout aussi déterminant pour l’avenir de la Fédération que le choix de sa capitale – concernait le  » public credit  » des Etats-Unis. Il s’agissait, en résumé, d’autoriser le Gouvernement fédéral à assumer ( » assumption  » plan) les dettes de guerre des Etats et de la Confédération américaine contractées auprès des gouvernements étrangers et des citoyens américains – et de les financer par de nouveaux emprunts, souscrits cette fois au nom de la nouvelle Fédération issue de la Constitution de 1787 – dont James Madison et Alexander Hamilton furent les principaux inspirateurs à Philadelphie.

Dans l’esprit d’Hamilton, il fallait tout d’abord remédier, en urgence, à l’état catastrophique des finances de plusieurs Etats et de la Fédération américaine qui menaçait l’unité même de la jeune République, et notamment la solidarité entre les Etats du Nord et du Sud de l’Union américaine,  et de restaurer l’indispensable crédit politique et financier de l’Union vis-à-vis de ses bailleurs de fonds européens (banques et gouvernements d’Angleterre, des Pays-Bas et de France). 

Mais il s’agissait aussi de créer la base d’une large structure financière fédérale, fondement du système monétaire et fiscal du gouvernement national – de contribuer à  » cimenter l’Union « par l’existence d’une dette publique permanente et contrôlée et de disposer d’  » un outil financier pour le développement de l’agriculture, de l’industrie et du commerce » des Etats-Unis. 

Pour Madison et Jefferson, ce plan présentait le risque d’accélérer la création d’une puissante administration centrale (un « Trésor ») au bénéfice principal des Etats commerçants et en voie d’industrialisation du Nord. Le fervent fédéralisme constitutionnel de Madison le faisait hésiter à franchir le pas de l’organisation centralisée d’un pouvoir financier fédéral. Jefferson y voyait, pour sa part, la confirmation de ses craintes anciennes à l’endroit d’un  » big government  » d’inspiration anglaise et au service d’intérêts particuliers : son scepticisme était toutefois tempéré par son sens des responsabilités vis-à-vis d’un gouvernement et d’un Etat dont il était, en tant que Secrétaire d’Etat, le troisième personnage.

Mais revenons au dîner…

Les invités arrivèrent ensemble et en avance : Madison parce que c’était son habitude depuis la Convention de Philadelphie et Hamilton parce qu’il prenait particulièrement à cœur ce qui sera la grande affaire de sa (brève) carrière ministérielle. Le service à table est assuré par de discrets « serviteurs » qui garantissent la confidentialité de la conversation. Le menu est à la hauteur de la réputation de la table de Jefferson dont la francophilie (critiquée par ses adversaires sur le plan politique) et le goût pour la gastronomie française (unanimement apprécié) étaient bien connus de la haute société américaine. L’ordonnancement du repas est d’ailleurs supervisé par André Petit, maître d’hôtel que Jefferson a ramené de Paris dans ses bagages.

Après les salades – arrosées de Château Carbonnieux blanc 1786 – est servi un chapon farci de jambon de Virginie et de purée de châtaigne, assaisonné de Calvados et accompagné d’un Montepulciano de Toscane car un vin français  » aurait affadi la sauce  » . Vient ensuite une version new-yorkaise de boeuf à la mode servi avec un Chambertin. Les desserts (meringues et macarons) sont suivis d’une « glace à la vanille en croûte », dégustée avec un précieux  » champagne sans bulles « , dont Jefferson se targuait d’être le seul importateur au « nouveau monde ».

La conversation est brillante entre ces trois plus hautes figures de la République (après, bien sûr, la « statue de Commandeur » américaine, George Washington). Elle est principalement animée par le bouillant Hamilton, pénétré comme à son habitude par la justesse de sa cause et soucieux d’en convaincre ses interlocuteurs. Madison tient le rôle du négociateur calme, prudent et méticuleux qui fut le sien lors de la Convention et qui lui permit alors de rallier Hamilton à sa cause. Le maître des lieux parle peu – si ce n’est pour commenter savamment ses choix culinaires – soucieux de maintenir l’équanimité des propos mais surtout conscient qu’il lui appartiendrait in fine de décider de l’issue de la négociation (sous réserve de l’accord du Président) et d’en porter principalement la responsabilité en tant que premier personnage du gouvernement.

L’issue du débat

Elle fut positive et peut être ainsi résumée :

  • le siège de la capitale serait installé sur le splendide mais sauvage site prévu, en bordure du Potomac, à l’issue d’une période de dix ans nécessaire pour son aménagement ; dans l’intervalle, le siège serait transféré de New York à Philadelphie (capitale initiale et ville la plus peuplée des Etats-Unis de l’époque) ;
  • sur l’   » assumption plan « , Jefferson et Madison s’engageaient à faire passer au Congrès le texte du  » First Report on the public debt « , moyennant une prise en compte de la situation de certains Etats (dont la Virginie) qui s’étaient déjà acquittés de l’essentiel de leurs dettes.

