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Grain de sel
Après des élections aux airs de grand flou et un paysage politique plus éclaté que jamais, l’Allemagne s’apprête à voir Friedrich Merz prendre les rênes du pays. Pour beaucoup, c’est l’homme du retour à l’orthodoxie budgétaire et de l’alignement atlantiste, un libéral-conservateur à l’ancienne qui entend restaurer la crédibilité allemande après les errements de la coalition Scholz. Mais une question cruciale demeure : peut-il réellement gouverner ?
Une ambition européenne est affichée – avec une Allemagne forte, une UE géopolitique, un cadre budgétaire qui privilégie la compétitivité et la défense.
Mais entre les contradictions internes de sa coalition et les résistances structurelles à Berlin et Bruxelles, Merz pourrait rapidement se retrouver dans la peau d’un chancelier entravé. L’illusion d’un leadership fort peut-elle survivre à la réalité du « vote allemand », à une CDU encore divisée et à des partenaires de coalition peu enclins à lui laisser la main sur l’Europe ?
Ce n’est pas la première fois que nous nous interrogeons sur l’avenir de l’Allemagne en Europe. Dans cet article sur les M&M’s, Merz, Macron et l’avenir de l’Europe, nous avons exploré la relation franco-allemande sous la direction de Merz. Quant aux enjeux des récentes élections allemandes, vous pouvez retrouver notre analyse ici.
Cette fois, l’heure est aux travaux pratiques : comment Merz peut-il réellement gouverner ?
Breaking News : Accord trouvé entre les partis – Merz en route vers la chancellerie Berlin, 9 avril 2025 – C’est officiel : après cinq semaines de négociations tendues, les chrétiens-démocrates (CDU) de Friedrich Merz et les sociaux-démocrates (SPD) ont scellé un accord de coalition, avec un objectif affiché de remettre l’Allemagne « sur les rails » face à une série de crises mondiales. Ce qu’il faut retenir : – Merz devrait devenir chancelier début mai, si les membres du SPD et la CDU valident l’accord. Le deal marque une cohabitation sous haute tension, avec de nombreux compromis sur les sujets clés : migration, fiscalité, défense, Europe… – Merz promet un retour du leadership allemand en Europe, malgré une base fragile et la percée historique de l’extrême droite dans les sondages. – À l’international, le message est clair : “Germany is back on track”, dixit Merz à Trump. La suite dépendra du feu vert des militants SPD (vote jusqu’au 29 avril) et de la CDU (conférence le 28 avril). En cas de validation, l’Allemagne pourrait avoir un nouveau chancelier dès le 6 ou 7 mai. Why Merz’s plan to put Germany ‘back on track’ is already off the rails – Euractiv |
Les objectifs de Friedrich Merz : une Allemagne « forte » au service d’une UE géopolitique
Merz n’a jamais caché ses intentions : remettre l’Allemagne sur le devant de la scène européenne et internationale après des années d’indécision et de compromis boiteux. Ancien eurodéputé et fervent défenseur d’une Europe plus stratégique, il veut imposer une nouvelle doctrine : l’Union européenne doit enfin parler d’une seule voix et peser sur la scène mondiale.
Son programme repose sur plusieurs axes :
- Défense et souveraineté européenne : Avec le retrait progressif des États-Unis du dispositif sécuritaire européen et la menace russe persistante, Merz veut renforcer les capacités de défense de l’UE et pousser pour un budget communautaire davantage axé sur la sécurité.
- Intégration progressive des Balkans et de l’Ukraine : Il veut sortir de l’approche « tout ou rien » de l’élargissement en intégrant progressivement ces pays dans certaines institutions européennes comme le Parlement et le Conseil.
- Réforme du processus décisionnel européen : Il souhaite élargir le vote à la majorité qualifiée en matière de politique étrangère, mettant fin aux blocages imposés par certains États comme la Hongrie.
- Orthodoxie budgétaire : Contrairement à Scholz et Macron, il rejette toute idée d’une mutualisation accrue des dettes et insiste sur la discipline budgétaire – une ligne qui le rapproche des Pays-Bas et des pays nordiques, mais pourrait crisper Paris et Rome.
- Un leadership allemand assumé : Il entend rompre avec la frilosité du gouvernement Scholz et faire de l’Allemagne un leader européen clair et audible – ce qui suppose de régler le problème chronique de la cacophonie interne au gouvernement allemand sur les affaires européennes.
Une coalition bancale : un pouvoir sous haute tension
Si Merz veut gouverner, encore faut-il qu’il puisse s’appuyer sur une coalition solide. Or, c’est là que les ennuis commencent. La CDU, malgré sa victoire, doit composer avec le SPD, un parti aux positions radicalement différentes sur l’Europe et l’économie.
Deux lignes de fracture majeures apparaissent déjà.
D’abord, qui décide sur l’Europe ? Merz veut centraliser la coordination européenne à la chancellerie, mais le SPD, qui partage cette responsabilité avec le ministère des Affaires étrangères et celui de l’Économie, refuse de lui donner un blanc-seing. Résultat : le risque d’abstentions allemandes sur des votes clés à Bruxelles persiste, sapant les ambitions de leadership du chancelier.
Ensuite, le rapport à la dette et à la dépense publique : Si Merz campe sur sa ligne dure, refusant toute mutualisation supplémentaire, le SPD pourrait faire pression pour plus de flexibilité, notamment sur des investissements communs en matière de défense ou de transition énergétique.
Cette coalition de raison est donc en sursis permanent. Entre les tensions internes et les blocages institutionnels, Merz pourrait bien découvrir qu’en Allemagne, gouverner ne signifie pas toujours diriger.
