Une politique européenne d’immigration et d’asile pour l’avenir

Dimitris Avramopoulos

Commissaire européen chargé des migrations, des affaires intérieures et de la citoyenneté

Une publication de notre partenaire la Fondation Robert Schuman

 

De mémoire d’homme, nous avons survécu à deux guerres mondiales et construit une Union européenne qui a apporté la paix, la sécurité et la prospérité à ses citoyens depuis plus de 60 ans déjà. Dorénavant, certains tiennent tout cela pour acquis, voire remettent en cause l’existence même de l’Union européenne. Cependant, la nécessité de rester unis et de trouver des solutions aux problèmes communs auxquels nous sommes confrontés n’est nulle part plus évidente que dans le portefeuille qui est sous ma responsabilité à la Commission : la migration et la sécurité.

 

Lutter contre la désinformation

Les citoyens ont de réelles préoccupations quant à l’impact de la migration sur leur entourage et voisinage. Nous devons écouter, agir et expliquer parce que les populistes et les nationalistes exploitent déjà largement la question migratoire, répandant souvent la peur et la désinformation.

En 2019, les citoyens voteront pour élire leurs députés européens. Pour la Commission, le Parlement européen est depuis longtemps un interlocuteur de confiance, un acteur respecté et un défenseur du projet européen. Il est urgent de mobiliser et d’empêcher que de sinistres forces extérieures n’influencent notre débat européen par le biais de faux messages et de tweets frauduleux. Il est de notre responsabilité d’assurer un débat de qualité et d’expliquer clairement la différence entre la réalité et la fiction. Dans ce contexte, nous devons ériger un mur contre les forces populistes et nationalistes qui cherchent à nous isoler et à nous diviser.

L’agenda européen des migrations et ses résultats

N’oublions pas que, pendant les périodes sombres de la guerre, de nombreux Européens ont trouvé refuge et sécurité dans d’autres parties du monde. Ils y ont trouvé de quoi reprendre des forces jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux et construire l’Europe unie. Dans le même temps, nous ne devons pas non plus oublier que les personnes qui fuient ou sont déplacées cherchent souvent un abri le plus près de chez elles. Ce sont généralement les plus chanceux qui arrivent en Europe.

L’Union européenne doit continuer à se montrer à la hauteur de ses principes et de ses valeurs en offrant une protection à ceux qui en ont besoin, tout en gérant et en contrôlant la migration afin qu’elle soit perçue comme un avantage pour notre économie et notre société. Nous devons reconnaître la migration et la mobilité humaine comme faisant partie de notre histoire et comme une réalité de notre avenir.

Il y a quelques années, certains ont prédit que la crise financière ferait chuter l’Union européenne. En fait, c’est la crise migratoire qui pourrait remettre en question l’unité de l’Union. Cependant, s’il est vrai que l’Union européenne a été prise au dépourvu par l’ampleur d’une telle migration de masse liée à des conflits en 2015, nous avons depuis agi pour trouver une réponse commune.

L’approche globale de l’Union européenne en matière de migration donne des résultats sur tous les fronts : une coopération plus approfondie avec les pays partenaires, des frontières extérieures mieux protégées et des outils plus efficaces et plus opérationnels pour gérer le fait migratoire à l’intérieur de l’Union européenne. Ces dernières années, nous avons appris que nos actions sont interdépendantes et que tous les éléments doivent s’assembler. Le travail qui a été inscrit à l’Agenda européen sur la migration commence à porter ses fruits, puisque nous remplaçons les migrations dangereuses et incontrôlées par des migrations sûres, ordonnées et régulières.

Après le pic des arrivées massives dans l’Union européenne en 2015, les flux sont désormais largement inférieurs à ceux connus avant cette crise. Par exemple, la route de la Méditerranée centrale – le premier point d’entrée en Europe au début de la crise – a chuté de 80% depuis l’été 2017. Le nombre de demandes d’asile a également diminué de plus de 10 % à ce jour par rapport à la même période de l’année dernière. Au total, les demandes d’asile de 2017 ont diminué de près de moitié par rapport à 2015. Parallèlement, le nombre de morts en mer a continué à diminuer et les opérations de recherche et de sauvetage de l’Union européenne en mer Méditerranée ont permis de sauver plus de 690 000 personnes depuis 2015.

Une coopération étroite et mutuellement bénéfique avec les pays tiers d’origine, de transit et de destination s’est révélée essentielle pour s’attaquer aux causes profondes des migrations, pour lutter contre le trafic illicite de migrants, pour réduire la pression à nos frontières, pour aider les réfugiés dans le besoin et pour rapatrier autres. La coopération avec des gouvernements engagés comme le Niger, ainsi qu’avec des partenaires internationaux tels que l’OIM et le HCR, a permis l’évacuation et la réinstallation de près de 2 500 personnes vulnérables ayant besoin d’une protection internationale, ainsi que le retour volontaire de 40 000 personnes, pour la plupart en Libye et au Niger, au cours des deux dernières années.

La protection des frontières

En outre, nous avons renforcé nos frontières extérieures, avec la création d’une Agence européenne des gardes-frontières et des garde-côtes (Frontex), qui devient de plus en plus opérationnelle chaque jour. Récemment, nous avons proposé de renforcer encore Frontex, avec l’intention de créer un corps permanent de 10 000 gardes-frontières, ainsi qu’un mandat élargi pour opérer dans des pays tiers au-delà de notre voisinage immédiat et offrir davantage d’assistance pour les opérations de retour. De plus, à la suite de tous les efforts et actions entrepris pour mieux protéger nos frontières extérieures et en assurer la sécurité, nous pensons que le moment est venu de prendre des mesures pour lever les contrôles aux frontières intérieures réintroduits de manière temporaire et rétablir pleinement Schengen. Près de 70 % de nos concitoyens estiment que l’espace Schengen est l’une des principales réalisations de l’Union – nous ne pouvons ignorer l’opinion des Européens.