L’accord fut rapidement mis en œuvre : 

  • le « residence bill » fut voté par le Congrès le 10 juillet 1790, soit trois semaines après  » le dîner « . Comme prévu, dix ans plus tard, la capitale fut transférée de Philadelphie vers le District of Columbia (DC) en bordure de la Virginie et du Maryland et incorporant la petite bourgade de Georgetown ;
  • l' »assumption bill » fut voté le 18 juillet 1790. Son adoption rassura les banquiers européens sur la consolidation politique de la jeune fédération et sur sa solvabilité. Cette loi permit aux Etats-Unis de se procurer les capitaux étrangers nécessaires à son développement, mais aussi de financer, en 1803, l’achat de la  » Louisiane  » – représentant en fait plus de la moitié du territoire actuel des Etats-Unis – bradée par Napoléon ! Sur le plan interne, cette loi assura le développement du Département du Trésor américain  » Treasury Department « , non sans de multiples péripéties dues à l’opposition persistante des partisans des Etats contre ceux de la Fédération, opposition qui demeure d’ailleurs actuellement encore sous-jacente dans la vie politique américaine.

En guise de conclusion, on laissera le lecteur imaginer la conversation que pourraient avoir nos trois protagonistes s’ils pouvaient se retrouver, 220 ans plus tard, lors d’un nouveau dîner à Washington ! La puissance financière actuelle de la Fédération – et notamment l’utilisation de sa  » dette  » tant sur le plan interne qu’international – les laisseraient certainement rêveurs ! 

De l’importance des dîners en ville … 

 » Etats-Unis alors, Europe maintenant « 

Dans un discours prononcé devant l’académie de Stockholm le 8 décembre 2011 et intitulé  » United States then, Europe now « , le prix Nobel américain Thomas J. Sargent s’est efforcé de rappeler les principales caractéristiques de la création de l’Union fiscale des Etats-Unis et d’établir un parallèle, sinon une comparaison par nature anachronique, entre cette expérience américaine d’alors et la situation présente de l’Europe[1].

Parallèle qui est (re)devenu d’actualité à l’occasion du projet de relance  » Recovery Plan  » lancé par la Commission au printemps 2020. Un des volets de ce plan vise en effet à permettre le lancement d’un grand emprunt européen pour financer le redressement économique de l’Union européenne durement affectée par les conséquences de la crise sanitaire du COVID-19.

De nombreuses références ont alors été faites au  » Hamiltonian moment  » de l’Union européenne. Pour la première fois en effet, celle-ci envisage de compléter ses ressources budgétaires classiques par des fonds récoltés sur les marchés de capitaux et destinés à financer des subventions et des prêts aux opérateurs économiques particulièrement affectés par la crise. Cet emprunt et ces prêts seraient effectués directement par et pour l’Union européenne et gérés par la Commission. Le budget européen servirait de garantie et assurerait le service des remboursements qui seraient financés par de nouvelles recettes fiscales.

Mais c’est sans entrer dans le détail des mécanismes américain et européen que l’on voudrait ici présenter à grands traits certaines caractéristiques particulières du premier tout en laissant le lecteur libre d’établir d’éventuelles analogies avec le second.

« Un plan, pas un complot »

Remarquons tout d’abord que l’initiative d’Hamilton avait en fait un plus grand dessein : celui de permettre la concentration de l’autorité gouvernementale et l’industrialisation des États-Unis  » the concentration of governemental authority and the industrialisation of the United States « [2]. Cette vision et ce plan étaient davantage basés sur un raisonnement économique rationnel que sur une sorte de complot politique destiné à assurer la suprématie du pouvoir fédéral. 

La restauration du « public credit » par la centralisation des moyens financiers était principalement destinée à permettre de subventionner le relèvement, puis le développement économiques de l’Union américaine – selon un plan également conçu par Hamilton : le « Report on Manufactures » qui – bien qu’initialement repoussé sera voté par le Congrès en 1791 – sera finalement mis en œuvre ultérieurement. 

