La France isolée face à l’impasse européenne sur la question migratoire

La politique migratoire du président Macron est en difficulté. Pour assumer sa politique africaine, et relancer la dynamique européenne la France devrait théoriquement accueillir plus de migrants, mais l’opinion publique y semble peu favorable.

Yannick Prost est conseiller du Haut-commissaire à l’engagement civique

La question migratoire en Europe aurait dû connaître un débat décrispé suite à la décrue très marquée des flux depuis 2015. Il n’en est rien, car de nombreux États du pourtour demeurent fragiles (à quand la prochaine crise humanitaire majeure au Sahel ou au Moyen-Orient ?) et les accords bricolés avec des partenaires imprévisibles (Libye, Turquie) restent précaires. Ils ont surtout eu pour conséquences de déporter les routes maritimes vers l’Ouest et de faire l’Espagne le premier pays d’arrivée des migrants hors UE. Or, l’Espagne était jusque là sur une ligne modérée proche de la France…

Les dysfonctionnements flagrants du régime de Dublin, la fermeture des frontières des pays de l’Est et les mouvements dits « secondaires » qui en résultent ont continué de nourrir les controverses, ne serait-ce que par la présence spectaculaire des campements de sans-papiers à Paris, Nantes ou dans le Nord, et par la poursuite de la hausse des demandes d’asile enregistrées en France en 2018. Les émeutes de Chemnitz, dans une Allemagne au plein emploi et qui a refermé la parenthèse de la politique généreuse d’accueil de 2015, montre aussi qu’autre chose se joue : débats identitaires, peurs de la progression d’un Islam prosélyte, etc.

La position des pays « durs » semble l’emporter, mais en fait, aucune solution européenne ne se dégage. Certes, tout le monde est d’accord pour renforcer les contrôles aux frontières, et la Commission a budgété une augmentation spectaculaire du nombre de garde-côtes pour les prochaines années. Certes, le principe des centres de contrôle fermés pour « faire le tri » entre vrais et faux demandeurs d’asile a été approuvé au sommet européen de juin. Mais il reste à déterminer sur quelles côtes ceux-ci seront installés.

La France a affirmé que ses côtes sont éloignées des routes maritimes des migrants et donc, elle n’avait pas vocation à en construire : mauvais signal envoyé aux pays méditerranéens. Et d’ailleurs, le problème reste entier : quels États prendront en charge les « vrais » demandeurs, puisque le principe de solidarité implique qu’ils soient redistribués à travers les États européens ? Et comment procéder au renvoi des autres, ce qui demeure le problème fondamental de la procédure, en France comme ailleurs ?

Les pays adoptant une ligne intransigeante affirment que le contrôle des demandeurs pourrait s’effectuer dans les pays tiers de la périphérie européenne. Les conclusions du sommet de juin avait aussi demandé au Commissaire européen en charge des migrations d’explorer la voie d’un accord avec ces pays pour y installer des « plateformes de débarquement » pour les migrants repêchés en mer. Plusieurs pays concernés se sont empressés de refuser.

Cette nécessité de négocier avec les pays africains constitue l’autre dimension de la question : le partenariat commun pour lutter contre les filières de clandestins ne peut durablement s’établir que si les pays du Sud bénéficient d’une aide substantielle, en premier lieu pour des raisons de politique intérieure, et ensuite pour offrir des opportunités économiques aux jeunes candidats au départ (cette relation de cause à effet du développement sur la migration étant d’ailleurs controversée). Les premiers résultats des mécanismes conjoints de contrôle mis en place dans la zone sahélo-saharienne et des programmes d’aide notamment dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence sont pour le moment mitigés, car l’accent est principalement mis sur l’aspect sécuritaire, avec des conséquences préoccupantes pour le sort des migrants.

Les accords signés avec la Turquie n’assurent pas une réelle étanchéité des frontières et celui avec la Libye soulève de graves questions humanitaires.

Néanmoins, l’Europe négocie actuellement avec l’Égypte un possible accord similaire, et dialoguera sur ce thème avec la Ligue arabe lors d’un sommet en février prochain. Payer pour ne pas avoir de migrants chez soi semble une option séduisante pour plusieurs pays européens : lors du conseil des ministres du 18 octobre, un compromis permettant à des États de s’exonérer du principe de solidarité en échange d’une contribution financière a été évoqué.

Ainsi, la relocalisation des demandeurs d’asile ne s’effectuerait à terme que dans les pays qui veulent bien remplir leur devoir – ou qui ne sont pas prêt à payer pour s’en exonérer. Lorsque l’on entend Friedrich Merz, qui a été candidat à la présidence du CDU remettre en question l’asile constitutionnel en Allemagne, on peut redouter que le nombre de ces pays soit réduit.

Il n’est pas sûr qu’un tel compromis, qui verrait Paris prendre mécaniquement un nombre plus important de demandeurs d’asile, soit très populaire en France. Le président Macron a engagé la campagne pour les élections européennes sur le combat entre une Europe progressiste et ouverte et une Europe nationaliste et xénophobe.

Il sait pourtant que son opinion publique est majoritairement hostile à l’immigration, même si le devoir d’asile reste plutôt bien accepté. La gauche est divisée sur le sujet et les milieux intellectuels et humanitaires semblent moins audibles qu’auparavant. À droite, la compétition pour s’emparer du leadership aujourd’hui contesté favorise une surenchère de positions martiales, arguant des difficultés réelles à contrôler les passages de migrants clandestins à nos frontières, avec l’Italie, mais aussi désormais avec l’Espagne.

Dans ces conditions, le président Macron se trouve face à un redoutable défi : toute réforme sérieuse du régime de Dublin entraînera inévitablement un accroissement des demandeurs d’asile « légaux » sur notre sol ; mais toute mobilisation des classes populaires pour tenter d’inverser l’érosion des scores électoraux du mouvement En Marche aux prochaines élections (européennes, et municipales en 2020) devra prendre en compte l’hostilité de celles-ci à l’afflux des migrants.

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