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Lors de son audition au Parlement européen, Christine Lagarde a insisté sur la nécessité de dialoguer davantage avec la société civile et pas seulement les marchés financiers. Un article de notre partenaire, la Tribune.
Sous le feu roulant de questions pointues des membres de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, Christine Lagarde, la candidate à la présidence de la Banque centrale européenne (BCE), a répondu pendant deux heures et demie ce mercredi 4 septembre, en alternant anglais et français. Ne pouvant prendre des positions engageant une institution qu’elle ne préside pas encore, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), dont la démission prendra effet le 12 septembre — jour de la prochaine réunion du comité de politique monétaire de la BCE qui pourrait se conclure par une baisse de taux — a fait tout de même entendre sa différence par rapport à Mario Draghi.
L’ex-ministre de l’Économie et des Finances sous Nicolas Sarkozy a notamment insisté sur la nécessité d’« écouter toutes les voix » et plus généralement d’une approche plus « inclusive » de la BCE.
« La BCE doit écouter et comprendre les marchés (financiers), et ne pas être guidée par les marchés, mais elle doit aussi écouter les citoyens. Il est important de nouer un dialogue fort et dynamique avec des représentants de la société civile », a-t-elle déclaré en préambule lors de son audition, citant les syndicats, les associations de consommateurs, les ONG. « L’innovation et la coopération seront nécessaires, tout autant que la “redevabilité” et la communication », a-t-elle ajouté.
Interrogée par l’eurodéputée française Stéphanie Yon-Courtin (Renaissance) sur la façon de rendre l’action de la BCE plus compréhensible et plus ouverte, Christine Lagarde a rappelé qu’au FMI, elle avait demandé de cesser d’utiliser des abréviations et autres acronymes dont la BCE est aussi très friande.
« Il faut impérativement dépoussiérer le langage de la BCE, s’épargner l’excès de jargon technocratique pour permettre aux citoyens, aux consommateurs de comprendre à quoi sert la BCE, la valeur d’une monnaie, en quoi est-ce un élément de la souveraineté régionale. Cette appropriation par les citoyens est indispensable », a affirmé Christine Lagarde.
Elle a également évoqué la nécessité de « clarifier » la communication notamment sur le fameux objectif d’une inflation « proche, mais inférieure à 2 % » au cœur du mandat de la BCE de maintien de la stabilité des prix : « parle-t-on de 1,6 % ou de 1,9 % ? Je comprends que ce n’est pas 1,6 %, mais il n’a pas été dit exactement combien. Seuls les banquiers centraux et les spécialistes peuvent apprécier ces subtilités. »
Jusqu’à quand les taux bas ?
La future présidente de la BCE, dont la nomination devra être confirmée par le Conseil européen après un simple avis du Parlement, et qui succédera à Mario Draghi pour huit ans le 1er novembre, a souligné que les banques centrales affrontaient « des questions stratégiques posées par la faible inflation et les taux bas » ainsi que de nouveaux défis notamment « le changement climatique et l’impact disruptif des changements technologiques ».
Concernant les taux bas, Christine Lagarde s’est inscrite dans les pas de Mario Draghi, jugeant « nécessaire de maintenir la politique monétaire très accommodante pour un certain temps ». Plusieurs eurodéputés ont déploré les conséquences des taux réels négatifs (retraités de l’inflation) « pour les épargnants et retraités ».
« Jusqu’à quand aurons-nous des taux bas ? Je ne peux pas répondre à cette question », a-t-elle dit.
Fin juillet, la BCE a déclaré que les taux resteraient « à leurs niveaux actuels ou à des niveaux plus faibles au moins pendant le premier semestre 2020, et en tout cas, aussi longtemps que nécessaire ».
Un QE plus « green » ?
Sur le climat, la future présidente de l’institution de Francfort a été abondamment interrogée par les eurodéputés, notamment les français Manon Aubry (France Insoumise), Pascal Canfin (Renaissance) et Damien Carême (Europe Ecologie Les Verts), qui ont rappelé que 63 % des actifs achetés par la BCE dans le cadre du programme d’achat de dette (quantitative easing ou QE) « ont financé des entreprises opérant dans les secteurs économiques les plus émetteurs de gaz à effet de serre », selon une étude de l’institut Veblen et de l’ONG Positive Money.
« Le changement climatique doit être intégré au sein des objectifs de la BCE », a déclaré Christine Lagarde, confiant qu’il s’agissant d’une position personnelle à ce stade. « La stabilité des prix reste l’ancrage absolu de la BCE, son objectif premier. L’environnement peut faire partie des objectifs secondaires », a-t-elle déclaré, en référence à l’article 127 des traités sur les prérogatives de la BCE.
Tout changement de mandat de la BCE reste du ressort des États membres. Très engagée sur le climat au FMI, Christine Lagarde a observé que « la BCE ne peut pas exclusivement investir dans les “green bonds” sur les 2 600 milliards d’euros de son programme d’achats d’actifs, ce marché est trop petit. Il faut déterminer ce qui est green et ne l’est pas. Si la taxonomie des actifs verts est adoptée, elle se superposera au principe de “neutralité de marché” [éviter les effets de distorsion]. Quant à la taille des actifs carbonés dans le bilan de la BCE, les choses ne peuvent changer du jour au lendemain », a-t-elle nuancé.
Elle a même évoqué la prise en compte des actifs verts dans la pondération des risques utilisée dans la détermination des ratios de capitaux des banques (la proposition de « green supporting factor » poussée par les banques françaises et la Commission sortante). L’ex-ministre de l’Environnement Pascal Canfin s’est réjoui sur son compte Twitter.
Christine Lagarde s’est félicitée que la future présidente de la nouvelle Commission européenne Ursula von der Leyen ait soutenu un « green deal » pour l’Europe.
Quant aux défis technologiques, la candidate à la présidence de la BCE a réagi aux questions sur les cryptomonnaies et à la proposition avancée par Mark Carney, le gouverneur de la banque d’Angleterre, d’une sorte de monnaie digitale émise par un réseau de banques centrales, de nature à diminuer l’hégémonie du dollar sur la scène internationale. La patronne du FMI avait déjà exprimé son intérêt pour les monnaies virtuelles de banque centrale comme alternative numérique à l’argent liquide.
« Je suis très intéressée et intriguée par la proposition de Mark Carney, que de grandes banques centrales s’unissent pour créer une sorte de monnaie digitale, de “stable coin” de même nature que le Libra [de Facebook]. C’est un projet aux ramifications très intéressantes. Je ne peux pas préjuger de l’attitude de la BCE, mais à titre personnel j’aimerais participer à la réflexion », a-t-elle déclaré.
En soirée, la commission des affaires économiques et monétaires a indiqué avoir voté en faveur de la nomination de Mme Lagarde. Cette recommandation devra être confirmée par un vote en plénière un vote en plénière du Parlement européen qui devrait intervenir lors de la session du 16 au 19 septembre à Strasbourg. Elle ne constitue toutefois qu’un avis consultatif. Ce sont les chefs d’État et de gouvernement, réunis au sein du Conseil européen, qui officialiseront la nomination formelle du successeur de Mario Draghi lors d’un sommet prévu mi-octobre.