Qu’est-ce que la directive européenne sur le droit d’auteur ?

Un article publié par notre partenaire Toute l’Europe


Après deux ans d’âpres négociations, les institutions européennes ont finalement approuvé la directive sur le droit d’auteur. Après le Parlement européen le 26 mars 2019, le Conseil de l’Union européenne a mis fin le 15 avril à un long processus législatif. Les deux institutions ont validé le principe d’une meilleure rémunération des artistes et éditeurs de presse à partir du trafic généré par leurs contenus sur des plateformes comme Google ou YouTube.


« A chaque vache son veau, à chaque livre sa copie. » C’est par ces mots qu’au VIème siècle, le roi irlandais Diarmait mac Cerbaill aurait tranché l’une des plus anciennes affaires juridiques liées au droit d’auteur. L’anecdote – contestée par certains historiens – est rapportée par le comte de Montalembert dans son ouvrage Les moines d’Occident depuis Saint Benoît jusqu’à Saint Bernard. À la faveur d’une visite chez son ancien maître, l’abbé Colomba d’Iona aurait effectué en cachette la copie d’un psautier afin de la diffuser. Averti de la manœuvre, le moine Finnian de Moville lui aurait réclamé cette réplique, arguant que « la copie faite sans permission doit appartenir au maitre de l’œuvre originale« . Le copiste aurait refusé, et l’affaire serait arrivée devant le roi, qui aurait donné raison à Finnian.

Véridique ou non, l’affaire fait écho à la discorde suscitée quelque 1 400 années plus tard par la proposition de directive sur le droit d’auteur, initiée en 2016 par la Commission européenne. L’objectif avancé par Bruxelles était d’adapter le droit d’auteur de l’UE à l’ère numérique et de mieux protéger les détenteurs de droits, comme les artistes créateurs et les éditeurs de presse. Une idée contestée par les défenseurs de la diffusion libre sur internet selon qui il s’agit d’une restriction de l’accès aux savoirs.

Après d’âpres débats, un premier rejet du texte début juillet 2018 et plus de 250 amendements déposés, le Parlement européen était cependant parvenu à donner un premier accord sur les grandes lignes de la réforme en septembre 2018 (438 voix contre 226). « Merci beaucoup pour cet effort de groupe », avait alors soufflé le rapporteur Axel Voss (PPE) à l’issue du vote, évoquant un « excellent message envoyé aux industries créatives européennes ». Mais le chapitre n’était pas clos pour autant.

Des négociations se sont ensuite engagées entre le Parlement et le Conseil des ministres de l’UE, qui a fait connaître sa propre vision du droit d’auteur en mai 2018, pour parvenir à une version finale du texte. Une phase appelée « trilogue », à laquelle a également participé la Commission européenne.

Ce trilogue a abouti mercredi 13 février à une ultime mouture de la directive. Cette dernière a été approuvée par 348 votes pour, 274 contre et 36 abstentions par le Parlement européen réuni en session plénière à Strasbourg, mardi 26 mars 2019. Le Conseil de l’UE a entériné le texte le 15 avril. Les Etats membres ont désormais deux ans pour transposer les dispositions dans leurs droits nationaux.

Qui est concerné par le droit d’auteur ?

Né avec le développement de l’imprimerie et la diffusion des livres, le droit d’auteur s’est peu à peu étendu à tout créateur d’œuvre originale. De manière non exhaustive, sont concernés : les créations musicales, cinématographiques, les écrits journalistiques, les photographies, les créations de mode, les logiciels, etc. Le droit d’auteur protège également ceux que le jargon juridique qualifie d’ayants-droits : les héritiers et les personnes ou entités qui auraient racheté les droits des créateurs, comme le font les maisons de production.

Ainsi, les créateurs comme les ayants-droits peuvent autoriser ou non la diffusion d’une œuvre (au cinéma par exemple), autoriser ou non sa reproduction (sur DVD, streaming…), traduire en justice les auteurs de contrefaçons (comme les sites de streaming illégaux) et percevoir une rémunération.

