Le plan d’attaque de Viktor Orbán pour une nouvelle Europe illibérale – EURACTIV.fr


Viktor Orbán, qui avait été encouragé à ses débuts par Helmut Kohl, lance une attaque en règle contre l’Europe ouverte et libérale. Un article d’Euractiv Croatie.

Helmut Kohl était une figure historique majeure, le chancelier qui a uni l’Allemagne et posé les fondations de l’Union européenne telle que nous la connaissons : espace Schengen, liberté de circulation, monnaie unique. Il avait un seul défaut : il n’a pas bien choisi ses protégés.

Après la réunification de l’Allemagne, une physicienne avec un doctorat en chimie quantique a retenu l’attention d’Helmut Kohl. Il introduit cette fille de pasteur à son cercle le plus proche et lui donne un poste de ministre. Il s’agit d’Angela Merkel, qu’il appelle « ma fille ». Les Allemands l’appellent maintenant « Mutti » [maman] – certains par respect, d’autres de manière ironique.

Angela Merkel a laissé sa marque tant en politique allemande qu’européenne, mais s’est avérée fatale pour la carrière politique de son mentor – quand le scandale financier de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) a été révélé en 2000, elle a coupé l’herbe sous les pieds d’Helmut Kohl et repris les rênes de la CDU.

Peu de temps après avoir présenté Angela Merkel à son entourage, Helmut Kohl remarque un jeune homme qui, par sa rhétorique, soulève les foules en Hongrie. Le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros lui avait déjà offert une bourse d’études, tandis qu’Helmut Kohl voyait en lui un futur dirigeant chrétien-démocrate en Europe de l’Est.

Mais Viktor Mihály Orbán l’a complètement déçu. Il a refusé d’adopter l’euro, et la majorité des eurodéputés du PPE lui ont tourné le dos la semaine dernière en raison de son régime autoritaire en Hongrie. Helmut Kohl a une fois de plus eu l’œil et trouvé une personne qui allait façonner l’histoire européenne, mais pas dans la direction qu’il avait espérée.

Quand Viktor Orbán a déclaré il y a quelques mois qu’il était l’héritier de la politique d’Helmut Kohl, la CDU était consternée et lui a répondu que l’Allemand avait uni et renforcé l’Europe, tandis que lui la divisait et l’affaiblissait.

Il puise sa force politique principalement en Hongrie, où il a été Premier ministre entre 1998 et 2002, mais n’a pas réussi à tirer son épingle du jeu. Lorsqu’il est revenu au pouvoir en 2010, il a décidé de ne pas se laisser faire et a donc modifié les règles et la Constitution pour mettre en place un système électoral dans lequel il peut obtenir une majorité au parlement avec un soutien relativement faible, lui donnant le contrôle des médias, du pouvoir judiciaire et de la banque centrale.

En somme, il crée un réseau de personnes qui lui sont « redevables » parce qu’il leur fournit des postes rentables ou des emplois lucratifs au sein de l’État. Les membres de sa famille jouent des rôles clés dans le système, comme c’est le cas de tout système autoritaire, dans la Turquie d’Erdoğan ou dans la Russie de Poutine, et aux États-Unis, Donald Trump aimerait pouvoir faire de même.

Profiter de la crise des réfugiés

Il a toutefois su profiter de la situation : la crise des réfugiés en 2015 était ce dont il avait besoin pour soulever les Hongrois et devenir le figure de proue du groupe de Visegrád – quatre pays opposés à l’accueil des migrants et à la politique d’Angela Merkel – qui a fait de lui le héros du mouvement émergent de populistes-nationalistes dans l’UE.

Conscient de l’opportunité, il a attendu le printemps de cette année pour remporter les élections en Hongrie pour la troisième fois et commencer un nouveau projet politique : devenir le leader, peut-être non officiel, d’une nouvelle Europe après les élections européennes de mai prochain. Une Europe anti-migrants et antilibérale.

Cet été, il a formulé sa stratégie en trois étapes, culminant lors d’un discours de sept minutes à Strasbourg, où il a défendu son gouvernement face aux accusations de violations des libertés démocratiques et de l’état de droit.

La première étape a été mise en œuvre le 16 juin, lorsqu’il a pris la parole lors d’une conférence organisée en l’honneur d’Helmut Kohl. « La Hongrie est consciente de sa force, de son influence et de sa mission. Pour nous, c’est la Hongrie avant tout. » Si vous avez déjà entendu ça, c’est surement de la bouche de Donald Trump.

« L’ambition de la Hongrie est de vivre dans une Europe centrale forte, composée de pays qui coopèrent étroitement », a-t-il estimé. Il a cité la Pologne comme alliée et a ajouté qu’un autre objectif est d’inciter les pays des Balkans occidentaux à adhérer à l’UE, « en particulier la Serbie ». Viktor Orbán a été l’un des architectes de l’adhésion de la Croatie à l’UE en 2013.