Il est donc clair que le nouveau chancelier fera devra affronter de nombreux obstacles concrets dans la réalité de son pouvoir fragmenté.
3. Du rêve de Merz à la dure réalité de la coalition – ou comment naviguer avec un capitaine qui n’a pas tous les pouvoirs ?
L’Allemagne veut une UE géopolitique mais ne s’accorde pas sur qui doit la diriger.
BERLIN – Le prochain gouvernement de coalition allemand est unanimement favorable à un renforcement radical des capacités sécuritaires de l’UE, mais reste divisé sur la manière de surmonter l’obstacle de ses propres indécisions, selon un projet d’accord de coalition.
Ce projet, dont l’authenticité a été vérifiée par Euractiv, est issu des négociations en cours entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates. Plusieurs sous-groupes ont travaillé sur les détails du futur accord, les derniers points de blocage devant être tranchés par les dirigeants des partis dans les semaines à venir.
Les négociateurs auraient été en très grande majorité en phase sur les affaires européennes – une priorité clé pour le chancelier désigné, le chrétien-démocrate Friedrich Merz, qui a été député européen dans les années 1990. Contrairement à d’autres groupes de travail, les deux camps ont trouvé un terrain d’entente sur tous les points du chapitre européen, à l’exception d’un seul, selon un document initialement publié par Table.Briefings.
Ce projet indique que les partenaires de la coalition veulent avant tout renforcer les capacités géopolitiques et de défense de l’UE « face à des bouleversements historiques ».
Face à la guerre de la Russie contre l’Ukraine et au retrait progressif des États-Unis de l’architecture sécuritaire européenne, une « Allemagne forte » veut prendre les devants – alors que le gouvernement précédent s’est surtout fait remarquer par son manque de coordination externe et ses dissensions sur les questions européennes.
« Nous épuiserons toutes les possibilités pour renforcer la capacité d’action de l’UE et sa souveraineté stratégique », ont promis les partis dès le début du texte.
Un budget géopolitique
Concrètement, les « défis historiques pour l’Europe et notre ambition d’une UE géopolitiquement capable » seront au cœur des négociations allemandes sur le budget de l’UE à long terme, qui débuteront cet été.
Le cadre financier pluriannuel (CFP) devra privilégier les capacités de défense et la compétitivité, « plutôt que de simplement suivre le statu quo », ont écrit les négociateurs.
Ils soutiennent également qu’en raison d’un contexte mondial « profondément transformé », l’élargissement est devenu « une nécessité géopolitique ». Ils proposent ainsi une intégration progressive des pays candidats au Parlement européen et au Conseil, même s’ils ne sont pas encore prêts pour une adhésion complète.
Par ailleurs, la coalition affirme son soutien indéfectible à l’Ukraine, « aussi longtemps que nécessaire » (mais sans employer l’expression « quoi qu’il en coûte », préférée par les plus fervents partisans de l’aide à Kiev).
Les partis insistent également sur la nécessité d’étendre le vote à la majorité qualifiée aux décisions de politique étrangère, afin d’éviter qu’un État membre comme la Hongrie ne bloque certaines mesures, notamment les sanctions, en vertu de la règle de l’unanimité. La clause passerelle, une disposition des traités de l’UE permettant d’étendre le vote majoritaire sans réforme des traités, est citée comme une solution potentielle.
Fait notable, le texte ne mentionne pas seulement la coopération avec les alliés traditionnels de l’Allemagne, la France et la Pologne (Triangle de Weimar), mais évoque également pour la première fois dans un accord de coalition le format élargi « Weimar Plus », incluant l’Italie et l’Espagne.
L’offensive de Merz
Malgré la volonté affichée de renforcer la souveraineté stratégique, certains sujets restent tabous.
Le texte ne mentionne pas la possibilité d’une nouvelle dette commune européenne pour financer des dépenses de défense accrues. Au contraire, il insiste sur le fait que l’Allemagne ne « paiera pas les dettes des autres États membres ».
Mais surtout, un obstacle majeur à l’ambition de leadership de l’Allemagne en Europe demeure : l’actuelle obligation d’abstention du gouvernement allemand lors des votes européens en cas de désaccord entre ministères et partenaires de coalition – un phénomène surnommé le « vote allemand ».
Lors du précédent mandat, cette règle a souvent conduit à des abstentions embarrassantes, notamment sur l’interdiction des voitures thermiques neuves en 2035, affaiblissant ainsi la position de Berlin au sein de l’UE.
Les deux partenaires souhaitent mettre fin à cette situation chaotique. Mais la solution proposée par les chrétiens-démocrates pourrait être perçue par le SPD comme une tentative sans précédent de prise de pouvoir sur la politique européenne.
Selon leur projet, Friedrich Merz pourrait « prendre en charge la coordination dès le départ ou s’en emparer en cours de route si la chancellerie estime que cela est nécessaire pour garantir une position gouvernementale cohérente et assurer le succès des négociations » – un pouvoir qui serait toutefois limité aux dossiers les plus problématiques.
Le SPD, de son côté, exprime des réticences à renforcer les prérogatives de la chancellerie sur la politique européenne, actuellement partagées avec les ministères des Affaires étrangères et de l’Économie. Il propose plutôt d’imposer au gouvernement un délai pour rendre publiques ses positions, afin d’augmenter la pression pour trouver un consensus.
Mais cette solution ne satisfait pas la CDU/CSU, car elle ne garantit pas l’absence d’abstentions dues aux désaccords internes. Pourtant, les négociateurs restent confiants : un compromis semble à portée de main.
C’est désormais aux dirigeants des partis de trancher ces différends dans les prochains jours.
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