Pourquoi l’Union européenne a-t-elle souhaité moderniser le droit d’auteur ?

Certaines facettes du droit d’auteur ont déjà été harmonisées à l’échelle européenne. Mais cette législation remonte à 2001, à l’heure où internet balbutiait encore. L’explosion du numérique et l’émergence des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ont mis le droit d’auteur face à de nouveaux défis : Google doit-il payer pour afficher une photographie en miniature sur son moteur de recherche ? Et lorsqu’il enregistre des « clics » via ses agrégateurs de contenus qu’il n’a lui-même pas produit ? Un titre ou un hyperlien peuvent-ils être protégés par le droit d’auteur ? Quid des clips musicaux chargés sur YouTube par les internautes, sans rétribution des auteurs ou de leurs ayants-droits ? Les questions adressées à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se sont multipliées pour savoir comment interpréter la directive de 2001, poussant la Commission européenne à entreprendre l’adaptation de sa législation à l’ère numérique.

En septembre 2016, la Commission a ainsi dévoilé une proposition de directive sur le droit d’auteur. L’idée était de clarifier certaines incertitudes juridiques ainsi que de renforcer la position et la rémunération des ayants-droits face aux géants d’internet.

Mais si le constat d’un droit d’auteur inadapté était largement partagé, les réponses ont fortement divergé parmi les différents acteurs du net. Comme la Commission, certains se sont catégoriquement placés du côté des ayants-droits. Se sont opposés à eux, ceux que l’on qualifie souvent de défenseurs des libertés numériques, et qui contestent l’idée d’une régulation contraignante ainsi que les dérives qu’elle pourrait entraîner.

Que contient la version finale de la directive ?

Comme l’indique le Parlement, la directive sur le droit d’auteur, telle que votée le 26 mars 2019, doit permettre aux titulaires de droits (les créateurs) et aux éditeurs de presse « d’obtenir de meilleurs accords de rémunération » pour l’utilisation de leurs œuvres et contenus « figurant sur les plateformes internet« . La loi européenne rend ainsi les plateformes « directement responsables des contenus uploadés sur leur site et donne automatiquement le droit aux éditeurs de presse de négocier des accords au nom des journalistes pour tout article utilisé par les agrégateurs de nouvelles« .

Plusieurs points ont suscité une intense controverse.

1. L’utilisation des contenus par les plateformes internet

Les défenseurs des libertés numériques fustigeaient d’abord l’article 13 du texte (désormais article 17), lequel pourrait, selon eux, conduire à des formes de censure.

Ce que proposait la Commission : La Commission européenne souhaitait donner plus de poids aux titulaires de droits dans leurs négociations avec les plateformes internet « qui stockent et proposent au public des œuvres ou autres objets proposés par le droit d’auteur« . C’est le cas d’une plateforme comme YouTube, qui héberge de nombreux clips vidéo, chargés par les utilisateurs, et qui serait avec cette directive « tenu[e] de conclure des contrats de licence avec les titulaires des droits« .

L’objectif : L’Union entendait ainsi s’attaquer à un problème bien connu dans l’industrie de la musique : contrairement à des plateformes de streaming comme Deezer ou Spotify, qui achètent les licences aux ayants-droits afin de diffuser leur musique, une plateforme comme YouTube ne se considère pas responsable du contenu posté par ses utilisateurs. Et ne reverse que des compensations dérisoires aux ayants-droits en comparaison des revenus publicitaires générés par la plateforme : un phénomène désigné sous l’appellation de value gap.

Ce qui a été adopté : Les plateformes seront désormais responsables des contenus publiés par leurs utilisateurs. Elles auront désormais l’obligation de conclure des accords avec les ayants-droits des œuvres pour qu’ils soient rémunérés lorsqu’elles sont uploadées, ou de retirer les contenus dont la publication ne respecterait pas le droit d’auteur. Au moyen si nécessaire d’outils de filtrage automatique. Les obligations seront néanmoins moins importantes pour les plateformes ayant moins de trois ans d’existence et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros afin de ne pas les pénaliser par rapport aux géants tels que YouTube. Et des exceptions sont prévues s’agissant de l’utilisation d’extrait d’œuvres à des fins parodiques, de gifs ou de mèmes.

