Brexit : à quoi le Parlement européen ressemblera-t-il sans le Royaume-Uni ?

Un article publié par notre partenaire Toute l’Europe.


Il devait l’avoir quittée le 29 mars, mais le divorce était trop mal préparé… A ce jour, le Royaume-Uni est toujours membre de l’UE. En mai, le pays a donc dû élire 73 députés européens pour une durée limitée. Mais après leur départ, que deviendra le Parlement européen ?


Depuis mai 2014, le Parlement européen compte 751 députés, élus du 23 au 26 mai derniers dans les 28 Etats membres de l’Union européenne. Il s’agit du nombre maximal de représentants élus dont l’UE peut se doter, selon l’article 14 du traité sur l’Union européenne.

Après le Brexit, qui devrait ainsi avoir lieu en cours de législature du Parlement européen (le 31 octobre 2019 au plus tard, selon les termes du Conseil européen d’avril), les députés européens ne seront plus que 705 à siéger à Strasbourg. C’est ce qu’a décidé l’Union européenne en juin 2018 pour anticiper le départ des 73 Britanniques.

Une fois l’UE revenue à 27 membres, 46 sièges britanniques seront ainsi temporairement gelés, dans l’éventualité d’un nouvel élargissement. Et les 27 restants répartis entre plusieurs Etats membres.

La difficile équation de la représentativité

L’article 14 prévoit une représentation « dégressivement proportionnelle » des citoyens en fonction des pays, avec de 6 à 96 députés par Etat membre. Pour limiter le déséquilibre entre « grands » et « petits » pays, on garantit ainsi à ces derniers un nombre supérieur de députés par habitant.

Malte, Chypre, l’Estonie et le Luxembourg envoient ainsi chacun 6 députés au Parlement, et l’Allemagne 96. Dès lors, un eurodéputé allemand représente 860 000 habitants, contre 79 000 pour un Maltais. La France compte aujourd’hui environ 66 millions d’habitants pour 74 députés, soit environ un député pour près de 900 000 habitants.

Or si les chiffres minimum (6) et maximum (96) sont fixés par le traité sur l’Union européenne, aucune autre règle ne détermine le nombre de députés auquel a droit un pays. C’est en effet le Conseil européen, rassemblant les dirigeants des vingt-huit Etats membres, qui adopte à l’unanimité, sur initiative et avec l’accord du Parlement européen, la décision relative à la composition du Parlement.

Celui-ci a donc décidé, en juin 2018, que 27 des sièges aujourd’hui britanniques reviendraient, après le Brexit, à 14 Etats aujourd’hui considérés comme sous-représentés au regard de l’évolution de leur démographie depuis 2014. Le Conseil européen a par ailleurs prévu de revoir la répartition des sièges avant les élections européennes de 2024, comme il le fait avant chaque élection.

27 sièges pour 14 Etats « sous-représentés » :

+ 5 sièges pour la France et l’Espagne
+ 3 sièges pour l’Italie et les Pays-Bas
+ 2 sièges pour l’Irlande
+ 1 siège pour la Roumanie, l’Autriche, le Danemark, la Croatie, la Finlande, la Suède, la Slovaquie, la Pologne et l’Estonie.

Nouveaux rapports de force

Si la composition du Parlement fraîchement élu n’est pas encore définitive, les résultats provisoires permettent d’avoir une idée de ses principaux équilibres politiques. La droite conservatrice du PPE devrait ainsi rester la première force avec 180 sièges environ, suivie des sociaux-démocrates (150 sièges), des centristes (100 sièges) et des écologistes (70 sièges). A l’extrême droite, les trois groupes eurosceptiques et/ou europhobes cumulent près de 180 députés, tandis que la gauche radicale en compte une quarantaine. Mais le départ des 73 députés britanniques, répartis dans chacun de ces groupes, et l’arrivée de 27 nouveaux élus issus des 14 autres Etats membres changera la donne.

