Revenu universel : une solution contre la crise économique en Europe ?

Léo Lictevout

Régulièrement évoqué comme une alternative aux différents modèles redistributifs européens, le revenu universel fait son retour dans le débat à la faveur de la crise économique, pour palier l’instabilité qu’elle engendre. A quoi correspond-il, et comment est-il envisagé par les pays européens ?

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Le 6 avril dernier, le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez annonçait vouloir accélérer la mise en place d’un revenu universel. Déjà évoquée dans le programme de la coalition de gauche au pouvoir, cette réforme serait la première du genre à être instaurée par un Etat européen.

L’idée semble bénéficier d’un regain d’intérêt, à l’heure où la pandémie de Covid-19 a forcé la fermeture temporaire de nombreuses entreprises, et plongé des millions d’Européens en situation de chômage partiel ou de baisse de revenus. Elle n’a d’ailleurs pas été évoquée qu’à Madrid : aux Etats-Unis, le « stimulus check » promis par Washington aux citoyens américains pour atténuer les conséquences de la crise, bien que ponctuel, brise le tabou d’un transfert financier direct et automatique aux particuliers, tandis qu’au Royaume-Uni, l’idée d’un « revenu universel d’urgence » a été proposée au Parlement. En France, plus de 80 personnalités politiques et civiles ont signé, le 4 mai, un appel à la mise en place d’un « socle citoyen ». La Corse souhaite de son côté l’expérimenter sur son territoire. En temps de crise, ce système apparaît en effet comme un moyen de protéger les citoyens contre une perte soudaine de revenus, et contre les instabilités du marché du travail.

Qu’est-ce que le revenu universel ?

L’idée est formulée pour la première fois au XVIe siècle par l’humaniste Thomas More, qui imagine une société utopique où chaque individu serait assuré de pouvoir subvenir à ses besoins, indépendamment de son travail. Reprise plus tard par le philosophe John Rawls dans son ouvrage Théorie de la Justice, elle est aujourd’hui défendue par des intellectuels comme Philippe Van Parijs, et des personnalités politiques de gauche comme de droite.

Le revenu universel viserait, selon les écoles, à soutenir le retour à l’activité des demandeurs d’emploi, à désaliéner les citoyens du travail, à assurer un niveau de vie décent… La plupart de ces propositions s’accordent en tout cas sur une définition commune : il s’agit d’une somme versée à tous, de manière automatique et inconditionnelle, qui doit permettre à l’individu de subvenir à ses besoins primaires et de se protéger des aléas de la vie.

Mais si l’idée d’un transfert financier universel semble facile à mettre en place, « le sujet n’a que l’apparence de la simplicité« , rappelle l’économiste Marc de Basquiat, interrogé par Toute l’Europe : « il ne s’agit pas seulement de donner de l’argent à tout le monde, c’est une réforme qui doit s’insérer dans des systèmes nationaux de redistribution complexes« . En Europe, où cohabitent une multitude de systèmes sociaux et fiscaux, le revenu universel est-il voué à rester une utopie ?

Marc de Basquiat - Crédits : FlickrMarc de Basquiat est ingénieur et docteur en économie. Expert des politiques de redistribution, il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE). Avec le philosophe libéral Gaspard Koenig, il a publié en 2014 « Liber, un revenu de liberté pour tous » (Éd. de l’Onde / Génération libre), dans lequel il propose la mise en place d’un revenu universel par impôt négatif en France.

Une réforme d’ampleur

La mise en place d’un revenu de base s’avère d’autant plus complexe qu’à l’heure du Covid-19, la plupart des gouvernements européens rencontrent d’importantes difficultés budgétaires. Pour les Etats du sud de l’Europe, dont les finances publiques sont alourdies par la dette, l’instauration de nouveaux minimas sociaux risquerait de creuser des déficits déjà élevés. Pour les pays d’Europe du Nord, disposant de plus de marge de manœuvre, la récession attendue et l’impératif sanitaire poussent les gouvernements à défendre des politiques de rigueur budgétaire. Il est ainsi essentiel qu’un système de revenu universel soit neutre sur le plan budgétaire pour ne pas le rendre dépendant des crises, estime Marc de Basquiat : « si l’on veut mettre en place un système qui s’inscrive dans la durée et pas sur trois mois, il faut forcément qu’il soit équilibré« . En 2017, l’OCDE avait ainsi estimé que pour qu’un revenu universel ne pèse pas sur les finances publiques, son montant devrait s’élever à 527 € pour la Finlande, 158 € en Italie, ou encore à 456 € en France.

Mais la mise en place d’un revenu de base ne concerne pas seulement les dépenses, rappelle l’économiste : « un projet de revenu universel est d’abord une réforme de l’impôt sur le revenu« , et donc des recettes. Marc de Basquiat défend ainsi l’instauration d’une flat-tax (impôt universel à taux unique) à 30 %, associée à un revenu de base de 500 €. « Une personne serait taxée à 30 %, et soustrairait du montant de cet impôt mensuel 500 € par personne du foyer. C’est cette somme, ce crédit d’impôt, que l’on nomme revenu universel (…) Ainsi, une personne sans revenus touche les 500 € sans rien payer, une personne avec un peu de revenus touche 500 € moins le montant de son impôt à 30 %« , poursuit-il.