Ce qui faisait débat : Le filtrage automatisé était le point le plus controversé.

D’après la Commission européenne, dans le cas de la SACEM par exemple (qui possède et exploite les droits de nombreux compositeurs européens), après avoir négocié avec YouTube une licence d’exploitation, elle donnerait à la plateforme l’empreinte des œuvres de son catalogue, une sorte d’équivalent des empreintes digitales pour des morceaux de musique. YouTube intègrerait l’empreinte à son outil de reconnaissance. Et si cette plateforme s’aperçoit que le même morceau est posté sur sa plateforme, elle devra notifier la SACEM lui donnant plusieurs possibilités : autoriser l’exploitation de l’œuvre, la monétiser ou la bloquer.

Pour les défenseurs des libertés numériques les plateformes en viendront nécessairement à censurer certains contenus pour se protéger des infractions au droit d’auteur. Il sera en effet potentiellement difficile pour une machine de distinguer la véritable contrefaçon de ce qui relève de l’exception au droit d’auteur (par exemple, un extrait audio venant illustrer une vidéo de critique musicale). Plus largement, c’est l’utilisation d’un instrument technologique pour appliquer le droit qui a fait débat.

En revanche, la demande des start-ups du numérique a été entendue : leurs contraintes en termes de filtrage seront allégées par rapport plateformes établies de longue date et connaissant un trafic très important.

2. L’utilisation des articles de presse par les plateformes internet

Ce que proposait la Commission : Dans l’article 11 de sa proposition de réforme (désormais article 15), la Commission souhaitait aussi créer un droit voisin pour les éditeurs de presse. Le droit voisin, comme le droit d’auteur, apporte certaines protections. La différence est qu’il ne s’applique pas aux créateurs, mais aux personnes et entités qui participent à la création de l’œuvre.

L’objectif : Avec la création d’un droit voisin, les éditeurs de presse seraient considérés comme détenteurs des droits sur les articles écrits par les journalistes, chose techniquement difficile à prouver devant un tribunal jusqu’ici. Pour la Commission européenne, ce droit leur permettrait de négocier plus facilement des licences payantes avec les plateformes ou sites internet qui indexent automatiquement leurs articles, comme Google Actualités ou Facebook (ce que l’on appelle des web crawler). La logique est ici la même que pour la lutte contre le value gap et de faire ainsi en sorte que la presse soit bien mieux rémunérée.

Ce qui a été adopté : la création d’un droit voisin du droit d’auteur pour les éditeurs de presse est entérinée. De cette manière, les médias seront rémunérés lors de la réutilisation de leur production éditoriale par les agrégateurs d’informations tels que Google Actualités ou Facebook. Les revenus générés pourront être partagés entre les éditeurs et les journalistes. Et des exceptions au principe sont prévues s’agissant des reprises d’extraits « très courts » ou de mots individuels. Quant au partage d’hyperliens, il restera libre.

Ce qui faisait débat : Parmi les critiques, nombreux sont ceux qui ont cité l’exemple de l’Espagne. En 2014, le pays a voulu protéger les éditeurs de presse face à Google Actualités. Ce dernier a répondu en déréférençant tous les articles de la presse espagnole, conduisant à une forte baisse de leur fréquentation.

Toutefois, la loi édictée par Madrid est légèrement différente de ce que prévoit le texte adopté par les institutions européennes, puisqu’elle établit un droit « inaliénable » des éditeurs à recevoir une « juste compensation » de la part des agrégateurs gratuits qui reproduisent leur contenu. La directive européenne laisse, elle, la possibilité ou non de réclamer cette compensation financière. Bruxelles parie également sur le poids démographique que représente l’Union européenne, qui la différencie de la péninsule ibérique : presque 500 millions d’habitants contre 46 millions pour l’Espagne.