Ainsi, l’  » assumption  » des dettes ne constituait qu’une première étape d’un processus plus large : la Fédération devait se doter d’une capacité d’emprunt pour rembourser ses dettes et en assumer de nouvelles ce qui impliquait successivement la création d’un « Treasury » fédéral pour les gérer, d’une fiscalité centrale pour en assurer le financement, de la création d’une dénomination (monnaie) nationale commune, d’une Banque centrale pour réguler cette monnaie, etc. Toutes étapes qui ne furent finalement franchies qu’avec difficulté et tardivement, notamment à partir de la fin de la guerre de Sécession. De fait, la construction progressive de l’Union fiscale ne fut pas un long fleuve tranquille. 

En ce qui concerne plus particulièrement la capacité d’emprunt de la Fédération, il faut rappeler que la nouvelle Constitution interdisait aux Etats de s’endetter (ce qui les conduisit ultérieurement à s’imposer une règle d’équilibre budgétaire annuel) – mais n’autorisait pas formellement la Fédération elle-même à lancer des emprunts. Il fallut un arrêt de la Cour Suprême en 1837 pour reconnaître que, parce que le Congrès avait le pouvoir de payer les dettes, il pouvait le faire par tout moyen non expressément interdit par la Constitution …y compris le pouvoir d’émettre des obligations sous toute forme appropriée  » because the Congress had the power to pay debts, it could do so by any means not expressly prohibited by the Constitution … included the power to issue obligations in any appropriate form ». 

« A regular and adequate supply of revenue »

Enfin, Hamilton souhaitait un ample développement du pouvoir fiscal de l’Union bien au-delà de la nécessité du seul financement des emprunts. Sous les  » Articles of the Confederation « , le pouvoir central n’était financé que par des contributions – incertaines et tardives – des Etats. Ainsi, leur droit de mettre en doute le bien-fondé de la demande a été constamment exercé et le restera tant que les revenus de la Confédération resteront dépendants de l’agence intermédiaire de ses membres  » their right to question the propriety of the demand has been constantly exercised and would continue to be so, as long as the revenues of the Confederacy should remain dependent on the intermediate agency of its members ». 

Pour Hamilton, cette dépendance était incompatible avec le fonctionnement correct de la Fédération : un pouvoir complet de procurer un approvisionnement régulier et adéquat en recettes, dans la mesure où les ressources de la communauté le permettent, peut être considéré comme un ingrédient indispensable à toute constitution « A complete power to procure a regular and adequate supply of revenue, as far as the ressources of the community will permit, may be regarded as an indispensable ingredient in every constitution ». Et d’ajouter que la limitation du pouvoir fiscal central laisserait le gouvernement fédéral dans une sorte de tutelle aux gouvernements des États, incompatible avec toute idée de vigueur et d’efficacité  » would leave the general government in a kind of tutelage to the States governments, inconsistent with every idea of vigor and efficiency « . 

Pour cette raison, la nouvelle Constitution aboutit à limiter étroitement la capacité fiscale des Etats et à renforcer considérablement celle de la Fédération. Ainsi, son article I – section 8 disposa que le Congrès aura le pouvoir (…) de lever et de percevoir des impôts (…) pour payer les dettes et pourvoir à la défense commune et au bien-être général des États-Unis ». « The Congress shall have power (…) to lay and collect taxes (…) to pay the debts and provide for the common defence and general welfare of the United States ».  

En ce qui concerne plus précisément le crédit de l’Union sur les marchés de capitaux, Hamilton estimait que le pouvoir de créer de nouveaux fonds sur de nouveaux objets d’imposition par sa propre autorité permettrait au gouvernement national d’emprunter autant que ses besoins l’exigent :  « the power of creating new funds upon new objects of taxation by its own authority would enable the national government to borrow as far as its necessities would require ». Il ajoutait que dépendre d’un gouvernement qui doit lui-même dépendre de treize gouvernements pour l’exécution de ses contrats (…) exigerait un degré de crédulité que l’on ne rencontre pas souvent dans les transactions pécuniaires de l’humanité  » to depend upon a government that must itself depend upon thirteen governments for the mleans of fulfilling its contracts (…) would require a degree of credulity not often to be met with the pecuniary transactions of mankind ».

C’est une question de pouvoir (« It was all about power »)

Sur un plan plus général, on peut observer que l’  » assumption plan  » ne fut qu’un élément d’un débat plus large : celui de la recherche d’un nouvel équilibre entre les treize Etats et la nouvelle Fédération : c’était une question de pouvoir. Sous prétexte de rendre service aux États en assumant leurs dettes, le gouvernement fédéral assumait implicitement, voire secrètement, l’autorité souveraine sur les économies de tous les États « It was all about power. Under the guise of doing the states a favor by assuming their debts, the federal government was implicitly, even coverly, assuming soveriegn authority over the economies of all the states ». Un débat opposant principalement les États commerçants et industriels du Nord aux États agricoles du Sud. Une division matérialisée par les deux grands partis représentés au Congrès (les « fédéralistes » et les « républicains démocrates », aussi appelés « nationalistes ») et personnalisée par les deux grands architectes de la Constitution : le « nordiste » Hamilton et le « sudiste » Madison, appuyé par l’autre sudiste Jefferson.