A l’extrême droite, le groupe de l’Europe de la liberté et de la démocratie directe (ELDD), qui compte 54 membres d’après les résultats provisoires, serait le plus affecté par le Brexit avec le départ des 29 élus du Brexit Party, arrivé largement en tête au Royaume-Uni. Outre le fait qu’il n’atteindrait pas, à ce stade des négociations, les 7 pays nécessaires pour la constitution d’un groupe, l’ELDD ne compterait théoriquement plus que 26 députés après le Brexit, issus de l’AfD allemande et du Mouvement 5 étoiles italien. Un chiffre juste en-deçà du seuil nécessaire pour constituer un groupe, fixé à 25 élus. L’ELDD devra d’autant plus s’appuyer sur les élus étiquetés « indépendants » ou « non-inscrits ».

Au centre, l’ADLE (devenu « Renew Europe » le 12 juin) perdrait les 16 membres du parti Lib-Dem, mais gagnerait 5 députés de différents pays (dont deux Français) après le redistribution des 27 sièges. Il se retrouverait ainsi composé de 94 députés.

Les Verts devraient être les plus affectés à gauche, avec la perte de 11 élus britanniques, compensée par l’arrivée de 5 nouveaux députés d’autres pays dont un Français, ramenant leur groupe à 69 membres.

Les 10 députés du Labour quitteraient aussi le groupe des sociaux-démocrates (S&D) mais gagnerait 3 élus, dont un Français, et compterait 146 élus.

La GUE-NGL (extrême gauche) perdrait un seul député sur les 38 dont elle dispose.

Les conservateurs et réformistes européens (CRE) devraient être 62 après la perte de 4 élus tories compensée par le gain de deux autres députés.

Le Parti populaire européen (PPE, conservateur) ne serait quant à lui pas affecté négativement par le départ des Britanniques et gagnerait au contraire 4 sièges supplémentaires, confortant sa position de premier parti du Parlement européen avec 183 députés.

Enfin, l’Europe des nations et de la liberté (ENL, extrême droite) devrait acquérir 4 sièges, dont un Français du Rassemblement national après le Brexit et concurrencer le CRE avec 62 élus.

Les deux plus grands groupes, le PPE et le S&D devraient conserver un équilibre relativement similaire. Ils ne retrouveraient pas toutefois la majorité absolue qu’ils avaient à eux deux dans les précédentes législatures, malgré la diminution du nombre de sièges nécessaires pour l’obtenir (de 376 à 353).

Notons cependant que l’identité des députés réservistes irlandais et roumains n’est pas encore connue.

5 eurodéputés supplémentaires

En France, d’après les résultats officiels, 4 listes bénéficieront de la réattribution des sièges après le Brexit : l’alliance Parti socialiste-Place publique-Nouvelle donne, affiliée au S&D, passe de 5 à 6 sièges et rattrape la France insoumise (LFI). Europe Ecologie-Les Verts (groupe Verts-ALE) gagne également un siège, passant de 12 à 13 eurodéputés. En outre, les deux listes arrivées en tête, La République en marche (+ 2 sièges) et le Rassemblement national (+ 1 siège) se retrouvent toutes deux à égalité avec 23 élus.

Qui sont les cinq députés réservistes ?

– LaREM : Sandro Gozi, ancien député italien, et l’un des deux seuls élus en France n’ayant pas la nationalité française et Ilana Cicurel, femme politique et avocate.
– RN : Jean-Lin Lacapelle, membre du parti depuis 1986.
– EELV : Claude Gruffat, le patron de la chaîne de magasin Biocoop.
– PS : Nora Mebarek, conseillère municipale d’Arles.

Si, ce qui semble aujourd’hui improbable, un accord était trouvé avant la première session du Parlement le 2 juillet, les députés britanniques ne siégeraient simplement pas, et les 27 élus « en attente » pourraient prendre leur place. Toutefois, l’hypothèse la plus sérieuse demeure que les Britanniques participent à l’élection des nouveaux dirigeants de l’UE aux postes clés, comme la présidence de la Commission. Et disposeront d’un certain pouvoir de pression. « Si nous restons dans l’UE contre notre volonté, nous deviendrons le cheval de Troie et ferons échouer les tentatives de poursuivre un projet plus fédéraliste » a ainsi menacé, parmi d’autres, le député britannique conservateur Mark François.


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