L’interdiction de l’huile de palme donne du fil à retordre à l’UE


Pour limiter l’utilisation des biocarburants les plus néfastes, la Commission européenne doit définir précisément les risques de changement indirect d’affectation des sols. Un exercice qui pourrait rouvrir la porte aux exportations d’huile de palme.

Dans le cadre de la révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED II), qui doit entrer en vigueur d’ici la fin de l’année, il a été décidé qu’au moins 14 % des transports devraient être alimentés aux énergies propres d’ici 2030. Les biocarburants auront donc un rôle important à jouer dans l’avenir de la mobilité.

Les États membres pourront continuer à utiliser des biocarburants issus de cultures vivrières, mais la part de ceux-ci ne pourra plus augmenter à partir de 2020 et ne pourra pas dépasser les 7 %. Le reste devra être assuré grâce à l’électricité, à l’hydrogène vert ou des biocarburants issus de matières non comestibles. Les nouvelles règles, approuvées par le Parlement la semaine dernière, prévoient l’élimination des biocarburants jugés non durables d’ici 2030.

La question des carburants à éliminer n’est cependant pas encore résolue. La Commission n’a pas encore déterminé les cultures qui représentent un « risque élevé de changement indirect d’affectation des sols » et celle qui ne comportent qu’un « risque faible ». Dans la dernière version du texte, ces formulations remplacent un passage plus explicite se référant directement à l’huile de palme dans la proposition initiale.

Le changement indirect d’affectation des sols (CIAS) a principalement lieu quand la production agricole s’étend suite à une augmentation de la demande de matières de base pour les biocarburants. Ainsi, ces biocarburants finissent par aggraver un changement climatique qu’ils sont censés combattre.

Les matières premières qui ne posent qu’un risque faible de CIAS seront exemptées des règles de RED II. La Commission doit donc décider comment différencier les différents types de biocarburants dans un acte délégué qui devrait être publié en février. Le 19 novembre, un événement rassemblait les principaux acteurs du secteur, afin de rassembler leurs idées.

Quelques jours plus tôt, le 16 novembre, le Conseil international du transport propre a prévenu dans une étude qu’une « interprétation trop simple » des critères de CIAS pourrait « permettre un doublement du volume d’huile de palme utilisé dans les biocarburants européens par rapport à la consommation actuelle ».

Ses chercheurs estiment en effet que la production actuelle d’huile de palme pourrait finir par être définie comme présentant un risque faible. On estime que jusqu’à 5 millions de tonnes du produit pourraient être extraites d’Indonésie et de Malaisie sans enfreindre les mesures de la RED II.

Le double discours de l’UE sur l’huile de palme

Le marché européen est ouvert à l’huile de palme, affirme l’ambassadrice de l’UE en Malaisie, tandis que le Parlement européen réclame l’interdiction des biocarburants issus d’huile de palme.

L’organisation juge pour sa part que des preuves « solides » indiquent que l’huile de palme, et même le soja, représentent en réalité un risque élevé de CIAS. Des données satellites montrent qu’au moins la moitié de l’expansion de la culture de palme en Indonésie et en Malaisie a transformé en terres agricoles des forêts et marais, véritables puits de carbone.

Zoltán Szabó, consultant spécialisé dans les bioénergies, explique que le marché actuel de l’huile de palme pourrait se contenter d’envoyer ses produits certifiés et issus de terres dédiées depuis longtemps à l’agriculture vers les marchés européens et de vendre l’huile produite sur les terres récemment conquises à la forêt à des marchés moins regardants. « Au final, ça ne changera rien », prévient-il.

En ce qui concerne le soja, l’étude indique que bien qu’indirect, l’impact est réel.  Un moratoire sur le déboisement de la forêt tropicale d’Amazonie pousse en effet les plantations à s’installer de plus en plus sur des terres qui servaient à l’élevage, ce qui repousse bétails et éleveurs vers la forêt.

Ses auteurs font donc remarquer que « les critères de la RED II, selon lesquels les biocarburants à faible CIAS ‘permettent d’éviter le déplacement des cultures et du bétail grâce à des pratiques agricoles améliorées et à l’utilisation de zones non cultivées auparavant’, ne réduisent pas nécessairement l’impact des biocarburants en termes de déplacement et de CIAS ».

Ils encouragent donc la Commission à adopter des « critères spécifiques et substantifs » pour s’assurer que l’origine des matières premières est établie. Ils conseillent un système calqué sur le mécanisme pour un développement propre.

Hans van Steen, de l’unité de la Commission sur l’efficacité énergétique, souligne le « rôle important » du processus de consultation des acteurs du secteur, qui permettra à l’exécutif européen de définir les critères de risque faible et élevé.

L’ONG de mobilité propre Transport&Environment fait quant à elle remarquer que « la modélisation européenne la plus récente sur le changement d’affectation des sols, GLOBIOM, montre clairement que les biocarburants issus d’huile de palme ou d’huile de soja sont les biocarburants les plus nuisibles en termes d’émissions liées au CIAS ».

« La réalité, c’est qu’il n’y a pas de diesel à l’huile de palme à faible CIAS », tranche Laura Buffet, qui s’occupe des carburants pour l’ONG. « Nous devons donc nous assurer que l’acte délégué ne permet pas à l’huile de palme ou de soja de revenir discrètement dans le marché européen ».

Huile de palme, nouvel ennemi numéro un ?

L’huile de palme et son lien avec le changement climatique et la déforestation ont attiré beaucoup d’attention depuis quelques mois. Une tension illustrée par l’interdiction au Royaume-Uni d’une publicité montrant l’impact de son utilisation sur les orangs-outans, qui a du coup fait le tour de la toile.

La chaine de supermarchés Iceland voulait faire de la publicité, créée par Greenpeace, son spot publicitaire de Noël, mais les autorités l’ont jugée « trop politique » et ont interdit sa diffusion à la télévision. Depuis, la vidéo a été vue plus de 5 millions de fois sur YouTube.

Une étude de la Société zoologique de Londres, publiée ce mois-ci et définie comme « la plus grande enquête au monde sur les producteurs et négociants d’huile de palme », démontre que les promesses de non-déforestation de l’industrie pourraient être creuses, puisqu’il n’y a pas de vraie surveillance.

La disparition d’habitats et d’espèces en danger, comme le tigre de Sumatra ou les orangs-outans, ne sera donc pas documentée.

La Société zoologique de Londres, via sa boîte à outils sur la transparence des politiques de durabilité, s’est penchée sur les 70 plus grands producteurs et vendeurs d’huile de palme. Si 49 d’entre eux ont fait des promesses, la plupart de celles-ci manquent cruellement d’ambitions et ne sont jamais suivies de vérifications efficaces.

 



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