Enfin, il peut être utile de rappeler deux des dispositions clés de la Constitution de 1787 qui permirent finalement aux « fédéralistes » de mener progressivement à bien leur entreprise.

La première est celle de la clause relative aux pouvoirs implicites ( » necessary and proper « ) de la Fédération : l’article 1 section 8 de la Constitution dispose que le Congrès aura le pouvoir (…) de faire toutes les lois qui seront nécessaires et appropriées pour mettre en œuvre (…) tous les pouvoirs conférés par la présente Constitution au gouvernement des Etats-Unis « the Congress shall have power (…) to make all Laws which shall be necessary and proper for carrying into execution (…) all powers vested by this Constitution in the Government of the United States ». 

Cette disposition a été fréquemment utilisée – sous le contrôle de l’interprétation de la Cour Suprême – pour renforcer les compétences et pouvoirs fédéraux, notamment vis-à-vis des Etats. Elle fut un outil majeur de nature constitutionnelle dans le développement des capacités financières de l’Union tel qu’évoqué et, finalement, bien au-delà de celles-ci. 

La règle majoritaire

Mais la clause  » necessary and proper  » n’a pu s’exercer efficacement que grâce à une autre règle de base établie par la Constitution : celle de la décision majoritaire au sein du pouvoir fédéral – en l’occurrence le Congrès. 

Sous les articles de la Confédération, les principales décisions nécessitaient un accord unanime de chaque Etat représenté au sein de l’   » Assembly of delegates  » et disposant ainsi d’un droit de veto. Cette situation – qui fut un élément constant de blocage – amena Hamilton à constater sèchement que la concordance de treize volontés souveraines distinctes est nécessaire, dans le cadre de la Confédération, pour l’exécution complète de toute mesure importante qui découle de l’Union. C’est arrivé.  » The concurrence of thirteen distinct sovereign wills is requisite under the Confederation to the complete execution of every important measure that proceeds from the Union. It has happened as was to have been foreseen : the measures of the Union have not been executed « .

Au contraire, la nouvelle Constitution fit disparaître ce droit en disposant que toutes les décisions du Congrès seraient prises à la majorité des deux Assemblées – majorité parfois renforcée dans certains cas. Elle prévit au surplus que la Constitution elle-même pourrait être amendée comme elle fut adoptée, c’est à dire par une majorité renforcée des Etats membres (à l’époque de neuf sur treize). Sur ce point, Hamilton note que la suppression de la règle de l’unanimité fut, en fait, peu contestée lors de la Convention et de la ratification et il estime que cette acceptation ne peut avoir découlé que d’une conviction irrésistible de l’absurdité de soumettre le sort de douze États à la perversité ou à la corruption d’un treizième  » can only have proceeded from an irresistible conviction of the absurdity of subjecting the fate of twelve states to the perverseness or corruption of a thirteenth ».

Dans son article de 2011, Thomas J. Sargent – tout en insistant sur les évidentes différences de contexte historique, social, politique, etc. entre les expériences américaines d’hier et la situation contemporaine de l’Europe – estime cependant qu’il serait possible pour celle-ci de tirer les leçons de l’histoire de la création d’une union fiscale par les Etats-Unis  » to draw lessons from the story about how the US created a fiscal union « . La longue quête américaine pour une Union économique plus parfaite  » for a more perfect economic Union  » pourrait en effet – au delà des questions financières – inspirer les responsables européens dans la crise et la transition économique qu’ils doivent assumer ensemble. 

S’il n’est pas certain qu’ils puissent trouver un inspirateur aussi visionnaire qu’Alexander Hamilton, souhaitons tout de même que les réflexions et idées-forces de celui-ci – dans la permanence de leur logique – les aident à franchir cette épreuve et cette étape dans la construction d' »une Union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe ». Et que – mutatis mutandis – ils gardent au moins à l’esprit la remarque faite par Benjamin Franklin à l’un de ses correspondants européens de l’époque : je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas mener à bien en Europe le projet du bon Henri IV, en formant une Union fédérale et une Grande République de tous les différents États et royaumes au moyen d’une convention similaire, car nous avions de nombreux intérêts à concilier. « I do not see why you might not in Europe carry the Project of good Henry the 4th into Execution, by forming a Federal Union and One Grand Republic of all the different States and Kingdoms by means of a like Convention, for we had many interests to reconcile ».