Il a ensuite livré sa vision de la Hongrie moderne : « Nous sommes les commandants d’une forteresse frontalière et nous connaissons notre devoir. » En réalité la crise des migrants de 2015 n’existe plus, mais la barrière à la frontière avec la Serbie existe toujours.

« Peut-il y avoir un compromis dans le débat sur les migrants ? Non, et ce n’est pas la peine. » Mais il est clair que les personnes protégées par la « forteresse » doivent en payer le prix – le recours aux fonds européens ne peut être subordonné au respect des valeurs européennes.

Le discours a culminé avec la phrase « Pour ce qui est des élections européennes de 2019, il serait très facile, par exemple, de créer un nouveau groupe de partis d’Europe centrale ou un groupe anti-migrants paneuropéen ». Le Fidesz d’Orbán fait toujours partie du PPE, une adhésion controversée, mais tout le monde sait que ses 11 eurodéputés (à titre de comparaison, l’ÖVP autrichien en a cinq) pèseront dans la balance.

Trouver de nouveaux alliés

Le premier ministre hongrois s’est félicité de la victoire électorale de Matteo Salvini en Italie au printemps. Chef de la Ligue xénophobe, celui-ci promeut des politiques anti-migrants et pourrait bientôt voir à Strasbourg un grand nombre d’eurodéputés de son camp, un nombre similaire à celui des socialistes de Matteo Renzi en 2014.

Viktor Orbán, lui, a des idées pour l’ensemble du PPE : « Nous devons nous atteler à la tâche difficile de renouveler le PPE et de l’aider à revenir aux racines démocratiques chrétiennes ».

Il a abordé la question le 28 juillet à Băile Tuşnad, en Roumanie, lieu d’un camp d’été d’étudiants où il aime exprimer ses opinions politiques. C’est là qu’il a développé son idée d’une Europe centrale forte : « Outre la puissance économique, l’Europe centrale est une région qui a une culture spécifique. Elle est différente de l’Europe occidentale. »

L’Europe centrale serait donc prête à faire cavalier seul, sous la direction d’Orbán, si l’Occident n’accepte pas ces caractéristiques spécifiques. Et Viktor Orbán est le seul à pouvoir le faire : Jarosław Kaczyński le chef de file du parti polonais au pouvoir Droit et Justice (PiS) n’a pas d’ambition politique en dehors de la Pologne, et d’autres sont trop faibles.

Pour que l’Europe centrale de Viktor Orbán puisse prendre ce qu’il dit être sa position légitime dans l’UE, il a défini cinq principes de base : a) défendre sa culture chrétienne et rejeter le multiculturalisme ; b) défendre le modèle familial traditionnel ; c) défendre les secteurs stratégiques de l’économie et les marchés particulièrement importants ; d) défendre les frontières et non les migrants ; et e) exiger le principe « une nation une voix » sur les dossiers importants.

Il a averti que l’Europe actuelle était corrompue et manquait de direction. Il estime donc nécessaire d’établir un nouveau bloc politique qui rassemblera tous les partis chrétiens – pour lui, la démocratie chrétienne doit s’élever comme alternative à la démocratie libérale.

« Cela signifie que nous devons préserver le mode de vie qui résulte de la civilisation chrétienne. Notre devoir n’est pas de défendre les normes religieuses, mais la forme qui en découle. Cela inclut la dignité humaine, la famille et la nation parce que le christianisme ne cherche pas à atteindre l’universalité en abolissant la nation, mais en la préservant », a affirmé Viktor Orbán.

Une fois cette explication rendue publique, une scission était imminente entre le PPE et Viktor Orbán. Pourtant, le chef du PPE au Parlement, Manfred Weber, lui a demandé d’être conciliant et modeste devant les députés européens (une des caractéristiques d’un bon chrétien), pour éviter que la majorité ne vote pour activer l’article 7 contre la Hongrie.

Le Premier ministre n’était pas d’accord – et il a déjà un plan B. Matteo Salvini et le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache, le PiS et peut-être l’ANO, le parti du Premier ministre tchèque Andrej Babiš, le Parti démocratique slovène (SDS) dirigé par Janez Janša, peut-être des dissidents de la CSU en Bavière, Marine Le Pen et son rassemblement national – au total environ 150 sièges ou davantage.

L’année prochaine, Viktor Orbán et le Fidesz pourraient se retrouver en dehors du PPE, ou dans une nouvelle coalition, mais sans ceux du groupe qui ont voté contre lui. Parce que la dissolution du PPE est le moyen le plus simple pour la nouvelle droite en Europe d’accéder au pouvoir. La voilà le plan de Viktor Orbán.



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