La difficile cohabitation Vestager / Breton

Article rédigé par les étudiants du cours citoyen, droit et politiques de l’Europe – cours fondamental de Droit à l’ESSEC : Corentin Charachon – Laura Bros – Joséphane Manière – Baptiste Dessendier – Pauline Bittou

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L’arrivée de Thierry Breton à la Commission Européenne promet des étincelles. En effet il doit coopérer avec Margrethe Vestager, ancienne commissaire européenne à la concurrence depuis 2014 et adepte d’une politique de concurrence forte. L’exposition de la stratégie industrielle de Breton, le 10 mars dernier, laisse présager des débats entre deux idéologies opposées. 

PREMIERS PAS DANS UN CONTEXTE TENDU

L’ancien PDG d’Atos (2009-2019) Thierry Breton a finalement été nommé le 1 décembre 2019 commissaire européen, chargé de la politique industrielle et du marché intérieur, après que la 1ere candidate françaises Sylvie Goulard ait été rejetée par le PE

Il expose depuis ses visions concernant la politique industrielle de l’Europe. Il souhaite notamment replacer les entreprises au cœur des politiques européennes. Cette vision suppose évidemment, selon lui, de revisiter en particulier les politiques qui touchent à la concurrence et de s’assurer que celles qui concernent le commerce restent adaptées à la mondialisation actuelle et à la concurrence (notamment des entreprises Chinoises et Américaines). Il s’agit de créer des leaders européens et mondiaux, associés à un vaste réseau de PME.

Reste donc à voir comment Margrethe Vestager, championne de la concurrence, et Thierry Breton, promoteur d’une politique industrielle, peuvent se compléter . Ce débat n’est pas nouveau. Comme l’observe Brune Deffains, member de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, et Professeur en Economie et Droit,  «L’Europe est la seule entité où les règles de la concurrence ont un statut quasi constitutionnel. Il existe donc un particularisme du droit européen qui établit une primauté du droit de la concurrence sur toutes les autres politiques de l’Union sauf celles qui sont de rang égal, comme la Politique agricole commune. La Commission dispose d’assez peu d’outils pour soutenir des politiques industrielles. » 

Le débat a rebondi de façon plus aiguë lorsque la commissaire danoise a rejeté, au nom de la Commission, le projet de fusion Alstom-Siemens en 2019. Une pluie de critiques s’était alors abattue sur elle – notamment de la part de Bruno Le Maire – alors qu’en vérité, en l’état du droit, la commissaire danoise n’était pas en mesure de prendre une autre décision. La tâche de Thierry Breton est ardue, d’autant plus que Margrethe Vestager occupe une position de choix au sein de la Commission avec son rang de vice-présidente exécutive. 

LE NOUVEAU SOUFFLE BRETON

Néanmoins depuis son arrivée à la Commission, Thierry Breton défend ses idées et  notamment une mise à jour du droit de la concurrence, l’un des piliers fondamentaux des traités. « L’Europe restera ouverte mais sans naïveté dans un monde qui a changé par rapport à il y a 30 ans, insiste-t-il. Nous sommes ouverts, mais attachés à nos normes, nos règles. Les autres sont les bienvenus s’ils respectent nos règles. » 

Margrethe Vestager, quant à elle, insiste évidemment sur le caractère fondé du droit de la concurrence pour garantir les meilleurs prix aux consommateurs et stimuler l’innovation. Hostile aux groupes « biberonnés et chouchoutés », l’ex-dirigeante du Parti social-libéral danois juge que c’est le marché qui doit être à l’origine des champions européens. Thierry Breton n’en disconvient pas, mais il entend « replacer les entreprises au centre de nos politiques et pas seulement les prix bas pour nos consommateurs »

Le débat sur le rééquilibrage des priorités est relancé, plus vital que jamais. Tôt ou tard, il risque d’opposer les deux commissaires. Breton sait qu’il part avec un lourd handicap: la primauté absolue donnée au droit de la concurrence depuis la création du Marché commun, en 1957. Toute politique industrielle, même embryonnaire, lui est subordonnée. Rien de tel aux Etats-Unis, où les entorses au libre marché sont nombreuses, sans parler de la Chine …

Quelques passes d’armes à travers les médias ont déjà eu lieu. Thierry Breton rappelait début mars  « Jusqu’à ce jour, c’était plutôt le consommateur qui a été mis en avant.  Tout en confortant ces acquis, il faut désormais aller plus loin. La politique industrielle en Europe ne peut plus être conduite avec pour seul but de réduire les prix. ».  Préalable à toute politique industrielle, les concurrents de l’UE qui veulent accéder à ses marchés devront «respecter [ses] règles », comme la réciprocité pour les entreprises et une transparence sur les aides d’Etat.

