Combien « coûte » l’Union européenne à la France ?

Un article publié par Le Monde – Les Décodeurs


La contribution française au budget européen fait régulièrement l’objet de critiques de la part des eurosceptiques. Explications avant les élections européennes du 26 mai.


« Chaque année, on donne 11 milliards de plus que l’on reçoit. » Depuis la campagne présidentielle 2017, c’est l’un des arguments phare de Nicolas Dupont-Aignan, président du parti Debout la France, contre l’Union européenne (UE).

François Asselineau, sur le site Internet du parti qu’il a fondé, et Marine Le Pen, sur son compte Twitter, lors de la campagne présidentielle, utilisent aussi cet argument. Sortir de l’UE permettrait à la France « la récupération instantanée d’au moins 11 milliards d’euros [9 milliards pour Marine Le Pen] par an ».

D’autres mouvements eurosceptiques brandissent aussi cet argument ailleurs en Europe. Et il était au cœur de la campagne du référendum sur le Brexit en 2016. Nigel Farage, alors leader du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, United Kingdom for Independence Party), promettait que les « 10 milliards de livres par an » de contribution britannique au budget de l’Europe seraient dépensés « pour les Britanniques » en cas de sortie de l’Union européenne. L’ancien maire de Londres, Boris Johnson, avait même fait placarder sur un bus « We send the EU ‎£350 millions a week, let’s fund our NHS instead/Vote Leave » (« Nous envoyons 350 millions de livres [409 millions d’euros] par semaine à l’UE, finançons notre Service national de santé à la place/Votez pour le Brexit »). Nigel Farage, alors chef de file du UKIP, avait lui-même avoué, dès le lendemain du vote, que l’argument utilisé était une erreur.

Pourquoi c’est plus compliqué

Pendant la campagne présidentielle française, ces candidats basaient leurs chiffres sur ceux de 2016, où l’Europe a « coûté » 9,8 milliards à la France. Cette année-là, la contribution française était plus élevée car les dépenses de l’UE avaient été surestimées. En 2017, la contribution française a baissé pour compenser l’année 2016. La France est en effet un pays dit « contributeur net » au budget de l’UE. Cela signifie qu’elle donne plus d’argent à l’Union européenne, par sa contribution au budget, qu’elle n’en reçoit directement sous forme d’aides. En 2017, la France a versé environ 16,25 milliards d’euros et en a reçu 13,5 milliards, dont 9,2 milliards au titre de la politique agricole commune (PAC). Selon les données de la Commission européenne, il existe donc un différentiel de 2,75 milliards d’euros au profit de l’Union. Ce qui est loin des neuf, voire onze milliards dont parlent Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau ou encore Marine Le Pen depuis 2017.

D’autres données peuvent faire varier les chiffres. Par exemple, le rabais britannique. En 1979, Margaret Thatcher prononçait sa célèbre phrase « I want my money back ! » (« Je veux qu’on me rende mon argent ! »). Elle dénonçait là le fait que la Grande-Bretagne « donnait » plus d’argent à l’Union européenne qu’elle n’en recevait. Le pays bénéficiait peu de la PAC. En 1984, il est décidé que les deux tiers de son déficit avec l’Union seraient remboursés. La France, qui bénéficie, elle, largement de la PAC, est le pays qui paie le plus ce rabais britannique.

La France, 2e contributrice au budget européen

Contribution au budget de l’Union européenne en 2017.

Source : Commission européenne

La contribution française va augmenter dans les prochaines années, prévoyait le projet de loi de finances pour 2019. En 2018, elle s’est élevée à 21,5 milliards d’euros. En 2019, elle devrait être de 23,2 milliards, pour dépasser 24 milliards en 2020 – rabais britannique compris. Une fois les aides européennes soustraites (environ 13,5 milliards depuis 2005 à l’exception de 2015 et 2016), on parvient plus ou moins au chiffre de 11 milliards (24,5 milliards moins 13,5 milliards).

Une réflexion réductrice

Mais la réflexion sur l’intérêt d’une appartenance à l’UE ne se mesure pas uniquement en fonction de la contribution au budget européen. Nombreux autres inconvénients et avantages existent pour les pays membres. « Ces déclarations fonctionnent sur une logique comptable qui ne regarde que les recettes dont on bénéficie directement », commente Eric Dor, économiste spécialisé dans les questions internationales et directeur de l’école de commerce Iéseg. Hubert Kempf, professeur d’économie à l’Ecole normale supérieure Paris-Saclay, précise que ces chiffres oublient les engagements « hors budget », comme les contributions au Fonds européen de développement, les dépenses liées à la sécurité commune, ou encore les prêts à des pays tiers. « Donc, même d’un point de vue strictement limité à la question des transferts d’argent, ce chiffre [brandi par les eurosceptiques] est un indicateur bien imparfait », conclut-il.

Faire partie d’une des plus grandes puissances commerciales du monde est un atout non négligeable pour les pays membres : l’Union européenne est la plus grande exportatrice mondiale de produits manufacturés et de services et le plus grand marché unique, qui donne un accès direct aux entreprises à cinq cents millions de consommateurs.

Le Brexit le démontre

Les négociations du Brexit témoignent de cette multitude d’enjeux, bien loin des questions de contribution au budget européen. Prenons l’exemple de Galileo, le réseau de satellites développé par l’Union européenne. Des dizaines d’entreprises britanniques montraient leur intérêt. Dans le cadre du Brexit, l’Union a refusé au pays de continuer de participer au projet. « Mais Theresa May a sous-entendu que son pays pourrait développer son propre programme. Or, cela coûte très cher… », glisse M. Dor.

Autre exemple, la force de pouvoir de négociation que perd le Royaume-Uni en quittant l’UE. « Le Royaume-Uni s’en rend déjà compte, rapporte l’économiste. Lors de négociations récentes d’accords commerciaux avec les Etats-Unis, il a été prié d’abandonner ses principes, défendus par l’Union européenne, contre les OGM ou le bœuf nourri aux hormones », relève Eric Dor.Ce grand pays, de près de 66 millions d’habitants, se retrouve tout petit lors de négociations à l’échelle internationale : les Etats-Unis comptent 328 millions d’habitants, la Chine près de 1,4 milliard… difficile pour lui de faire pression seul.

M. Dor élargit le propos : « Combien d’attentats ont été évités grâce à la coopération européenne ? Comment mesurer la croissance des entreprises grâce à leur ouverture sur le marché européen ? », interroge-t-il, en mettant en avant les avantages de l’espace Schengen, sans oublier les contraintes d’une appartenance à l’Union. « La politique européenne de concurrence peut parfois être un désavantage. L’emploi local n’est pas assez protégé »,argumente l’économiste. Quoi qu’il en soit, pour lui la contribution au budget européen « ne représente rien du tout » parmi tous les enjeux financiers liés à une appartenance à l’Union.


Crédits photo : Le Monde – Agathe Dahyot