« Internationaliser l’€ une urgence!  » Je souscris…

Cette Tribune a été publiée dans Le Figaro par MH Bérard, F. Fatah, P.Lamy président emeritus de l’Institut Jacques-Delors, L.Schweitzer et P. Vimont qui en appellent à la nouvelle Commission européenne et priorisent parmi tous les défis auxquels l’Union européenne est confrontée, celui de la dimension internationale de l’EURO, notre monnaie commune, pour résister à l’hégémonie du $ US.


Il est urgent que l’Union européenne agisse pour résister à l’extraterritorialité des sanctions américaines, estiment Marie-Hélène Bérard, Farid Fatah, Pascal Lamy, Louis Schweitzer, et Pierre Vimont. Ils proposent des pistes pour contrer l’hégémonie du dollar sur la scène internationale.


Dans un contexte international qui n’a cessé de se tendre depuis l’élection de Donald Trump, la souveraineté européenne a été, comme on pouvait s’y attendre, l’un des thèmes de l’élection européenne de mai 2019. Il faut se féliciter de cette prise de conscience, mais reconnaître, en même temps, que cette souveraineté est encore bien partielle, notamment vis-à-vis des États-Unis d’Amérique qui se sont arrogé le droit unilatéral d’imposer des sanctions extraterritoriales au reste du monde. Les cas récents Iran, Cuba, Russie ont montré pour le moment l’incapacité de l’Europe à trouver la parade à l’ingérence des États-Unis. Et pourtant, les moyens existent, nous en avions proposé une bonne dizaine dans une note publiée par l’Institut Jacques-Delors en octobre 2018 (Policy paper no 232).

À la suite de leur retrait unilatéral en 2018 de l’accord nucléaire signé avec l’Iran, les États-Unis ont mis en place des sanctions applicables à toutes les entreprises et entités qui entretiendraient des relations commerciales et financières avec ce pays. Ils ont mis fin, il y a quelques mois, aux dérogations pétrole qu’ils accordaient à huit États, privant ainsi l’Iran de l’essentiel de ses ressources. Face à cette situation, qu’a fait l’Europe? Beaucoup de déclarations de principe, mais peu d’actions.

L’Europe a redonné vie à un vieux règlement de 1996, dite loi de blocage, enjoignant aux entreprises européennes de ne pas se soumettre aux diktats américains, de lui déclarer les mesures de rétorsion dont elles feraient l’objet, afin éventuellement de les indemniser. Ce texte, jamais appliqué par le passé, n’a pas eu plus de succès cette fois-ci. Face au choix de recourir à cette loi ancienne et compliquée ou perdre leur marché américain, la décision des entreprises a été vite prise.

La montée des tensions observées dans le Golfe porte en elle le risque d’une confrontation militaire directe entre les États-Unis et l’Iran

Une deuxième tentative a consisté à établir un circuit commercial direct avec l’Iran, puisque aucune banque européenne, face aux menaces des sanctions américaines, ne veut plus désormais intervenir. À défaut d’accord au sein de l’Union européenne, trois pays – la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ont monté un mécanisme ad hoc hors banques, basé à Paris, qui dispose même d’un président. Mais Instex ne concerne que les seuls produits alimentaires et pharmaceutiques autorisés à titre humanitaire par les États-Unis. Empêchés d’y mettre leurs recettes de pétrole, les Iraniens n’ont pas les moyens d’alimenter ce fonds qui peine donc à se mettre en place, d’autant plus que les autorités américaines maintiennent l’ambiguïté sur le degré de tolérance qu’elles seraient prêtes à accorder à ce mécanisme. Et l’engrenage se produit sous nos yeux: les autorités iraniennes viennent d’annoncer le dépassement du plafond autorisé d’uranium enrichi et s’apprêtent à reprendre certaines opérations interdites par l’accord nucléaire. La montée des tensions observées dans le Golfe porte en elle le risque d’une confrontation militaire directe entre les États-Unis et l’Iran que les principaux acteurs internationaux semblent pour le moment avoir beaucoup de mal à écarter.

