Conseil de l’Union européenne : quelles sont les priorités de la présidence allemande ?

Léo Lictevout

Après la Croatie au premier semestre 2020, c’est au tour de l’Allemagne d’assurer la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2020. De nombreux défis attendent le pays, qui devra notamment parvenir à un compromis autour de la relance de l’économie européenne.

Il y a treize ans que l’Allemagne n’avait pas occupé la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Ce mercredi 1er juillet, pour la treizième fois depuis la fondation des Communautés européennes, l’Allemagne a pris les commandes du Conseil de l’UE : les ministres et représentants allemands présideront ainsi jusqu’en décembre les réunions du Conseil et des instances préparatoires (à l’exception du Conseil des ministres des Affaires étrangères, doté de son propre président). « L’Allemagne jouera un rôle de moteur et d’intermédiaire. Notre mission sera de bâtir des ponts et de trouver des solutions qui bénéficieront finalement à tous au sein de l’Union« , a déclaré son ministre des Affaires étrangères Heiko Maas, le 24 juin.

La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne

La présidence tournante du Conseil fonctionne par trio (groupe de trois pays s’y succédant, et menant un programme commun). Avant l’Allemagne, la présidence croate au premier semestre de l’année concluait le trio qu’elle formait avec la Roumanie et la Finlande, initié le 1er janvier 2019. L’Allemagne marque donc le début d’un nouveau cycle, qui se poursuivra en 2021 avec les présidences portugaise et slovène.

Angela Merkel, qui supervisera sa deuxième – et dernière – présidence tournante en tant que chancelière, aurait cependant pu rêver de meilleures conditions : ce mandat intervient au lendemain de la pandémie de Covid-19 en Europe, au cœur d’une crise économique d’ampleur, et à l’aube d’importantes échéances politiques et budgétaires pour l’Europe.

Le logo de la présidence allemande représente le ruban infini à une seule face de Möbius, inventé par le mathématicien allemand August Ferdinand Möbius – Crédits : Capture d’écran / Ministère fédéral des Affaires étrangères

Relever l’Union de l’intérieur…

L’Allemagne accède donc à la présidence tournante du Conseil de l’UE dans un contexte particulièrement critique, au sortir d’une pandémie à l’origine d’une récession économique sans précédent attendue pour l’année 2020. Ces dernières semaines, la crise a ainsi conduit à « une prise de conscience par les responsables politiques allemands, et notamment par la chancelière, que l’Europe se trouvait dans une situation politiquement très difficile et très risquée si rien ne se passait« , explique Éric-André Martin, Secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (CERFA), interrogé par Toute l’Europe. Un constat martelé par Angela Merkel devant le Bundestag, le 18 juin dernier : « L’Europe a besoin de nous, comme nous avons besoin de l’Europe« . Un mois plus tôt, le 18 mai, la chancelière s’était unie au président français Emmanuel Macron pour formuler une initiative franco-allemande pour la relance économique du continent. Une première pour la cheffe du gouvernement allemand, traditionnellement gardienne de l’orthodoxie budgétaire, car cette initiative proposait une relance massive financée par un emprunt européen. L’idée a par la suite largement inspiré le plan de relance avancé par la Commission européenne, Next Generation EU.

Covid-19 : les détails du plan de relance de la Commission européenne

Si un consensus reste à trouver sur ce plan de relance, le prochain budget pluriannuel de l’Union, pour la période 2021-2027, reste lui aussi à définir. Parvenir à un compromis entre les Vingt-Sept constitue ainsi le premier objectif du programme allemand. Et la présidence allemande pourrait justement permettre un « alignement des planètes« , avance Éric-André Martin : l’Allemagne « facilite potentiellement les chances d’un accord » entre les Vingt-Sept. Et pour cause, par son poids politique et par son bilan budgétaire, elle « peut parler aussi bien aux frugaux qu’aux pays du Sud. Si ça avait été un autre pays de moindre importance, ou moins crédible dans sa gestion de ses finances publiques, cela aurait rendu les choses beaucoup plus difficiles« .

Une fois un compromis trouvé, Berlin entend assurer l’adoption rapide des législations nécessaires à sa mise en place. Le plan de relance devra ainsi être « mis en œuvre dans le cadre du Semestre européen« , et permettre une relance de l’économie européenne et un renforcement de la cohésion sociale, explique le programme de la présidence. « Cette crise a également mis clairement en évidence les points forts de l’Europe : la solidarité, la capacité à trouver des compromis et la protection sociale. (…) La solidarité est l’essence même de l’Union européenne, et c’est cette force que nous voulons développer« , a défendu Heiko Maas. C’est pourquoi le programme allemand compte aussi poursuivre l’agenda social de la Commission, avec le « développement d’un cadre européen (…) en matière de salaire minimum« .

Vers le SMIC européen ?

…et renforcer l’Europe à l’extérieur

Au cours des six mois de son mandat, l’Allemagne souhaite donc « sortir l’Europe de la tempête dans laquelle elle se trouve, et stabiliser les choses afin de faire en sorte qu’après la crise sanitaire n’explose pas une crise économique, qui déboucherait sur une crise sociale et politique, et fragiliserait l’édifice européen« , explique Éric-André Martin. Avec des enjeux à plus long terme : Berlin souhaite mettre en place un processus « Lessons Learnt« , pour tirer les leçons de la crise. Plusieurs points sont visés, tels que le renforcement de l’Europe de la santé ou des instruments de réponse aux crises.