L’aide au retour est une autre question pour laquelle nous avons apporté d’importantes améliorations. Nous avons déjà 17 accords de réadmission existants et 6 arrangements, et nous voulons en conclure d’autres dans un proche avenir. E la même manière que nos règles ont été renforcées en matière de retour, nous voulons améliorer sensiblement les taux de retour, car l’Union européenne a pris du retard dans ce domaine.

Un système d’asile commun

Nous sommes parvenus à trouver des solutions communes aux défis migratoires en travaillant ensemble, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Mais nous devons rester vigilants et poursuivre ce que nous avons accomplir. Nous devons de construire un système véritablement pérenne, capable de résister à une autre crise.

Bien que nous ayons apporté d’importantes améliorations en matière de gestion de nos frontières extérieures et d’engagement avec les pays tiers pour réduire l’immigration clandestine, nous avons encore du travail en ce qui concerne la réforme de notre système d’asile européen commun mais aussi les voies légales d’immigration.

La Commission a présenté sept propositions visant à améliorer notre système d’asile, chacune d’entre elles ayant une réelle valeur ajoutée en soi. Par exemple, de nouvelles règles européennes concernant les personnes qui remplissent les conditions requises pour bénéficier de l’asile les dissuaderont à déposer des demandes dans plusieurs Etats, parce que les règles pour obtenir l’asile seront les mêmes dans chaque État membre. De même, des règles plus claires en matière de conditions d’accueil garantiront que les demandeurs d’asile seront traités de la même manière et avec dignité dans tous les États membres, ce qui contribuera par la même à prévenir les mouvements secondaires. Cinq de ces sept propositions sont en phase finale de négociation et nous avons demandé au Conseil et au Parlement européen de les adopter prochainement. Les travaux doivent toutefois se poursuivre en vue de trouver une solution équilibrée sur les deux derniers éléments fondamentaux, à savoir la réforme du règlement de Dublin et le règlement relatif aux procédures d’asile.

Le nouveau règlement de Dublin devrait apporter une véritable valeur ajoutée et comporter l’assurance directe d’une aide d’urgence aux États membres sous pression, tout en assurant l’exercice effectif des responsabilités. Les États membres devraient contribuer, sur une base volontaire, à toutes les composantes de l’approche globale visant à soulager ceux qui sont en première ligne. Toutefois, en cas de pression particulière, un filet de sécurité devrait être intégré au système, de sorte qu’en l’absence d’engagements volontaires suffisants, un soutien réel puisse être garanti à l’État membre concerné.

Une question internationale

Nous savons tous que notre époque sera qualifiée par les historiens d’ère de la mobilité humaine. C’est la raison pour laquelle nous devons nous efforcer de gérer la question migratoire à l’échelle mondiale – en réduisant les migrations irrégulières, mais aussi en permettant une migration sûre et ordonnée qui sera de l’intérêt de tous. L’adoption récente du Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et légale a marqué une étape importante à cet égard pour la coopération multilatérale en matière de migration. Plus de 164 États l’ont signée et adoptée, conservant leur pleine souveraineté sur la conception et la mise en œuvre des politiques migratoires, mais avec l’engagement politique de coopérer au niveau international.

Nous avons lancé un appel aux États membres pour qu’ils améliorent les voies légales de migration vers l’Europe, tant en ce qui concerne ceux qui ont besoin de protection que pour la migration économique dont nous avons besoin. Les voies légales d’immigration vers l’Union européenne se sont multipliées pour les personnes ayant besoin d’une protection internationale et, depuis 2015, les programmes de réinstallation ont concerné près de 44 000 personnes. Les États membres se sont engagés à offrir plus de 50 000 places de réinstallation supplémentaires d’ici l’automne 2019. Nous devons intensifier nos efforts pour mieux gérer les migrations liées à la main-d’œuvre, en fonction des besoins de nos économies. La Commission a donc invité le Parlement européen et le Conseil à se mettre d’accord sur une réforme de la directive européenne appelée « carte bleue européenne » pour l’entrée et le séjour des travailleurs hautement qualifiés avant les élections au Parlement européen en mai prochain.

Des moyens budgétaires

Pour mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires en matière de migration et de gestion des frontières extérieures, nous avons proposé de tripler le budget de l’Union européenne relatif à ces dossiers cruciaux pour atteindre près de 35 milliards € au cours des sept prochaines années. Ces solutions durables fondées sur la solidarité et la responsabilité sont ambitieuses, mais elles sont possibles si la volonté politique est présente mais elles sont nécessaires sans aucun doute. Nous avons une petite fenêtre d’opportunité devant nous, et nous ne pouvons pas la laisser se fermer. Il n’y a pas de temps à perdre.

Nous devons achever l’architecture de la stratégie européenne des migrations élaborée et lancée en 2015, à partir de presque rien, compte tenu et à la suite de mouvements migratoires sans précédent. Il s’agit d’une stratégie qui vise à parer l’Union européenne face à toute situation similaire qui pourrait se produire dans un environnement international de plus en plus instable : une politique durable, fonctionnelle, efficace et stable répondant pleinement au droit international et européen et à nos devoirs éthiques et humanitaires.