S’agissant de Cuba, où les sanctions visent des entreprises disposant d’actifs ayant appartenu à des propriétaires cubains avant la révolution de 1959, l’Union européenne prépare une plainte à l’OMC. Cette procédure avait été ouverte en 1996 dans un cas analogue. À l’époque, les États-Unis avaient finalement transigé. Et pourtant, si elle le décidait, l’Union européenne ne serait pas dépourvue de moyens de réplique. Parmi ceux que nous proposions en octobre 2018, l’interdiction faite aux banques relevant d’un pays pratiquant l’extraterritorialité de travailler en Europe ; une mesure imposant à toutes les entreprises étrangères présentes sur le territoire de l’Union de respecter les normes environnementales européennes, y compris dans leurs implantations hors Europe ; en matière de concurrence, où les règles européennes sont plus strictes qu’aux États – Unis, imposer aux entreprises étrangères ayant un lien avec le territoire européen le même degré d’exigence ; créer un système de règlements et transferts financiers propres à l’Europe, pour éviter les blocages de Swift ; imposer aux entreprises non-européennes qui traitent des données des citoyens européens de se conformer au Règlement européen général sur la protection des données. De telles dispositions impliquent une décision de l’ensemble des États membres. Certaines visent directement à contrer l’extraterritorialité américaine, d’autres à affirmer l’Europe comme une puissance globale édictant des normes utiles pour le reste du monde.

Ce renforcement de l’euro devrait, à notre sens, figurer au cœur des priorités des quatre familles politiques (PPE, S&D, Renew Europe, Verts)

Mais le principal atout des Américains reste le dollar. Si la monnaie européenne est à peu près au niveau du dollar comme monnaie de facturation, un peu en dessous comme monnaie de paiement, elle est très loin derrière comme monnaie de réserve, monnaie d’émission d’actifs financiers ou encore monnaie de change. Le dollar reste la première monnaie mondiale, forte de l’immense puissance économique et militaire américaine. Et pourtant, l’Europe en tant que première puissance commerciale peut légitimement prétendre à plus d’influence et de responsabilité sur la scène internationale. Encore faut-il avoir la volonté de traduire cette force économique et commerciale en actions concrètes.

La précédente Commission européenne a élaboré un plan détaillé de renforcement de l’euro en décembre 2018. Cela devrait être la priorité du nouveau Parlement européen. Constatant que l’euro n’était pas encore revenu à la situation qui était la sienne avant la crise de 2008, la Commission proposait notamment l’achèvement de l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux, un système de paiement instantané pleinement intégré, l’augmentation de la part des dettes européennes libellées en euros. De son côté, Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, lors d’une conférence à New York en février 2019, a détaillé les actions permettant un renforcement de l’euro et mis en évidence toute l’importance pour le rôle international de la monnaie européenne de politiques économiques harmonisées au sein de la zone euro.

Ce renforcement de l’euro devrait, à notre sens, figurer au cœur des priorités des quatre familles politiques (PPE, S&D, Renew Europe, Verts) lorsqu’il s’agira d’investir la nouvelle Commission européenne suite aux propositions du Conseil européen de juillet et, plus généralement, de construire un contrat de coalition entre forces parlementaires pro-européennes pour la nouvelle législature. (Institut Jacques-Delors, Policy paper no 240).

Si nous ne nous réveillons pas, si le nouveau Parlement ne fait pas pression sur les États pour davantage de souveraineté européenne et plus d’euro, nous risquons de subir encore longtemps des décisions américaines unilatérales. Aujourd’hui l’Iran et Cuba, demain peut-être la Chine en cas de nouvelle pulsion trumpienne. N’est-il pas temps pour l’Europe de se mobiliser enfin pour définir et mettre en œuvre sa propre politique étrangère?


Crédits photo : Petronilo G. Dangoy Jr./Jun Dangoy – Fotolia