PREMIÈRES PROPOSITIONS

Le nouveau commissaire a présenté le 10 mars la stratégie industrielle européenne. Le plan de M. Breton retiendra une vingtaine de secteurs prioritaires (aéronautique, automobile, hydrogène…). Ou plutôt des « écosystèmes industriels (…), un concept puissant qui permet d’embarquer tous les acteurs concernés », y compris les PME. Comme par exemple dans l’automobile, qui emploie 2,5 millions de salariés en Europe, mais en fait travailler 35 millions (sous-traitance, recherche, maintenance, assurances…). Chacun de ces écosystèmes sera composé de grandes entreprises du secteur, mais aussi de PME, de laboratoires de recherches et d’universités. « Chacun d’entre eux devra être compétitif dans son ensemble, mais aussi avec sa dynamique propre et ses gouvernances », promet Thierry Breton.

Pour bien les identifier, la Commission travaillera en étroite collaboration avec un forum industriel, mis en place d’ici septembre 2020, et composé de représentants de l’industrie, des partenaires sociaux, de chercheurs, d’États membres et des institutions de l’UE. Concrètement, ce type d’écosystème pourrait par exemple se pencher sur la question de l’amélioration des chaînes d’approvisionnement en Europe : la crise du coronavirus a notamment révélé que l’industrie pharmaceutique de l’UE était très dépendante de la Chine, une situation à laquelle voudrait remédier Thierry Breton. 

L’exécutif européen entend également favoriser le développement de projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), des sortes de « mini-Airbus » dans un secteur bien précis, comme Paris et Berlin l’ont déjà fait avec les batteries de voitures électriques. Pour voir le jour, ces projets pourront bénéficier d’une certaine flexibilité de la Commission européenne en matière d’aides d’État. Le prochain grand PIIEC doit se consacrer à l’énergie hydrogène, vital pour le secteur du transport, qui permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la pollution urbaine et la dépendance envers les carburants issus du pétrole.

Également, les règles européennes de la concurrence devraient être quelque peu actualisées. En juin, la Commission lancera une consultation auprès des acteurs concernés pour voir comment mieux définir les marchés dans le domaine des fusions/acquisitions. Pour riposter à la concurrence chinoise, la Commission va aussi publier mi-2020 un « livre blanc qui se penchera sur les effets de distorsion causée par les subventions étrangères au sein du marché unique ». 

DES DÉCHIREMENTS EUROPÉENS NUISIBLES

Si les obstacles de la Commission sont levés, il faudra encore que les Etats et les entreprises s’entendent. Cela ne semble pas si aisé. Les petits pays redoutent la création d’écrasants mastodontes industriels. L’axe industriel franco-allemand est fragile, malgré le volontarisme des ministres de l’économie Bruno Le Maire et Peter Altmaier. Leurs entreprises ont du mal à s’aligner, comme l’illustre le projet de « système de combat aérien du futur ». En 2019, les tensions franco-italiennes ont menacé le rapprochement dans le naval militaire. Les Vingt-Sept viennent surtout d’envoyer un très mauvais signal politique en étant incapables de s’accorder sur le budget 2021-2027. Peut-on se déchirer sur un acte aussi fondateur et s’entendre sur une stratégie industrielle commune ?

A la lumière de la crise, le pragmatisme de la Commissaire à la concurrence semble évident (voir les modifications du cadre des aides d’ETAT en lien avec le coronavirus)

Et les prises de position de la présidente de la Commission européenne relatives à la nécessaire protection de nos actifs stratégiques dans le cadre des IDE démontre que le patriotisme économique européen semble devenir un concept audible à nouveau

voir aussi : https://europe.vivianedebeaufort.fr/faut-pas-dire-quon-fait-rien-en-europe-face-au-coronavirus-extraits-du-dct-du-30-mars-afep/