L’Allemagne suit donc une stratégie claire : réformer l’Europe pour lui assurer une meilleure capacité de résilience face aux chocs « externes », qu’ils soient sanitaires, économiques ou politiques. Avec un premier défi pressant à relever : elle devra en effet mener à leur terme les discussions sur la relation future avec le Royaume-Uni, qui doit quitter le marché commun le 31 décembre. Connue pour sa position conciliante, l’Allemagne tente à tout prix d’éviter le no deal : « Elle essaie de réduire au maximum les dommages que le Brexit pourrait causer à l’économie européenne. Elle restera sûrement dans une position d’écoute vis-à-vis des Britanniques, et essaiera de se montrer la plus constructive possible, à condition de trouver un interlocuteur bien disposé de l’autre côté« , commente Éric-André Martin.

La présidence allemande se positionne par ailleurs en faveur du développement de nouveaux instruments visant à assurer une concurrence équitable avec ses autres partenaires. Objectif : rééquilibrer les relations commerciales de l’Union européenne, notamment avec la Chine, avec laquelle l’Allemagne souhaite « plus de réciprocité« .

Concurrence : la Commission veut appliquer les règles européennes aux entreprises étrangères

La démarche vis-à-vis de Pékin est éminemment politique : Berlin souhaite restaurer la confiance avec l’empire du milieu, entamée par le manque de transparence des autorités chinoises lors de la pandémie de Covid-19 ou encore par les atteintes aux droits de l’Homme observées lors des mouvement sociaux à Hong-Kong. La présidence allemande entend ainsi mener un « dialogue ouvert » dans le but de conclure un accord d’investissement, plus juste et transparent. Angela Merkel souhaite pour cela reprogrammer au plus vite le sommet entre l’Union et la Chine, initialement prévu pour septembre, mais reporté en raison de la crise sanitaire. « Le monde a besoin d’une voix forte de l’Europe, pour protéger la dignité humaine, la démocratie et la liberté« , a déclaré la chancelière au Bundestag.

D’autres chantiers (trop) ambitieux ?

En parallèle des conséquences de la crise, d’autres défis attendent également l’Union européenne, auxquels l’Allemagne a prévu de s’atteler. Angela Merkel a ainsi souligné sa volonté de lier la relance économique à la transition écologique, de parvenir à une révision des objectifs de réduction des émissions de CO2, et à un accord contraignant sur la neutralité carbone, comme le veut le Pacte vert proposé par la Commission européenne. A cette transition écologique s’ajoute la transition numérique : l’Allemagne souhaite en effet insister pour un agenda ambitieux en la matière, englobant la digitalisation de l’économie européenne, le développement d’une infrastructure européenne des données et de la 5G, ainsi que le soutien à la recherche, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle.

Mais l’ambition allemande ne s’arrête pas là. « Pour nous démarquer à l’échelle internationale en tant que communauté de valeurs, il est donc impératif de nous positionner encore mieux sur les sujets stratégiques d’avenir tels que le changement climatique, les réfugiés et la migration, l’État de droit et la transformation numérique« , a listé le ministre allemand des Affaires étrangères, ouvrant notamment la porte à l’épineuse question de la réforme du règlement de Dublin sur les migrations. Une question politiquement sensible en Europe, et particulièrement outre-Rhin, où la politique de la chancelière Angela Merkel a suscité des oppositions. « L’Allemagne fera attention sur ce dossier : elle a déjà été impliquée en 2015, et ça a laissé des traces politiques. Dans le contexte pré-électoral allemand, il faudra faire très attention à tout ce qui a trait aux questions migratoires. C’est un sujet qui pourrait contribuer à relancer les partis d’opposition, notamment d’extrême-droite« , avertit Éric-André Martin.

La chancelière allemande a enfin montré des signes d’ouverture sur un dernier chantier : celui d’une réforme institutionnelle, et d’une révision des traités pour plus d’intégration européenne, en lien avec la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui doit débuter avant la fin de l’année. Or si « l’objectif suprême » de la présidence allemande est de « relancer l’Europe tous ensemble et de fixer les jalons d’un avenir prospère« , comme l’a déclaré le ministre délégué aux Affaires européennes Michael Roth, l’ambitieux agenda politique allemand risque de se heurter à un manque de temps et de ressources, avance Éric-André Martin. Confrontée aux dossiers « imposés par le calendrier » comme le Brexit, ou par l’urgence comme la réponse à la crise, l’Allemagne pourrait ainsi reléguer certains points de son programme au second plan, ou les confier au Portugal ou à la Slovénie, qui assumeront les prochaines présidences tournantes.

Calendrier prévisionnel

–  1er juillet : passation
–  3 juillet : présentation du programme par Angela Merkel face au Bundesrat (Sénat allemand)
–  8 juillet : Discours d’Angela Merkel devant le Parlement européen
–  17-18 juillet : Conseil européen
–  15-16 octobre : Conseil européen
–  20-21 novembre : G20 à Riyad
–  10-11 décembre : Conseil européen
–  31 décembre : fin de la période de transition post-Brexit
–  31 décembre : clôture de la période budgétaire 2014-2020
–  1er janvier 2021 : le budget pluriannuel 2021 entre en application
–  1er janvier 2021 : le Portugal récupère la présidence tournante pour 6 mois, suivi de la Slovénie
–  1er janvier 2022 : début de la présidence française de l’UE
–  A définir : sommet UE-Chine (initialement prévu pour septembre à Leipzig, en Allemagne, reporté)

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