Un montant insuffisant ?

Les détracteurs du revenu universel pointent en effet du doigt les montants calculés par l’OCDE, inférieurs aux seuils de pauvreté des pays concernés (909 € en France, 737 € en Italie…). Pour Marc de Basquiat, le revenu de base n’a pas forcément vocation à atteindre ce seuil, qui « ne correspond pas au minimum qu’il faut pour vivre. C’est un indice statistique, fixé à un certain pourcentage du revenu médian, (…) rien ne dit que les gens doivent être à ce seuil de pauvreté pour pouvoir subvenir à leurs besoins« , nuance l’économiste. Il estime d’ailleurs que le revenu universel n’a pas vocation à subvenir à tous les besoins : par exemple, « les propositions sérieuses de revenu universel ne prennent jamais en compte la question du logement, pour lequel il faut des aides distinctes qui dépendent de l’endroit où l’on habite, de la situation familiale…« , ajoute-t-il.

Volonté politique et citoyenne

Si les projets d’instauration d’un revenu universel refont surface dans le contexte actuel, le soutien politique et citoyen à cette idée n’est pas nouveau en Europe. Populaire chez les jeunes du continent, le revenu universel bénéficie d’environ 50 % d’opinions favorables dans plusieurs Etats européens (ce chiffre atteignant près de 80 % en Lituanie). Mais l’offre politique en faveur de cette idée reste marginale, délaissée par la plupart des partis de gouvernements et prisée surtout des partis pirates et écologistes. Elle reçoit toutefois le soutien de certaines personnalités politiques, de droite comme de gauche, comme l’ancien ministre grec Yanis Varoufakis, l’ancienne ministre française Nathalie Kosciusko-Morizet ou l’ancien candidat à l’élection présidentielle Benoit Hamon.

Malgré une offre politique réduite, plusieurs expérimentations ont tout de même été mises en place au cours de la dernière décennie. En 2017, 2 000 demandeurs d’emplois finlandais tirés au sort ont ainsi reçu une allocation mensuelle inconditionnelle de 560 € pendant dix-huit mois. Les conclusions de cette expérience ont été saluées : les bénéficiaires se sont montrés plus heureux, en meilleure santé, et plus enclins à prendre des risques (monter une entreprise, changer de secteur professionnel…). Le gouvernement d’Helsinki a cependant fait le choix de ne pas pérenniser l’initiative, constatant un effet trop faible sur le retour à l’emploi, et craignant une hausse du déficit.

D’autres expérimentations ont été menées à Utrecht aux Pays-Bas, à Berlin en Allemagne, ou en Italie, où le Mouvement 5 étoiles au pouvoir depuis 2018 a instauré un « revenu de citoyenneté ». Toutefois, la plupart de ces initiatives ne concernent que les demandeurs d’emplois, et comportent souvent plusieurs conditions, les rapprochant plus d’un « RSA étendu » que d’un véritable revenu universel. Par ailleurs, « aucune des expérimentations qui ont été faites ne comportait de composantes fiscales, elles ne sont donc pas généralisables ou copiables ailleurs« , rappelle Marc de Basquiat. A l’inverse, l’expérimentation souhaitée par la Corse prévoit une réforme de l’impôt pour la financer : « si on peut le tester en Corse, on apprendra réellement quelque chose« .

Quel appui de l’Union européenne ?

Observant une tendance européenne dans le soutien au revenu universel, certains défenseurs de l’idée cherchent à la porter au niveau supranational : elle est par exemple régulièrement inscrite au programme de certains partis lors des élections européennes. Au sein de la société civile, le réseau européen « Unconditional Basic Income Europe » appelle par ailleurs à l’organisation d’expériences simultanées dans plusieurs pays, co-financées par l’Union européenne. Ce réseau a également déposé deux Initiatives citoyennes européennes, en 2012 et en mai 2020, défendant la mise en place d’un revenu universel européen. Un tel dispositif a toutefois très peu de chances d’émerger : Marc de Basquiat souligne en effet l’impossible généralisation d’un même système à travers des pays aux différences profondes. « Il faut être extrêmement modeste là-dessus, et regarder les dispositifs fiscaux et sociaux de chacun des pays. Ils sont tous différents. (…) L’analyse doit être faite pays par pays« . Du point de vue juridique, l’idée est également mise à mal : si la politique sociale est définie par les traités comme un objectif européen, elle demeure une prérogative des Etats, sur laquelle l’UE ne dispose que d’une compétence d’appui.

L’Union dispose en revanche de plusieurs instruments qui lui permettent d’apporter un soutien financier aux politiques sociales des Etats membres : c’est le cas en Italie, où elle participe au financement du « revenu de citoyenneté » à travers le Fonds social européen. Plus récemment, la mise en place d’un dispositif d’urgence, SURE, a permis à l’Union d’assurer les pays dans le financement du chômage partiel causé par la pandémie de Covid-19. Dépourvue d’influence sur le plan politique, l’Union européenne pourrait ainsi fournir un appui financier à la mise en place d’un revenu universel dans les Etats qui lui en feraient la demande.

En quoi consiste le mécanisme européen de réassurance chômage ?

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