Les opposants dénonçaient également une « taxe sur l’hyperlien » et une attaque contre les snippets (image et texte accompagnant souvent un hyperlien), des éléments selon eux essentiels du partage sur internet. Ces deux aspects ont été pris en compte et sont exclus de la directive.

3. La fouille automatique de textes et de données

Ce que proposait la Commission : Généraliser dans l’UE l’exception au droit d’auteur pour la fouille automatique de textes et de données, plus connue sous son appellation anglaise text and data mining (TDM). Le TDM est un mélange de méthodes et d’outils technologiques qui permettent aux chercheurs de fouiller automatiquement un grand nombre de publications et de données scientifiques. L’extraction de ces données permet ainsi de trouver des informations précises, ou d’établir des relations entre plusieurs phénomènes. Un peu comme lorsqu’on effectue une recherche Google, sauf que les textes et données utilisés lors du data mining sont souvent soumis au droit d’auteur.

L’objectif : L’objectif affiché par la Commission est de généraliser l’autorisation du TDM en Europe, en accordant une exception au droit d’auteur – c’est-à-dire une dérogation aux règles du droit d’auteur – pour les « reproductions et extractions effectuées par des organismes de recherche, en vue de procéder à une fouille de textes et de données« .

Ce qui a été adopté : La directive exclut bien le TDM de son champ d’application, et afin de « supprimer » un « désavantage compétitif » dont souffrait les chercheurs européens, explique le Parlement européen.

Ce qui faisait débat : La disposition était plutôt bien accueillie, mais certains auraient aimé l’élargir au bénéfice des organismes de recherches privés et des entreprises. Pour eux, laisser aux organismes publics le monopole d’accès à ces textes freinerait l’innovation, notamment dans des domaines comme l’intelligence artificielle. A l’inverse, d’autres estimaient qu’en élargissant l’exception au privé, le système de rémunération des éditeurs de revues scientifiques – basé sur des licences payantes – ne soit mis en péril.

Quelles réactions ?

Aucun groupe politique européen n’a pris une position unanime lors du vote de la directive, mardi 26 mars 2019. En ce qui concerne les eurodéputés français, ces derniers ont, dans leur grande majorité, approuvé le texte. Parmi eux, seuls Younous Omarjee (La France insoumise) et Marie-Christine Vergiat (ex-Front de gauche) ont voté contre, tandis que la majeure partie des écologistes (Karima Delli, Yannick Jadot, Eva Joly, Michèle Rivasi) s’est abstenue.

Pour l’eurodéputé allemand Axel Voss (CDU), rapporteur du texte, « cette directive représente un véritable progrès qui permet de corriger une situation ayant permis à quelques entreprises de gagner d’énormes sommes d’argent sans rémunérer correctement les milliers de créateurs et de journalistes dont elles dépendent« . Pour l’élu de la droite européenne, suffisamment d’exceptions « garantiront qu’internet reste un espace de libre expression« . En définitive, pour M. Voss, le texte va aider à « préparer l’internet du futur, un espace qui profite à tout le monde et pas uniquement à quelques puissants« .

Une opinion très largement partagée par Virginie Rozière et Pervenche Berès, eurodéputées membres des socialistes et démocrates, selon qui l’approbation de la directive sur le droit d’auteur marque « une victoire historique pour la culture et la liberté de la presse au XXIème siècle« . Selon elles, il était nécessaire de « rééquilibrer le rapport de force en défendant ceux qui font, ceux qui créent, tout simplement car tout travail mérite salaire« .

Même son de cloche encore de la part de la Société des auteurs de l’audiovisuel, selon qui le texte représente un « grand accomplissement pour les auteurs européens« . Ou encore de la Fédération européennes des journalistes, qui salue « des dispositions clés pour le secteur de l’information et les auteurs, notamment un droit pour les journalistes à une part des revenus générés en ligne grâce à leur travail« .


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